L’un des plus grands écrivains américains vivants entre dans la plus prestigieuse collection des lettres françaises. Snobé par le Nobel mais récompensé par les autres grands prix littéraires, Philip Roth est désormais dans la Pléiade.
Cinq romans et nouvelles de jeunesse de l’écrivain aujourd’hui âgé de 84 ans, dont “La plainte de Portnoy” (connu aussi sous le titre de “Portnoy et son complexe”), roman clef dans l’oeuvre de Philip Roth, figurent dans ce volume, édité par Gallimard, à paraître le 5 octobre.
Lors de sa publication aux Etats-Unis, en février 1969, le livre (dont la traduction française de Henri Robillot a été revue pour l’occasion par Paule Lévy), a connu un succès foudroyant avec quelque 275.000 exemplaires vendus les deux premiers jours suivant sa parution.
Ce récit des séances d’analyse d’un certain Alexander Portnoy, avocat juif new-yorkais, obsédé par le sexe, défini par Roth comme un “véritable Raskolnikov de la branlette”, reste scandaleusement drôle avec son langage d’une crudité assumée (on s’amuse de lire dans la vénérable Pléiade des mots jusqu’alors tabous).
Ce roman constitue “un tournant déterminant et libérateur dans la carrière de l’écrivain”, affirme Paule Lévy.
Mais ce livre fut aussi celui des premiers malentendus entre Philip Roth et le monde littéraire. Bien des années plus tard, l’écrivain devra expliquer que le roman n’était pas une confession.
Philip Roth, justement considéré aujourd’hui comme un témoin lucide et implacable des travers de la société américaine, fut accusé de véhiculer avec le personnage de Portnoy les pires clichés antisémites.
L’homme en noir
Roth antisémite? Pour balayer cette accusation aussi absurde qu’injurieuse il suffit de lire la nouvelle “Eli le fanatique”, un des textes du recueil “Goodbye, Columbus” (1959), son premier ouvrage publié, qui ouvre le volume de la Pléiade.
Un jeune avocat juif, Eli Peck, est chargé par ses coreligionnaires, tous juifs “assimilés”, de convaincre un vieux religieux juif (qu’on imagine rescapé de la Shoah et venant de débarquer en Amérique) de ne plus se promener dans les rues de leur petite ville avec le caftan noir et le chapeau à larges bords traditionnels.
A son contact, Eli Peck va s’engager dans une “contrevie” (un thème cher à Roth qui a intitulé ainsi un de ses romans paru en 1986). Il se glisse littéralement dans la peau du vieux juif s’habillant lui aussi de noir.
Eli, devenu “l’homme en noir”, est capturé, mis sous sédatif. “La drogue apaisa son âme, mais ne parvint pas jusqu’à l’endroit où le noir était descendu”, écrit Roth. Le noir c’est évidement la couleur de l’habit mais aussi, note Paule Lévy, “le trou noir de la Shoah”.
Dans la préface qu’il a signée pour ce volume, Philippe Jaworski rappelle un dialogue publié dans “La contrevie”. Un des personnages du roman, Maria, demande à Nathan Zuckerman, personnage récurrent de l’oeuvre et double de Philip Roth: “Tu ne peux pas les oublier un peu, tes juifs?”.
Spécialiste de l’oeuvre de Roth, Philippe Jaworski se charge de répondre à la question. “Non, ce serait trop facile, ils sont inoubliables (…) Ils sont les fantômes de la fiction – d’éternels revenants dans des romans dont les intrigues sont construites comme le dialogue jamais conclu d’un écrivain (juif américain) avec lui-même sur le sens de sa pulsion – ou de sa passion – judéographique”.
“Pourquoi les juifs? Autant demander Pourquoi la fiction?”, souligne Philippe Jaworski.
Les oeuvres rassemblées dans ce premier volume de la Pléiade consacré à Philip Roth qui ne publie plus depuis 2010, vont de 1959 à 1977.
Outre “La plainte de Portnoy” et “Goodbye, Columbus”, on trouve “Le sein” (1972), livre écrit à la première personne et premier texte où apparaît le personnage de David Kepesh, un autre double de l’auteur, “Ma vie d’homme” (1974), premier texte avec Nathan Zuckerman et “Professeur de désir” (1977) où l’on retrouve David Kepesh.
Toutes les traductions originales ont été révisées.
Le volume fort de 1.280 pages est mis en vente au prix de 64 euros (jusqu’au 31 mars 2018).
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