René Gutman a été trente ans grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin, qu’il quitte pour prendre sa retraite à Jérusalem.
Son déménagement touche à sa fin, alors il nous reçoit dans son appartement strasbourgeois quasiment vide, autour d’un café lyophilisé, interrompu par l’ouvrier venant arrêter le gaz. La simplicité de René Gutman n’est donc pas une légende. Son appétit pour les choses de l’esprit non plus : sur un carnet, il a préparé quelques phrases de ses maîtres à penser. Un infinitésimal aperçu des textes qui l’ont façonné. Car ses dizaines de milliers de livres sont partis dans son nouveau logement, à Jérusalem, en 350 cartons ! « La plupart sont des commentaires de la Bible et du Talmud, ou portent sur la Shoah », commente l’homme de 66 ans, qui les a accumulés et consultés sans cesse durant sa carrière.
Après une première décennie à Reims, Besançon et Bruxelles, de 1977 à 1987, il fut « le » grand rabbin de Strasbourg, durant trente ans. « À Strasbourg, la fonction était passionnante, avec une communauté exigeante intellectuellement, une dimension internationale de capitale européenne, qui m’a permis de beaucoup voyager, en colloques et à la rencontre de communautés juives. » Lui qui n’est pas alsacien, malgré son patronyme à consonance germanique, a également trouvé sur cette terre régie par le droit local des cultes le terreau parfait de son goût pour la concorde. De fait, le dialogue y est constant avec les autorités administratives et entre cultes. Il s’y est passionné pour les relations interreligieuses, en participant à des groupes de responsables sur le plan local comme mondial, donnant à sa fonction une dimension sans doute plus « politique » qu’ailleurs. Il eut la triste occasion de l’exercer au moment de la vague de profanations de cimetières israélites, dans les années 2000. Dans un registre plus heureux, il se souvient de ses nombreuses visites à la grande mosquée de Strasbourg, dont il fut l’un des premiers à soutenir la construction. « J’ai voulu montrer qu’il fallait connaître les autres », insiste celui qui regrette une tendance au repli sur soi, certes « amplement compréhensible », de sa communauté.
Mais s’il a été touché par des « rencontres inouïes », comme Jean-Paul II ou Yehudi Menuhin, il voit tout autant dans le rétroviseur les « petites bontés », pour reprendre l’expression de l’auteur russe Vassili Grossman, qu’il admire. « J’ai aimé marier ou accompagner les personnes dans le deuil. Ici, même le rôle du grand rabbin est très pastoral. On ne délègue pas. »
Sa plus grande satisfaction : « Avoir préservé une certaine cohésion dans une communauté très diverse, des plus religieux aux plus laïcs. » Revers du mandat, pour cet amateur de consensus, prompt à la plaisanterie : sa gêne, quand il fallait trancher des conflits, au sein de tribunaux rabbiniques, ou prendre seul des décisions. On lui reproche de laisser se multiplier les petits lieux de culte sortant du giron du consistoire, allant même jusqu’à accepter d’en inaugurer ? « Les juifs veulent des lieux plus humains que la grande synagogue. À partir du moment où ces personnes étudient les textes, il faut leur faire confiance, et elles finiront par s’associer », assume-t-il.
L’ancien élève « très moyen » sait que la route est longue. En fin de seconde, il arrête le lycée, à Rouen. Pour lui trouver un avenir, ses parents l’envoient au séminaireen Israël. Mais la mort de son père, rabbin, l’oblige à revenir en France, à 21 ans, et à réviser vite et bien pour obtenir l’équivalent du baccalauréat et accéder à l’enseignement supérieur (jusqu’au doctorat), condition pour devenir rabbin. « J’en ai gardéune estime pour l’université, une grande confiance dans la capacité de chacun à étudier et un profond respect des maîtres. » Depuis, rares sont les années où il n’a pas écrit, traduit ou préfacé des textes saints, livres de théologie ou d’éthique, en parallèle d’une intense activité de participation à des colloques et conseils scientifiques sur le judaïsme, l’interreligieux, les droits de l’homme… Il a même été quatorze ans au Conseil national du sida : « J’aime entendre d’autres voix sur l’existence », explique celui qui n’a jamais regretté d’avoir mené des études universitaires, en plus de sa formation religieuse.
Dimanche 10 septembre, il a passé la main à Harold Weill, un trentenaire, comme lui à son arrivée. En Israël, son épouse et lui retrouvent trois de leurs quatre enfants, ainsi que leurs petits-enfants. Il continuera de servir la Conférence des rabbins européens, en tant que représentant auprès des institutions israéliennes. Son agenda allégé lui permettra d’écouter ses deux amours, Bartok et les Beatles, de rattraper quelques lacunes touristiques – « Je n’ai jamais vu Massada ! » – et, en parfait citadin ne supportant pas la solitude, de se régaler de la foule de Jérusalem.
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