Quand on parle des Justes en France, le premier nom de lieu qui vient à l’esprit est Le-Chambon-Sur-Lignon, et c’est une réputation méritée, mais n’oublions pas Romans-Sur-Isère.
Un de mes voisins, m’a fait remarquer que d’autres régions méritaient d’être citées pour l’action de leurs habitants pendant la guerre : enfants juifs cachés, familles juives protégées, et tout comme au Chambon, un engagement général de la population dans la voie du bien et du juste, naturellement, parce que c’est comme ça que les hommes et femmes de devoir voyaient la vie.
Cette région, c’est la région de Romans-sur-Isère, et le haut lieu de la résistance aux nazis était le Château de Sallmard, à Peyrins. Ce château est ouvert aux visites lors des journées du patrimoine, et si vous pouvez, ne ratez pas cette occasion de rendre hommage à une grande dame, la dame du château qui sauvait des juifs, Madame Germaine Chesneau, dont voici l’histoire.
Line Tubiana
Le 24 décembre 1969 dans le château de Sallmard, à Peyrins, on s’apprête à passer un paisible réveillon de Noël quand soudain le téléphone retentit. La propriétaire des lieux décroche et au bout du fil, une voix qui se présente comme appartenant à un membre des renseignements généraux – les fameux “RG” – l’interroge : « Vous êtes Germaine Chesneau ? » Bien qu’un peu surprise, cette dernière répond par l’affirmative avant d’apprendre qu’elle est recherchée… pour qu’on lui remette la médaille de “Juste parmi les nations”. La plus haute distinction honorifique délivrée par l’État d’Israël à des civils.
En février 1970, à l’âge de 75 ans, Germaine Chesneau devient ainsi la 39eme Française à recevoir cette décoration, en compagnie de Marguerite Soubeyrand (Dieulefit) et du cardinal Salliège, de Toulouse. 45 ans plus tard Andrée Vignard et Marianne Ferrero, deux de ses 3 filles qui habitent toujours à Peyrins, (Colette la troisième est à Lyon), se souviennent.
« Quand elle a appris qu’on voulait la décorer, elle a dit “Pourquoi moi ?” Pour elle, elle n’avait rien fait d’extraordinaire mais simplement ce en quoi elle croyait… C’était dans sa nature ! » Ceux dont personne ne veut, Germaine Chesneau les accueille à bras et cœur ouverts tout naturellement. Ainsi en fut-il entre 1942 et 1944, pour les 139 petits juifs hébergés dans ce château drômois, qu’elle et son mari avaient transformé en home d’enfants peu de temps avant la guerre.
Si au départ la bâtisse est destinée à recevoir des enfants en convalescence, ou placés par les services sociaux, très vite elle s’ouvre également l’été à de petits Romanais en vacances. Dans ce coin de la Drôme, la vie s’écoule plutôt paisible mais pas éloignée du monde pour autant !
Car dès septembre 39, la France est entrée en guerre. Econome, ancienne infirmière et prévoyante, Germaine a pensé à faire des provisions pour ses pensionnaires, riz, sucre, chocolat… Les premières semaines, le home reçoit de moins en moins d’enfants. Un manque qui oblige aux licenciements du personnel de la maison.
Et puis petit à petit, les services sociaux se remettent en route se remémore encore Andrée. « En ville, très rapidement, les gens ont manqué de tout, et les enfants n’étaient pas en excellente santé ». Ainsi, Sallmard se remplit de nouveau. Les registres d’époque en attestent aujourd’hui. Des cahiers porteurs de mystères et de quelques évidences.
« En moyenne les enfants accueillis avaient entre 6 et 14 ans, mais après 1942 ils avaient de 18 mois à 25 ans… » note Marianne. Beaucoup sont mis à l’abri ici après la rafle d’août 42, de Vénissieux. « Ce qui est curieux, c’est que c’était une vie tout ce qu’il y avait de normal. Personne n’en parlait. C’est également ce qui ressort des témoignages qu’on a pu avoir, les gens se souviennent avant tout d’un moment d’enfance ». Un havre de paix, quand le monde n’en offre plus.
« Les gens se souviennent avant tout d’un moment d’enfance »
L’un des épisodes qui restent également gravés dans la mémoire des deux femmes est celui de la fin août 1944. Romans libérée puis Romans reprise par les Allemands 5 jours plus tard… « C’est quelqu’un du commissariat qui est venu au château pour nous dire de partir. Les Allemands risquaient d’arriver car ils cherchaient leurs prisonniers… On a vu ce gars essoufflé arriver à bicyclette à la fin du repas.
Maman a dit “Les enfants vous pliez vos serviettes, et vous prenez une veste de laine” ! » Direction le bois de Saint-Ange. 64 bambins qui vont tant bien que mal se cacher et dormir dans le blé durant une semaine. Nourris grâce à la nourriture que certains vont rechercher dans de grands bidons de lait, au château, où sont restés Germaine et la tante cuisinière. En prenant garde toujours, à ne pas être repéré par l’avion mouchard qui survole…
Après la guerre, une petite fille un temps recueillie à Peyrins n’oubliera pas la dame de Peyrins ni son courage. Elle s’appelle Hélène Spielman. C’est elle qui, installée en Israël, entreprendra les démarches auprès de Yad Vashem pour que Germaine Chesneau soit décorée un beau jour de 1970.
Madame Germaine Chesneau
Germaine Clément* est née à Orange le 31 Octobre 1894.
Issue d’un milieu bourgeois, sa mère, Mathilde née Pichon, est infirmière et son père, Jean Clément, inspecteur de la DDASS, la petite Germaine* est une très bonne élève.
A 18 ans, elle entre à l’école supérieure agricole et ménagère de Grignan. Elle fait partie de la première promotion féminine de cette célèbre école.
En 1914, l’école ferme pour raison de guerre. Germaine* a 20 ans et rentre à l’hôpital militaire de Lyon comme infirmière.
Elle est ensuite envoyée à l’hôpital militaire de Larressore, au Pays Basque, où elle exerce les fonctions d’infirmière et d’économe. Elle y reste 12 ans. Elle y rencontre Marcel Chesneau, de 8 ans son cadet, qu’elle épousera en 1926. Le couple vient s’installer à Peyrins. Ils auront des jumelles, Andrée et Colette.
En janvier 1935, le comte de Salmard accepte de louer une grande partie de son château. En septembre la “Maison d’enfants à caractère sanitaire” ouvre ses portes.
En 1939, Marcel Chesneau meurt des suites d’une grave maladie, 20 jours après la naissance de sa troisième fille, Marianne, dite “Fizou”. Germaine Chesneau* est alors seule, avec 3 enfants et une maison à gérer.
Devant la montée du racisme, elle est choquée. En septembre 1939, lorsque la guerre est déclarée, elle anticipe et fait des provisions de nourriture. Elle a vécu la première guerre et se souvient des difficultés rencontrées à cette période donnée, des enfants convalescents de diverses maladies ou des enfants de santé fragile vivent au Château de Salmard toute l’année. D’autres enfants ne viennent là que pendant les vacances. Ce sont ceux dont les parents travaillent.
En 1940, elle tient tête au commandant de l’armée d’invasion installée au château et exige notamment que des outils qui ont disparu réapparaissent et réclame une limite au sol sur la terrasse, où les allemands font leur gymnastique.
En 1942, commencent dans toute la France les rafles des juifs étrangers, le gouvernement de Vichy réclame 4 000 juifs pour les déporter.
Le 26 août de cette même année, les juifs étrangers de la région sont internés et recensés dans un camp à Vénissieux. Là, les hommes et les garçons de plus de 15 ans sont rassemblés d’un côté, les femmes et les jeunes enfants de l’autre. Grâce à “Amitié Chrétienne” et à d’autres organisations bénévoles, 108 enfants sont sortis du camp de Vénissieux dans le cadre d’une opération de grande envergure. 14 d’entre eux arriveront à Peyrins à la fin du mois d’Octobre 1942 pour y être cachés sous un faux nom, ils vivront, intégrés aux autres pensionnaires.
Germaine Chesneau* les accueille chaleureusement, enregistre les enfants sous de faux-noms et enterre tout ce qui peut trahir leur origine, livres de prières, bibles ou souvenirs personnels.
Germaine Chesneau* sera assistée en cuisine par sa belle-soeur, Madame Clément, elle-même aidée de Madame Rose chargée de la plonge et de l’épluchage. Rose Elbaum était arrivée à Peyrins avec ses deux enfants, Simon, treize ans, et Gisèle, trois ans.
Tous sont scolarisés selon leur niveau. Des professeurs du lycée de Romans ou du personnel de la maison assurent les cours.
Parmi eux, Rachel Kamienker dont la tante est déportée sans retour à Auschwitz, et Haya et Pinhas Spielman dont les parents seront déportés sans retour à Auschwitz et qui resteront au château jusqu’au printemps 1944, puis purent partir en Palestine grâce à l’OSE (Œuvre de secours aux enfants).
Des adultes Juifs étaient également cachés au château, employés en tant qu’enseignants ou moniteurs.
Germaine Chesneau* avait fait installer un téléphone et une cloche pour prévenir les enfants en cas de descente de la Gestapo, les moniteurs devaient alors se cacher dans les caves du château.
En 1943 et 1944, il y aura de nombreux mouvements d’enfants que Germaine Chesneau* n’inscrira plus dans son registre d’entrées et de sorties. Ainsi on ne sait pas combien d’enfants de l’OSE auront transité par le château de Salmard.
La petite Jacqueline Behr sera pensionnaire au château de Salmard du 14 janvier au 26 août 1944, tandis que ses parents sont cachés à Bourg-de-Péage, non loin de là.
Le 22 août 1944, la ville de Romans est libérée par les résistants, mais reprise par les allemands le 27 de ce même mois.
Une personne du commissariat conseille à Germaine Chesneau* de faire évacuer la maison. Par petits groupes, les enfants rejoignent les bois de Saint-Ange, où chaque unité doit construire une cabane.
Germaine Chesneau*, alitée, reste au château en compagnie de Monsieur Pierre (Albert Pommer), le jardinier, producteur allemand caché.
Le soir, la famille Chosson accepte de recevoir pour la nuit cette colonie de 64 personnes, enfants et adultes qui les encadrent. On met à disposition le grenier à blé. Ils dormiront dans le grain et resteront une petite semaine dans ce campement : la nuit dans le blé, le jour dans les bois. Pour la toilette, tout le monde se lave chez les Mottin, la ferme de l’autre côté de la route. La nourriture cuisinée par la par belle-sœur de Germaine Chesneau* au château, est acheminée dans des bidons de lait de 25 litres jusqu’à la ferme Chosson par les adolescents.
Le 29 août, dans l’après-midi, arrivent au château 3 tanks allemands ayant à l’avant en bouclier humain, trois peyrinois. Ils recherchent leurs prisonniers retenus dans un château à 5 kilomètres de Romans. Ne trouvant rien, ni personne, ils saccagent du matériel et repartent avec toutes les victuailles de la maison.
Le 30 ou le 31 août, les Américains arrivent, s’installent au château, dans le parc et en bordure de celui-ci. C’est le génie, ils resteront jusqu’à ce que les ponts bombardés soient munis de passerelles permettant les liaisons entre les rives. Ils conseillent de ne pas faire revenir les enfants tout de suite, un sursaut allemand étant possible, ils réintégreront la maison le 1er ou 2 septembre.
L’OSE va récupérer tous les enfants juifs restants dans des établissements ouverts pour eux. Pas un seul de leurs parents ne rentrera de déportation sauf deux pères prisonniers, car engagés volontaires dans l’armée française.
Pendant toutes ces années difficiles, nombre de Peyrinois soutiendront Germaine Chesneau* discrètement : la famille Perrier, ses voisins, toujours présents pour lui venir en aide ; M. Blache, le boulanger ; M. Brunel, qui rendait en farine le même poids que de grain apporté ; la famille Fouare chez qui les fruits étaient abondants… ; M. Sylvestre et tant d’autres qui avaient compris, senti et ne dirent jamais rien.
Après 1945, la maison reprend son activité de home d’enfants à caractère sanitaire comme avant la guerre et ce, jusqu’en 1952, date à laquelle elle prend une nouvelle orientation. Elle devient un établissement pour enfants handicapés semi-éducables de 6 à 14 ans.
Germaine Chesneau* la dirige avec l’aide d’une de ses filles, Andrée. Lorsque l’école est rendue obligatoire jusqu’à 16 ans, elles créeront un centre ménager pour permettre à ces filles de s’assumer dans la vie quotidienne. L’état décide d’intégrer les enfants de la filière dans l’Éducation Nationale. L’I.M.P. sera fermé en août 1981.
Le jardin du château sera plus tard enrichi d’une allée des Justes, inaugurée le 9 juillet 1992.
Pour avoir caché et sauvé 139 personnes, Germaine Chesneau* recevra en février 1970 à Paris la médaille des Justes parmi les Nations.
Après une vie consacrée aux enfants en difficulté, Germaine Chesneau* décèdera le 29 janvier 1983.
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