Retour sur le fils du Comte Moïse de Camondo, dernier porteur du nom de cette prestigieuse famille, dont on célèbre le centenaire de la mort au champ d’honneur.
Sur les rares photos disponibles, il a fière allure avec son uniforme, son front haut, sa fine moustache aristocratique, son regard à la fois fort et doux. De Nissim de Camondo, mort au combat à l’âge de 25 ans, on connaît surtout bien sûr la famille, celle des banquiers des sultans de la Sublime Porte, des juifs sépharades ayant dû fuir l’Espagne, qui furent anoblis par Victor Emmanuel II pour leur soutien à l’unification de l’Italie. Juifs et aristocrates : le monde des Camondo, c’est celui de Pereire, des Rothschild, et de Proust qui ne le cacha pas : Nissim Bernard, l’un des héros de la Recherche, tire son prénom d‘un autre Nissim de Camondo, le grand-père de notre héros. Quand Nissim naît en 1892, son père, le comte Moïse de Camondo est déjà influent. La banque familiale existe à Paris depuis quelques années et les succès s’accumulent. Moïse a épousé la Comtesse Irène Cahen d’Anvers, une autre grande famille de l’aristocratie juive, et le couple mène une vie agréable de l’opéra aux salons. Passionné par le beau sous toutes ses formes, il achète des meubles rares et des objets d’art décoratifs à toutes les grandes ventes du moment.
Nissim va grandir, entouré du faste du XVIIIe siècle que son père apprécie tant, mais sans sa mère. Les époux divorcent vite et Moïse, qui obtient la garde ( fait rarissime à l’époque) s’installe d ‘abord rue Hamelin, dans un bel hôtel particulier du Xième arrondissement puis dans une magnifique demeure de la plaine Monceau où il abrite ses collections. Il initiera son fils à la chasse à courre, au tir, à l’équitation mais aussi à l’esprit des Lumières, au goût pour l’éducation, le savoir, la liberté. Chez les Camondo, on a l’amour de cette France qui les a accueillis en 1869, Nissim, le grand-père et Abraham Behor, son grand-oncle. Pas la France de Drumont ni du scandale de Panama mais bien celle de la justice, des intellectuels, de l’émancipation, de la tolérance, de l’ouverture au monde.
Ce n’est donc pas une surprise si Nissim, dépeint comme un garçon énergique et plein d’allant, décide de devancer l’appel et après des études à Janson de Sailly d’effectuer son service militaire dans un régiment de hussards en 1911. Libéré en 1913, il entame une formation de banquier, dans la tradition familiale. Le début des hostilités le trouve prêt : il s’engage dès le 3 août 1914 et écrit tous les jours des lettres d’un patriotisme fervent à son père, à sa sœur Béatrice née deux ans après lui. Il aurait pu échapper au service dans une unité combattante grâce à ses relations mais il brûle de montrer son amour pour sa patrie. Bataille de la Marne, puis guerre des tranchées, il demande ensuite à devenir aviateur. Émouvant : seul héritier, il sollicite par lettre la permission à son père, qui malgré le danger, le lui accordera…
Il sera lieutenant en juillet 1916, et survole les lignes ennemies. Il est affecté à des missions photographiques de grande importance. Le 15 décembre, il est cité à l’ordre de l’armée pour son action courageuse lors de combats aériens. Hélas le pire survient : le 5 septembre 1917, lors d’une mission de reconnaissance son observateur le sous-lieutenant Desessard est abattu, son avion est touché, il pique en spirale. Le lieutenant Nissim de Camondo de l’escadrille MF 33, blessé à la tête cherche à rejoindre les lignes françaises. Il tente un atterrissage forcé mais ne peut éviter que son avion s’écrase à la lisière du bois nommé « en lame de couteau » près du village de Leintrey en Meurthe et Moselle. Les deux lieutenants sont enterrés derrière les lignes allemandes. Nissim reçut la Croix de Guerre et la Légion d’honneur. Moïse fera rapatrier son corps au cimetière de Montmartre en janvier 2019.
Inconsolable, son père le sera jusqu’à ses derniers jours : il décide de fermer la banque et pour honorer son fils, de léguer le 63 rue Monceau, sa magnifique demeure, son chef-d’œuvre inspiré du petit Trianon et écrin de sa collection, à l’État français. Obligation pour celui–ci : en faire un musée qui portera le nom de l’aviateur héroïque. Moïse vit dans le souvenir omniprésent de celui–ci et s’éteint en 1935, sans avoir connu l’autre tragédie qui touche la famille. La sœur de Nissim, Béatrice Reinach, sera en effet arrêtée en décembre 1942 en compagnie de sa fille Fanny par la police française à Neuilly tandis que son mari Léon et leur fils Bertrand seront, eux, trahis par un passeur en Ariège. En 1943, la famille se retrouve à Drancy avant d’être déportée à Auschwitz, à six mois de distance. Personne ne reviendra. C’est la fin de la lignée des Camondo et pour beaucoup, d’une certaine idée de la civilisation. « Le fils de Moïse est mort pour la France, écrit Pierre Assouline qui lui a consacré un ouvrage éblouissant (Le Dernier des Camondo, éditions Gallimard) et sa fille l’est également. »
Reste le beau visage d’un aviateur courageux et un musée parisien au raffinement absolu qui continue à porter son nom.
Une exposition au Musée Nissim de Camondo retrace la vie au front de ce jeune homme d’exception avec un choix de lettres, son journal de campagne, des articles de presse et des photographies réunis dans un très beau catalogue (39€), du 21 septembre au 11 mars. 63 Rue de Monceau, 75008 Paris
Renseignements www.artsdecoratifs.fr
Le 5 septembre, soit exactement cent ans après la mort de Nissim de Camondo , à la synagogue Buffault à Paris, une cérémonie se tenait, honorant sa mémoire en présence du Grand Rabbin de France, Monsieur Haïm Korsia.
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