Lors de la 40ème édition de Jazz in Marciac, le contrebassiste israélien Avishai Cohen a enflammé le public. Quelques jours plus tôt, Omer Avital, autre musicien israélien, avait, lui aussi, fait forte impression. En quelques années, Israël est devenue l’une des grandes scènes du jazz, en produisant une pléiade de stars. Les explications d’un essor impressionnant.
Avishai Cohen est une grande star. Ce vendredi 4 août, le contrebassiste israélien a enflammé le Grand Chapiteau de Marciac, en présentant un nouveau mélange de rythmiques orientales, de jazz classique et d’accents pop dans son nouvel album, “1970”, qu’il jouait pour la première fois en public. A 49 ans, cet artiste très éclectique fait évoluer sa musique métissée, en la teintant de mélodies des “seventies “, tout en conservant ses racines orientales, grâce à des musiciens hors pair, comme le percussionniste Itamar Doari et le guitariste Elyasaf Bishari. Au sommet de sa carrière, Cohen affiche souvent complet dans ses concerts dans l’Hexagone -il se produira à l’Olympia le 27 novembre- et a même signé la musique du prochain film d’EricToledano et d’Olivier Nakache ” Le sens de la Fête “.
Mais Avishai Cohen est une star qui a la grosse tête. Acceptant de répondre aux questions de ” Challenges “, il a brutalement mis fin à l’interview, au bout de deux minutes, lorsqu’il a appris le sujet de l’article, sur la nouvelle vague d’artistes de jazz venus d’Israël. Le contrebassiste, qui a été le premier israélien à émerger sur la scène mondiale, n’accepte de parler que de lui, de sa musique, de son album, de ses projets. Et ne veut surtout pas qu’on le mélange à ses compatriotes. Dommage…
Une grande influence de la musique arabe
Beaucoup plus chaleureux, Omer Avital, un autre contrebassiste israélien, avait aussi captivé le public de Marciac, quelques jours plus tôt, le 29 juillet. Ce soir-là, il avait proposé un jazz assez occidentalisé, avec d’impressionnants chorus de ses deux saxophonistes, Alexander Levin et Asaf Uria. Mais son répertoire oriental est détonnant, comme il l’a montré lors d’un concert mémorable à Paris, au Café de la Danse en 2014, où le public a fini le concert debout, emporté par les rythmes ternaires. « Je ne suis pas seulement influencé par la musique arabe. Je la connais et je l’ai étudiée », nous confie-t-il, avant de monter sur scène. « Ma musique est mélodique, rythmique et polyphonique ».
Enfin, le 11 août, c’est le pianiste franco-israélien Yaron Herman qui se produira en trio à Jazz in Marciac, aux côtés du batteur Ziv Ravitz, avec qui il a enregistré un album enthousiasmant, « Everyday ». Avec un répertoire plus pop rock, Herman s’est fait connaître du grand public par sa version jazzy de Toxic, le tube de Britney Spears. L’année dernière, c’est à lui que le festival avait demandé d’organiser un concert, sous le Grand Chapiteau, avec de multiples invités dont le très populaire, et un peu envahissant, Mathieu Chédid -M.
Une incroyable vitalité musicale
Impressionnant ! Une pléiade de musiciens israéliens est en train de percer sur la scène jazz mondiale. Outre la délégation présente à Marciac, il faut compter avec Shai Maestro, l’ancien pianiste d’Avishai Cohen, qui a sorti quatre albums très remarqués par la critique. Il y a aussi un autre Avishai Cohen, trompettiste à la longue barbe, qui a collaboré avec de nombreux musiciens de jazz à New York, et dont la carrière décolle. De son côté, le pianiste Omer Klein séduit les critiques, notamment les programmateurs de la radio TSF Jazz, qui ont beaucoup apprécié ses derniers albums. Sans oublier le guitariste Amos Hoffman ou le pianiste Yonathan Avishai, ex musicien d’Omer Avital, qui, lui aussi, a décidé de voler de ses propres ailes….
Comment expliquer une telle vitalité musicale, dans un pays de 8,5 millions d’habitants ? Après New York et Paris, Tel Aviv est devenue la troisième ville du jazz dans le monde, avec de nombreux clubs, qui essaiment aussi à Jérusalem ou à Haïfa. Très vite, les espoirs du jazz israélien ont eu la bonne idée de s’exiler à New York, la capitale du jazz. Le pionnier a été Omer Avital, au début des années 90, suivi par Avishai Cohen (le contrebassiste). Les débuts ont été difficiles. Cohen a d’abord joué dans la rue, avant d’être repéré par le pianiste Chick Coréa, qu’il accompagnera dans plusieurs groupes. Comme beaucoup d’autres, Avishai Cohen va ensuite rentrer en Israël pour aider à l’émergence de cette musique –il dirige notamment le RedSeaJazz festival d’Eilat.
Pour produire autant de prodiges, Israël se distingue par la qualité de ses écoles de musique, dont la première a été créé par le pianiste Amit Golan. « C’était un pionnier. Le jazz israélien lui doit beaucoup », s’exclame Omer Avital. Après avoir étudié à New York, Amit Golan retourne en Israël, au début des années 90 afin de fonder le « Centre pour les Etudes de Jazz », pour former des générations de musiciens, qui vont colorer cette musique.
Pour autant, ces artistes venus d’un Etat, qui a connu plusieurs guerres et en conflit permanent avec les palestiniens, ne sont pas très politisés. « Je n’ai pas de message politique spécifique. Ce conflit est une tragédie. Mais la politique est quelque chose à part. Moi, j’utilise le langage de la culture », nous confie Omer Avital. Toutefois, l’émergence de cette cohorte de musiciens est un symbole. Car en imprégnant leur jazz de musique arabe, ils affichent une ouverture que beaucoup de dirigeants politiques de leur pays refusent obstinément.
Le jazz et la musique en général comme élément fédérateur de la paix au Proche orient ?