Yuval Noah Harari, l’essayiste le plus influent de l’époque, raconte dans “Homo deus” comment l’humanité va être radicalement transformée.
En 2016, Yuval Noah Harari a fréquenté 70 aéroports. « Un record que j’espère ne jamais battre. » Cet été, après une tournée promotionnelle , dix jours de méditation Vipassana et de la randonnée, l’essayiste le plus influent de l’époque profite du calme chez lui en . Pour questionner ce quadragénaire, il faut donc se rendre à Karmei Yosef, village récent qui domine la plaine côtière. Au loin, les tours de Tel-Aviv. Un chien bâtard et des chats recueillis dans la rue nous accueillent devant la villa cubiste de ce végétalien. À l’arrière, une piscine hollywoodienne témoigne du changement de statut de notre hôte. Historien à l’Université hébraïque de Jérusalem, d’abord spécialisé dans les croisades et l’histoire militaire, Yuval Noah Harari a connu en 2014 le succès mondial avec Sapiens. Une brève histoire de l’humanité. Racontant sur 70 000 années comment une espèce insignifiante de primates est devenue maître du monde, ce tour de force livresque s’est écoulé à 5 millions d’exemplaires. En France, traduit par Albin Michel en 2015, l’ouvrage continue, deux ans plus tard, à figurer dans la liste des meilleures ventes. Yuval Noah Harari est l’auteur favori des étudiants comme des « décideurs » Mark Zuckerberg, Barack Obama ou Bill Gates.
Après “Sapiens”, un autre ouvrage phénomène?
Sapiens se terminait sur ce que les Anglo-Saxons nomment un « cliffhanger », une fin ouverte. Après trois grandes révolutions (cognitive, agricole et scientifique) qui lui ont permis de s’extraire de la nature, son héros, Homo sapiens, s’apprête à acquérir des capacités divines. Voilà qui nécessitait une suite. D’où Homo deus, sous-titré Une brève histoire de l’avenir. Un nouveau maelström de disciplines (histoire, sciences, philosophie, économie…), limpide comme un plan de Sciences po, mais palpitant et provocateur comme un thriller. Cette fois-ci, l’historien s’aventure dans un vertigineux exercice de prospective. Partant du principe que les hommes ont presque réglé leurs trois grands problèmes – la famine, les épidémies et la guerre –, Yuval Noah Harari explique qu’ils vont pouvoir se consacrer à un nouvel ordre du jour : l’accession à la divinité. Des dieux ? Oh, pas le patriarche omnipotent de la Bible, plutôt des déités grecques, avec leurs faiblesses et leurs colères, mais dotées de pouvoirs incommensurables ! Cette actualisation de notre espèce, grâce à des manipulations génétiques, des bras bioniques et l’intelligence artificielle, aurait déjà commencé. Contrairement aux scénarios catastrophes des films, elle se fera progressivement, mais marquera la fin de l’humanité telle qu’on la connaissait. Face à Homo deus, Sapiens sera un bon sauvage en voie d’extinction, comme jadis il a lui-même éradiqué l’homme de Neandertal de la planète.
Yuval Noah Harari ne se contente pas d’envisager les changements corporels, il s’intéresse aussi – et ce sont les pages les plus passionnantes – aux bouleversements des fictions collectives qui donnent sens à nos existences. Les monothéismes ? Des mythologies agricoles n’ayant plus rien à nous dire sur nos vies modernes. L’humanisme et le libéralisme ? En voie de ringardisation, le « mythe » de la liberté individuelle étant mis en cause par les découvertes de la biologie et l’essor des algorithmes. On versera une petite larme, car, comme l’explique l’historien, si le libéralisme a fait des dégâts sur l’écosystème, il a, par pragmatisme, plus contribué à la paix et la prospérité de ce monde que « des centaines d’années de prêche sur le thème de “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” ». À la place, l’essayiste imagine que les data vont devenir nos nouvelles idoles.
Pas de smartphone
Lors d’une interview, Yuval Noah Harari est la preuve que le cerveau humain est peut-être un algorithme victime d’obsolescence programmée, mais qu’il a de beaux restes. Son secret ? De la méditation quotidienne et pas de smartphone (« c’est chronophage et ça empêche la concentration »). On peut reprocher à ce formidable conteur d’être trop influencé par le prométhéisme des démiurges de la Silicon Valley, mais on ne peut que s’incliner devant la puissance d’une pensée qui ouvre grand les horizons et, en cette période de contagion nostalgique, rappelle que « le train du progrès est en gare » et qu’il s’agit de ne pas le rater.
Nul besoin de maîtriser le big data prédictif pour annoncer qu’Homo deus va se hisser dans l’Olympe des best-sellers. À l’étranger, il a déjà atteint le million de ventes. Parmi les lecteurs attentifs, Bill Gates et Sergey Brin. Le cofondateur de Google a appris page 39 que, en dépit de ses investissements faramineux dans la société Calico (qui a pour projet de « tuer la mort »), le problème technique de la fin de la vie ne sera pas résolu à temps pour lui. La compagne de Brin, Nicole Shanahan, raconte qu’en découvrant son décès programmé son milliardaire de conjoint l’a appelée, totalement paniqué. Le lecteur moyen s’inquiétera davantage du coût de cette quête de la divinité technologique. Non, les robots ne risquent pas de devenir humains, mais nous, humains, allons peut-être y laisser notre conscience.
Repères
1976 Naissance à Haïfa. Il grandit dans une famille juive laïque.
2002 Doctorat à Oxford en histoire moderne. A son retour en Israël, il rencontre son futur mari, Itzik.
2003 Rejoint l’Université hébraïque de Jérusalem.
2008 Publie The Ultimate Experience : Battlefield Revelations and the Making of Modern War Culture, 1450-2000.
2014 D’abord refusé par plusieurs maisons d’édition, Sapiens (paru en France chez Albin Michel en 2015) devient un phénomène mondial.
2016 Publication en anglais d’Homo deus.
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