Morad El Hattab, très engagé dans le combat contre l’antisémitisme, a désiré s’exprimer suite à l’article d’Elisabeth Badinter : voici sa réponse.

Chère Elisabeth Badinter,
Votre texte sur l’antisémitisme aujourd’hui m’a profondément ému et je souhaite, en ma qualité de Français de confession musulmane, le prolonger. Lors de l’assassinat de Sarah Halimi, de mémoire bénie, j’ai déclaré publiquement, et par écrit, qu’il s’agit d’un crime antisémite et me suis étonné que la reconnaissance par la justice de cette qualification ait tant tardé. La France est un grand pays, dont l’universalisme permettra de combattre l’antisémitisme, mais à une seule condition : que nous unissions nos efforts.
Car il en va, aujourd’hui, de cet antijudaïsme virulent comme, hier, de l’affaire Dreyfus : les intellectuels doivent porter haut le flambeau. Il nous faut un Zola, individuel ou collectif, peu importe. Près d’un dixième des Français de confession juive quitte notre pays ou envisage de le faire, faute d’autre solution garantissant leur sécurité. Je respecte infiniment celles et ceux qui choisissent de faire leur Alyah, de rejoindre Israël parce que tel est leur choix. Mais je me désole profondément de constater que certains de mes compatriotes n’ont plus d’autre solution, car exposés à un antijudaïsme violent, détestable, dangereux.
Cet antijudaïsme se caractérise par une stupidité absolue lorsqu’il émane de sémites, c’est-à-dire de musulmans d’origine arabe. Il est insensé lorsqu’il provient de personnes ayant eu à souffrir, ou soufrant du racisme, c’est-à-dire les immigrés, quelles que soient leur origine. L’exploitation financière que fait un prétendu humoriste de l’antijudaïsme est une machine à collecter de l’argent –pour lui, exclusivement pour lui- auprès de ceux qui se laissent prendre à cette insulte à leur intelligence. La monstruosité de la collaboration sous l’occupation n’a-t-elle pas suffi ? Je demande à chacun de se reprendre et de repousser l’argument pénalement répréhensible de l’antijudaïsme : il n’a jamais rendu la vie moins difficile à qui que ce soit.
La France a ses démons. Elle a été ballotée entre le racisme violent tourné vers les Arabes dans les années soixante-dix et quatre-vingts – et ce racisme n’a pas disparu, loin de là -, à l’antijudaïsme dont l’explosion date de la fin des années quatre-vingt-dix pour se matérialiser à partir du vingt-et-unième siècle. On place curieusement sous silence ce qui s’est passé entre, c’est-à-dire la faillite absolue et les dérives de l’antiracisme, phénomène initial enthousiasmant mais habilement dénaturé lorsqu’il donne naissance à l’antisionisme. Qui va me contredire ?
Or il est nécessaire de rappeler que plusieurs des tortionnaires d’Ilan Halimi ont été un temps membres d’un mouvement antiraciste.
Ce devait être dit. Je sais que les initiateurs de l’antiracisme n’ont absolument pas voulu cela. Ils n’ont pas réussi à stopper une dérive profonde et virulente du mouvement qu’ils avaient initiés dans un tout autre esprit. Mais nous pouvons réparer cette situation. Faisons de la lutte contre l’antisémitisme, au sens propre du mot qui inclut le racisme et les tourments infligés aux sémites, une cause primordiale, nationale. Soyons résolus. Plus un seul juif ne doit partir de notre pays parce qu’il y est contraint. Plus un seul musulman ne doit se sentir étranger en France.
Chère Elisabeth Badinter, vous avez eu le courage de parler, d’élever la voix. C’était indispensable. Je vous propose de prendre la tête d’un vaste mouvement civique contre l’antisémitisme, que nos amis chrétiens rejoindront, je le sais, sans hésiter. Car nous formons ensemble LA France, celle qu’exprime le Conseil d’Etat lorsque, dans un référé-liberté, il affirme que diffamer la mémoire des victimes de la Shoah revient à porter atteinte à la cohésion nationale.
Il nous faut agir, comme aux temps douloureux de l’Affaire. La France a toujours su remonter la pente qu’ont tenté de lui faire descendre les violents et les racistes. Revenons à l’esprit initial de l’antiracisme et confortons la France dans ce qu’elle doit être : la Nation qui a donné les rédacteurs des deux grandes Déclarations des droits de l’homme, celles de 1789 et de 1948, que René Cassin a voulu universelle.
Ce mouvement pourrait s’appeler Contre l’antisémitisme : pour la France. Chrétiens, juifs et musulmans, réunis sous la bannière de l’amour de notre pays, y accueilleront celles et ceux qui souhaiteront porter haut l’étendard de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Morad EL HATTAB
Lauréat du Prix littéraire pour la Paix et la Tolérance – Diplômé Médaille d’Argent de l’Académie des Arts, Sciences et Lettres