Les parachutistes juifs de la France Libre (2ème partie), par François Heilbronn

La France libre, le fameux régime de résistance extérieure fondé à Londres par le Général de Gaulle à la suite de son appel du 18 juin 1940, comptait de nombreux combattants juifs.
De gche à dte : F. Klotz, B. Bermond, J. Cahen, N. Beyrard, J. Rosenthal

Leur histoire est assez méconnue. Retrouvez la suite des itinéraires personnels de douze héroïques parachutistes juifs de la France Libre. Deuxième partie. Pour lire le premier volet de cette série de portraits, cliquer ici.

Jacques Cahen

Jacques Cahen[1] est né à Metz en Lorraine en 1922. Pendant la guerre, il est étudiant en école de commerce à Toulouse et participe à la résistance toulousaine par la diffusion de tracts et la pratique de sabotages. Après l’invasion de la zone libre, il passe les Pyrénées pour l’Espagne où il est emprisonné. Il ne sortira du camp de Miranda que six mois plus tard. Arrivé à Casablanca, il s’engage aux Corps Francs d’Afrique. Il se bat en Tripolitaine. Puis, d’Egypte, il s’engage dans les paras et rejoint l’Angleterre où il effectue sa formation à Ringway. Il est parachuté pour soutenir des maquis en Saône et Loire en août 44. En février 45, il retourne en Angleterre et est muté dans les SAS qui préparent l’invasion de la Hollande.

C’est lors de cette opération que décèdera aussi le Commandant Simon déjà évoqué.

Jacques Cahen est très grièvement blessé, au même titre que sept des onze parachutistes de son «stick» (sa section de combat) lors d’un encerclement de leur position par les Allemands, quand ils refusèrent de se rendre.

Il a été fait prisonnier en Allemagne jusqu’à la fin de la guerre. Croix de Guerre, Médaille Militaire et Croix de Bronze hollandaise, Jacques Cahen décède à 41 ans des suites de ses blessures.

Norbert Beyrard

Le dernier chasseur parachutiste à qui je rends hommage et qui finira la guerre avec le grade d’officier, comme Aspirant, est Norbert Beyrard de son vrai nom Norbert Benchemoul[2].

Il est né en 1925 à Palikao en Algérie. Il rejoint les FFL à 18 ans en 1943 et est envoyé à Ringway en Angleterre pour être formé comme parachutiste. Il est affecté au 3ème SAS et est parachuté en Bourgogne en juillet 1944 pour participer à des dizaines d’opérations de sabotage. Son «stick» porte le nom de son Lieutenant : le «Stick Zermati» – l’adjoint étant le sous-lieutenant Rémi Dreyfus. La plupart des membres de son commando sont juifs (Sebag, Barkatz, Lombardo, Beyrard). Ils s’illustreront glorieusement dans la bataille de Sennecey-le-Grand – celle où une vingtaine de SAS soutenus par le maquis de Corlay blessent ou tuent près de 1.000 soldats allemands en attaquant la garnison sur des jeeps armées de mitrailleuses. Sur les vingt paras engagés ce jour-là, onze périssent. Six d’entre eux étaient juifs et Norbert Beyrard récitera le Kaddish pour eux : l’Aspirant Lyon-Caen, l’Adjudant Benhamou, les deux frères Djian, les parachutistes Barkatz et Lombardo. Cette action commando permettra la libération de Châlons-sur-Saône et fut tellement emblématique que c’est à Sennecey-le-Grand que fut érigé, après guerre, le Mémorial des SAS tués lors des combats pour la libération de la France.

Beyrard, comme les autres SAS, est ensuite renvoyé en Angleterre pour être parachuté en avril 45 aux Pays-Bas. Nommé officier, il doit, avec son stick, fixer les Allemands dans la ville d’Orange. Ils se battent à 20 contre une centaine de paras allemands. Il est grièvement blessé et fait prisonnier mais s’évade quelques semaines plus tard et retrouve les SAS. Il reçoit la Légion d’honneur, la Médaille Militaire et la Croix de bronze hollandaise et reprend ses études d’ingénieur. Après guerre, Beyrard déclara « Dans mon Bataillon du 3ème SAS, sur 400 parachutistes, près de 100 étaient juifs et 15 étaient officiers »[3].

Parachutistes, français, Juifs et espions

Mais au delà de ces parcours de français juifs ayant servi dans les unités parachutistes de la France Libre, je souhaite évoquer six autres itinéraires de parachutistes français et juifs, celui des espions et des saboteurs des services secrets alliés.

J’ai choisi de relater le destin héroïque de cinq hommes et une femme, tous officiers des services actions des services secrets anglais, français ou américains, tous français, juifs et tous brevetés parachutiste.

Ils combattirent pour les différents services d’espionnage et de sabotage des forces alliées. Le Bureau Central de Renseignement et d’Action, le BCRA, le service secret de la France Libre. Le Special Operation Executive, le SOE, unité spéciale des services anglais, créée par Churchill pour toute l’Europe avec pour seule instruction : «And now, set Europe ablaze». Chaque pays disposait d’une branche, celle qui nous intéresse est la French Section, F Section, plus connue sous le nom de «Réseaux Buckmaster». Enfin, l’Office of Strategic Services, l’OSS des Américains, ancêtre de la CIA. Les missions étaient aussi parfois coordonnées entre les différents services, ainsi fut créé à Alger le SPOC (Special Project Operations Center) pour coordonner les actions du BCRA, du SOE et de l’OSS pour préparer le débarquement de Provence.

Jean Rosenthal

Commençons notre évocation, par un Compagnon de la Libération et un des plus décorés, Jean Rosenthal[4].

Jean Rosenthal est né en 1906 à Paris. Il rejoint Leclerc en 1942, comme Lieutenant de chars. En septembre 1943, il est incorporé au BCRA et envoyé avec un officier anglais du SOE inspecter les maquis de Savoie. Revenu à Londres pour rendre compte directement à de Gaulle, il est à nouveau déposé dans le Jura comme délégué de la France Combattante en Haute-Saône. Il participe aux missions des Glières et sabote les usines d’Annecy. Il organise en février 44, plusieurs parachutages sur le maquis des Glières. Il participe à la défense du Plateau des Glières. Le légendaire Tom Morel est abattu non loin de lui.

Il retourne à Londres en mai 1944 pour être ensuite parachuté en juin 44 à Cluny. En août 1944, il commande les maquisards de Haute-Savoie et reçoit la capitulation des forces allemandes commandées par le Général Oberg.

Et c’est sur le lieu même de ces combats que de Gaulle lui remet la Croix de la Libération.

Il se bat ensuite en Extrême-Orient contre les Japonais comme commandant d’unité parachutiste. Jean Rosenthal, colonel de réserve, fut fait Grand Croix de la Légion d’honneur. Il fut aussi l’ami et le héros d’un roman de Kessel, «La vallée des rubis». Voici comment Kessel traçait son portrait dans ce superbe roman :

«Il n’entre pas, il charge. Il ne marche pas, il court. Il ne parle pas il a la fièvre. Aucun des sentiments n’est banal, stable ou modéré. Il s’exalte, il s’enflamme, il brûle. C’est ainsi que pendant la guerre, parachuté ou déposé par avion, il allait et venait entre Londres et la France, animait les maquis de Savoie, réussissait les missions les plus désespérées dans une sorte de frénésie épique, inconsciente et joyeuse.»[5]

Enfin il fut Président du CRIF dans les années 70.

Bernard Bermond

Le deuxième, le Lieutenant Bernard Bermond[6] fut un de mes amis. Né en 1921, il s’engage dans la résistance au Havre en 1941. Il rejoint Marseille et se joint aux réseaux Corses. Arrêté en Corse pour faits de résistance, il participera ensuite à la libération de l’île. 
Il rejoint après cela Alger où il est détaché par l’armée française auprès des services secrets américains, l’OSS. Il débarque en décembre 1943 en sous-marin près de Ramatuelle et a pour mission, avec son réseau, de fournir les plans de défenses des Côtes de Provence. Une fois les informations recueillies, il gagne l’Espagne où il est arrêté avant de s’évader et rejoindre Alger en mars 1944. A Alger, il peut enfin remettre les micro-films des plans de défenses côtières allemandes. Il est ensuite parachuté près de Marseille le 24 mai 1944. Arrêté par la Gestapo, le 12 juin, dans un piège tendu par un milicien, Paul Pavia, il arrive à s’évader des geôles de la rue Paradis et à faire tomber après guerre les traîtres responsables de son arrestation. Grâce, entre autres, à ses renseignements, le débarquement de Provence du 15 août 1944 est un succès. Après guerre, il rejoint la branche action des services secrets français. 

Il fut fait Commandeur dans l’Ordre de la Légion d’Honneur. Bernard Bermond, de son vrai nom Benjamin Benezra, était né le 3 mars 1921 à Istanbul dans une famille juive turque.

François Klotz

Evoquons maintenant un autre officier parachuté pour diriger un réseau de saboteurs FTP à Marseille. Le lieutenant François Klotz.

François Klotz[7], est né en 1908 à Garches (Seine). Il est le fils de Henry Klotz, lieutenant-colonel de réserve et officier de la Légion d’honneur à titre militaire, et de Flore Hayem. Sa famille, d’origine juive lorraine, est parisienne depuis 1731. Industriel parfumeur à Paris, il est mobilisé au 193e régiment d’artillerie en 1939-1940. Il rejoint le Maroc en 1941 et appartient, là, au groupe de résistants du réseau Schuman-Mengin. Lors de la préparation du débarquement allié au Maroc, il est arrêté à Marrakech avec un membre de son réseau, Albert El Khouby, par la police de Vichy et emprisonné à Casablanca en juin 1942. Torturé maintes fois, battu, comme Juif, il y reste six mois. Libéré à l’issue du débarquement américain, il rejoint les Forces Françaises Libres, aux Commandos d’Afrique, en décembre 1942. Il prend alors part aux combats de Tunisie, où il est blessé et décoré de la Croix de Guerre. Parlant parfaitement anglais, il est détaché par les FFL en février 44 auprès du SPOC (Special Project Operations Center, l’unité alliée issue de l’OSS, du SOE et du BCRA) à Alger, au sein de la sous-section française dirigée par le Commandant anglais, Brooks Richards. Le SPOC était responsable de la liaison et de l’alimentation, par air et par mer, en armes et en officiers et sous-officiers des maquis du sud-est de la France.

Le lieutenant François Klotz (alias François Kerret, alias «Edgar») a été parachuté seul, dans la nuit du 28 au 29 juin 1944, dans l’Hérault pour prendre la direction du réseau de résistance SOE «Monk» de Marseille, en vue de la préparation du débarquement de Provence. Ce réseau Monk du SOE avait été créé par le Capitaine anglais, Charles Skeper alias «Bernard» dans la région de Marseille en juin 1943. Il avait notamment organisé les attaques du tunnel de Cassis et le déraillement de Saint-Maximin, avec l’aide des FTP d’Aix. «Bernard» fut arrêté par la Gestapo de Marseille en mars 1944. Il est mort en déportation au même titre que ses deux adjoints, le Capitaine Arthur Steele, son opérateur radio et le lieutenant Eliane Plewman, son agent de liaison.

François Klotz fut parachuté pour remplacer «Bernard», avec 25 «containers» d’armes, et pour être réceptionné par l’opérateur radio du réseau Monk. Hélas ! Cet opérateur, le lieutenant Steele, avait craqué sous la torture et avait émis des messages vers Alger sous le contrôle du contre-espionnage allemand et de la milice française. François Klotz fut certainement réceptionné, par des miliciens français se faisant passer pour des résistants, dont Paul Pavia, un des chefs de la milice de Marseille, le même qui arrêta Bernard Bermond. Conduit à la Gestapo de Marseille, rue Paradis, François Klotz a soit avalé sa pilule de cyanure, soit est mort sous la torture soit a été fusillé au charnier de Signes, avec d’autres chefs de la résistance provençale et des officiers alliés, le 18 juillet 1944. Ce même mois de juillet 44, son père Henry, deux de ses sœurs, Lucienne et Denise, et sept autres membres de sa famille étaient arrêtés à Paris comme juifs pour être déportés à Auschwitz-Birkenau. Aucun d’eux ne revint.

François Klotz se vit attribuer à titre posthume la «Silver Star Medal» (une des plus hautes décorations militaires américaines), la Médaille Militaire et la Croix de Guerre 1939-1945.

François Klotz était mon grand-oncle, mais il est aussi à l’origine du prénom que je porte et du fait que je choisis de servir comme Lieutenant de réserve parachutiste de l’armée française.

(A suivre)

[1] Dossier militaire de Jacques Cahen transmis par son fils François Cahen.
[2] Sources :
Colonel Roger Flamand, Paras de la France Libre, Presses de la Cité.
La guerre d’indépendance d’Israël, 1948-1949, Témoignages des volontaires français, édition MAHAL.[3] Source : La guerre d’indépendance d’Israël, 1948-1949, Témoignages des volontaires français, édition MAHAL.
[4] Source : Musée de l’Ordre de la Libération.
[5] Joseph Kessel, La vallée des rubis, p.2, Folio.
[6] Sources :
Fabrizio Calvi, OSS, la guerre secrète en France, Nouveau Monde Editions.
Guillaume Vieira, La répression de la Résistance par les Allemands à Marseille et dans sa région (1942-1944), Aix-en-Provence, thèse d’histoire, Université d’Aix-Marseille, 2013.
[7] Sources :
Archives nationales britanniques, SOE série HS 39.
Archives nationales de Etats-Unis, OSS, dossier Mercenary/Klotz.
Central Archives for the History of the Jewish People, Jérusalem, Dossier KF opération Mercenary, état de service.
Guillaume Vieira, La répression de la Résistance par les Allemands à Marseille et dans sa région (1942-1944), Aix-en-Provence, thèse d’histoire, Université d’Aix-Marseille, 2013.
Le Maitron, dictionnaire biographique des fusillés et exécutés, 1940-1944.

François Heilbronn

 Source laregledujeu

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