Les autorités et la justice françaises ont encore du mal à reconnaître le caractère antisémite de certains crimes, comme le meurtre de Sarah Halimi, s’inquiète le président de l’Union des étudiants juifs de France.
En 2016, les actes antisémites ont diminué de 58% par rapport à 2015. Ce chiffre marque une évolution dans l’antisémitisme moderne en France. Depuis les attentats qui ont frappé notre pays, les Français juifs se sentent paradoxalement davantage pris en compte et écoutés dans une souffrance et une menace longtemps étouffées. Les pouvoirs publics ont mis des mots sur l’antisémitisme et sur la composante antisémite du terrorisme islamiste et ont déployé des moyens conséquents pour le faire reculer.
Mais ce climat est incertain et l’antisémitisme peut rebondir à tout moment, au gré d’une actualité proche-orientale instable, d’une recomposition de la vie politique bien incertaine ou d’une incapacité des pouvoirs publics à bloquer les relents de haine qui traversent notre société.
Il est par ailleurs difficile pour l’heure, de mesurer les conséquences qu’a eu un discours politique mettant sur le même plan Marine Le Pen et Emmanuel Macron pour toute une génération qui s’est construite dans ce nivellement par le « ni patrie, ni patron ». La haine, le nationalisme exacerbé, le populisme démagogue, la critique des élites, de la mondialisation, le révisionnisme et la xénophobie séparent pourtant le parti de Marine Le Pen – quel que soit son nom – de tout autre parti républicain.
« La figure du juif n’est jamais loin »
A cet égard, la critique fondée exclusivement sur l’économie, agitant l’image du banquier ayant travaillé au sein de la banque Rothschild, charrie son lot de sous-entendus évoquant les anathèmes antisémites. Derrière cette nouvelle opposition politique, la figure du juif n’est jamais loin. Et aussi justifiable que soit la critique de la politique gouvernementale, nous ne savons que trop les conséquences d’une telle opposition systématique.
A ce titre les responsables politiques et le monde judiciaire portent une lourde responsabilité, celle de nommer avec justesse un mal qui gangrène notre société.
Au début des années 2000, Daniel Vaillant, Ministre de l’Intérieur, niait le caractère antisémite de certains actes visant des juifs, pour « ne pas jeter de l’huile sur le feu ». Beaucoup de Français juifs se sont sentis alors isolés et délaissés par les pouvoirs publics et certains ont retiré leurs enfants des écoles publiques.
Quinze ans plus tard, lorsque j’interviens dans des classes avec le programme CoExist pour déconstruire les préjugés, je constate avec inquiétude qu’il y a bien peu d’enfants qui osent se définir comme juifs dans certaines classes, trop inquiets de la réaction de leurs camarades.
Aujourd’hui, il faut le dire, la mixité sociale de l’école républicaine, son universalisme, sa capacité à brasser des populations de cultures différentes autour de valeurs communes est en péril. Chercher à nier l’existence de l’antisémitisme quand il est présent, est un facteur important de déstabilisation pour notre société toute entière, dans la force de sa diversité et de sa singularité.
« Rares étaient ceux qui s’aventuraient à parler de crime antisémite »
En janvier 2006, j’étais un jeune collégien quand Ilan Halimi a été kidnappé, torturé par le « gang des barbares » et laissé pour mort près de la gare de Sainte-Geneviève-des-Bois. Dans les premières semaines suivant l’assassinat, la justice se refusait à reconnaître le caractère antisémite du crime, la presse parlait certes d’un crime, mais d’un crime crapuleux, et rares étaient les responsables politiques qui s’aventuraient à parler de crime antisémite.
Entre-temps cette tentative d’étouffer le caractère antisémite du calvaire d’Ilan Halimi a été décriée. Pourtant, en 2014, quand une jeune femme fut violée dans l’appartement de son ami qui était séquestré, parce qu’il était juif, un juge d’instruction décida de rayer à posteriori le caractère antisémite du dossier. Et il fallut une intervention des avocats des parties civiles pour que le parquet réintègre finalement le caractère antisémite dans le dossier.
Le 4 avril 2017, il y a cinq mois, Sarah Halimi, une femme juive, est assassinée de manière effroyable, à son domicile, au coeur de Paris.
A n’en pas douter, il faut une certaine déconnexion avec le réel, avec l’Humanité pour battre, torturer et défenestrer une femme de soixante-cinq ans à son domicile en pleine nuit. Mais l’Histoire démontre que la folie, l’usage de stupéfiants ou la haine rance ne sont pas exclusifs de l’antisémitisme.
Le suspect est interné en hôpital psychiatrique quelques heures après son interpellation sans avoir été au préalable entendu par la police. Selon l’expertise psychiatrique, l’usage de stupéfiants aurait altéré son discernement, il voulait « tuer le Sheitan » (le diable, en arabe) en la personne de Sarah Halimi.
« Acte délirant et antisémite »
Début septembre, la famille Pinto a été séquestrée, frappée et volée à son domicile de Livry-Gargan pour des motifs antisémites, tandis que les fidèles d’une synagogue étaient menacés la semaine dernière à Garges-Lès-Gonesse. Et dans ce climat délétère, le caractère antisémite de l’assassinat de Sarah Halimi n’est pas encore reconnu. L’expertise psychiatrique de l’assassin de Sarah Halimi a ouvert une nouvelle voie en qualifiant ce crime « d’acte délirant et antisémite », provoquant ainsi un changement de position salutaire du changement de position salutaire du parquet, qui a demandé au juge d’instruction de retenir le caractère antisémite en tant que circonstance aggravante.
La justice est une machine lente qui, loin du tumulte politico-médiatique, doit permettre la manifestation de la vérité par la qualification des faits.
Et pourtant, les juges ont choisi d’exclure ab initio la qualification d’antisémitisme, en la cachant sous le tapis judiciaire. L’auteur des faits n’aurait-il pu être viscéralement antisémite et fou? Une telle hypothèse ne mérite-t-elle pas d’être abordée lors du procès, au risque d’être exclue par la suite?
Qualifier un acte d’antisémite ou de raciste a ceci de vertueux qu’il permet aux victimes d’être reconnues dans leur singularité, car c’est cette singularité qui leur a valu de devenir des victimes.
« L’antisémitisme n’est pas l’affaire des juifs »
Nier le caractère antisémite d’un tel acte, c’est en atténuer la gravité, bafouer la souffrance de la victime et mettre en danger chaque français. Car l’antisémitisme n’est pas l’affaire des juifs, et le racisme visant des minorités n’est pas la chasse gardée de certaines communautés, il est l’affaire de tous les citoyens. Et par le passé, lorsque les responsables politiques se sont tus face à des crimes haineux, ils ont contribué à accentuer un phénomène dangereux.
Et lorsque le politique s’enferme dans le mutisme ou le déni, les citoyens sont prisonniers d’une souffrance qui semble illégitime car méconnue, voire méprisée.
En 2014, Manuel Valls avait dénoncé fermement les manifestations pro-palestiniennes interdites, dont des banderoles et des slogans étaient littéralement antisémites et qui avaient, à différentes reprises, dégénéré en déferlement antisémite à l’encontre de lieux ou de citoyens juifs. Cela fut un soulagement. Les pouvoirs publics prenaient la mesure d’une situation gravissime qui mettait en péril la projection des Français juifs dans le pays qui fût le premier à leur accorder l’égalité des droits.
Le 16 juillet dernier, le président de la République a mis des mots sur ce mal qui gangrène notre société: l’antisémitisme a tué au Vel d’Hiv il y a 75 ans, et il a tué Sarah Halimi en 2017.
Le nom tristement célèbre d’Ilan Halimi évoque l’assassinat antisémite et en bande organisée d’un jeune juif de vingt-quatre ans, sur fond de préjugés surannés. Ne laissons pas celui de Sarah Halimi signifier que la justice française a refusé de qualifier un assassinat islamiste antisémite.
Nous demandons une justice qui redonne aux victimes leur dignité de victime, qui offre aux proches l’apaisement de la vérité, qui frappe les assassins d’une peine juste et qui garantit la protection à la société toute entière.
Qualifier n’est pas stigmatiser, c’est faire triompher une vérité prononcée au nom de la France et de tous ces citoyens.
Sacha Ghozlan est président de l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF).
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