La communauté juive face au procès d’Abdelkader Merah

Abdelkader Merah, le frère du jihadiste assassin de 7 personnes, comparaît à partir de lundi pour complicité, avec Fettah Malki, devant la cour d’assises spéciale de Paris.

Abdelkader, est poursuivi pour complicité d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste, et Fettah Malki, un délinquant toulousain, renvoyé pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Abdelkader Merah est soupçonné d’avoir été associé à des actes préparatoires aux tueries, notamment au vol du scooter utilisé par Mohamed Merah pour ses crimes, quelques jours avant les tueries. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Leur procès va-t-il réveiller les souffrances causées par la plus meurtrière attaque antisémite qu’ait connue la France depuis la Deuxième Guerre mondiale, avec l’attentat devant une synagogue parisienne en 1980 et l’attaque d’une supérette casher en 2015?

« Je crois que le choc terrible de ce 19 mars 2012, on l’a tous les jours (en tête), chaque fois qu’on emmène ou attend ses enfants à l’école », déclare à l’AFP le grand rabbin de France, Haïm Korsia.

La première minorité juive d’Europe, forte d’un demi-million de personnes, ne s’est alors guère sentie soutenue. « Il y a eu une forme de mise à distance, d’indifférence. Dans les manifestations, les cérémonies, on se retrouvait très seuls. Il a fallu attendre les marches du 11 janvier 2015 (après les attentats contre Charlie Hebdo et la supérette casher, ndr) pour trouver cette fraternité qu’on aurait tant aimé percevoir », estime le chef religieux.

Yaacov Monsonégo, directeur de l’école toulousaine Ozar Hatorah, rebaptisée Ohr Torah, a perdu il y a cinq ans sa fille Myriam. Assassinée dans la cour de l’établissement, elle fut la dernière victime de Mohamed Merah, qui s’en était pris auparavant à Jonathan Sandler et ses deux fils de 3 et 5 ans, Gabriel et Arieh. Il y a « toujours ce nuage qui pèse au-dessus de nos têtes », souffle-t-il.

« On n’imagine pas le traumatisme vécu par les familles lors de cette attaque qui n’a duré que quelques minutes », souligne Nicole Yardeni, du Conseil représentatif des institutions juives (Crif).

La responsable communautaire évalue à 300 le nombre de familles toulousaines qui ont depuis quitté la France pour Israël, dans le cadre de « l’aliyah », ou vers d’autres pays comme la Grande-Bretagne, le Canada, les Etats-Unis…

‘Evénement déclencheur’

Dans son étude « L’an prochain à Jérusalem », le directeur du département opinion de l’Ifop, Jérôme Fourquet, voit la tuerie comme l' »événement déclencheur » d’une « aliyah » de France qui s’est emballée. Après le temps de latence nécessaire à la concrétisation de tels projets, 20.000 départs ont été enregistrés entre 2014 et 2016.

Avec la récurrence des attentats – 239 morts en France depuis 2015 – et la généralisation des cibles, la donne a changé. « Il y a eu une résilience, qui passe par l’intégration de l’idée que ces actes sont possibles », estime le grand rabbin Korsia. « On a gagné en partage, en coproduction de la sécurité » ce qu' »on a perdu en innocence ».

Les actes antisémites en France ont nettement fléchi en 2016 par rapport à 2015 (-58,5%), après la mise en oeuvre d’un plan gouvernemental de lutte et la mobilisation de plus de 10.000 militaires, notamment aux abords des 800 synagogues, écoles et centres communautaires.

Des politiques ont su trouver les mots, selon le grand rabbin de France, citant la formule employée par l’ex-Premier ministre Manuel Valls: « Sans les juifs de France, la France ne serait pas la France. »

L’émigration a ralenti. L’école Ohr Torah, passée en quatre ans de 200 à 140 élèves, a vécu cette année sa deuxième rentrée sans baisse d’effectifs.

« La pression est en partie descendue, mais la communauté reste à cran« , note Jérôme Fourquet devant l’émotion provoquée par l’assassinat d’une femme juive en avril à Paris ou la récente séquestration d’un président d’association communautaire en banlieue parisienne.

Face à la violence jihadiste, « la réponse n’est pas que sécuritaire, et le procès d’Abdelkader Merah, qui pour les magistrats a largement contribué à la radicalisation de son frère, pose cette question: un théoricien n’a-t-il pas la même responsabilité qu’un exécutant?« , insiste Nicole Yardeni. Si la réponse de la justice est positive, « on aura bien avancé ».

La communauté juive de Bordeaux toujours meurtrie cinq ans après la tuerie

Cinq ans et demi après la tuerie de Toulouse, le procès du frère de Mohamed Merah s’ouvre devant la Cour d’assises terroriste de Paris. Un procès suivi par la communauté juive de Bordeaux. Jonathan Sandler, l’une des victimes de l’école Ozar-Hatorah enseignait à Bordeaux.

Plus de cinq ans après les tueries de Montauban et Toulouse, au cours desquelles trois militaires, trois enfants et un enseignant juifs ont trouvé la mort, ce procès rouvre de douloureuses plaies dans la communauté juive de Bordeaux. Jonathan Sandler, l’enseignant juif tué par Mohamed Merah avec ses deux enfants devant l’école Ozar-Hatorah enseignait à Bordeaux au sein de la communauté. « Il était très apprécié notamment des jeunes. Ils étaient vraiment sous le choc, même lorsqu’on a célébré le premier anniversaire du deuil » raconte Emmanuel Valency, le rabbin de Bordeaux arrivé quelques mois après la tuerie. Il craint que ce procès ne donne trop d’écho aux terroristes : « On parle beaucoup de la famille Merah, mais beaucoup moins des victimes aujourd’hui, et c’est regrettable. D’autant que la tradition juive est de chasser ceux qui nous attaquent de nos mémoires ».

Sentiment en partie partagé par Albert Roche, le président du CRIF de Bordeaux : « On a besoin de ce procès pour comprendre. Pour l’histoire. En même temps, revoir ces images très douloureuses, cela va être vraiment difficile ». La communauté juive de Bordeaux célébrait ce samedi la fête religieuse de Yom Kipour. Des festivités qui ont lieu sous surveillance renforcée.

Source lalibre et francebleu

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