Au nom de ses grands-parents et de son père, Richard Biagi reçoit aujourd’hui à la Villa Eilenroc le titre de Juste parmi les Nations. Retour sur une famille de Résistants pendant l’occupation.
Ce sont des souvenirs qu’on évoque peu dans la famille. Par pudeur, peut-être. Par effroi du passé, sûrement.
Quand le téléphone sonne chez Richard Biagi et qu’on lui annonce que sa famille va recevoir le titre de Juste parmi les Nations, c’est l’incertitude. Son père n’a jamais souhaité recevoir une quelconque récompense de son vivant. Mais après tout, ces douloureux souvenirs sont désormais un chapitre de l’Histoire.
Après réflexion, le retraité Antibois accepte. Le rendez-vous est fixé aujourd’hui à la Villa Eilenroc. Une médaille et un diplôme lui seront remis. Deux symboles pour immortaliser le combat de son père, Jean, et de ses grands-parents, Joseph et Émilie.
Ce qu’ils ont fait de si héroïque ? Richard Biagi l’évoque brièvement, tant le sujet était épineux. Tant cet acte de bravoure avait paru normal à ses aïeux.
« Mes grands-parents gardaient la demeure d’un couple d’Américains à Cagnes-sur-Mer. Quand les nazis ont débarqué en France et ont commencé à rechercher des juifs, ils en ont caché dans la maison », relate-t-il simplement.
Un choix qui, dit comme ça, peut paraître logique, mais qui aurait pu leur coûter la vie à tous. Si la famille s’en est finalement sortie indemne, son père a failli en payer le prix fort. Jean Biagi était chargé d’accompagner les juifs dans l’arrière-pays, là où les nazis n’allaient pas les chercher. Il leur apportait aussi de quoi manger. « De peur qu’ils les trouvent dans la maison, mon père faisait monter les juifs dans des communes reculées en passant sous le pont du Var, puis par le chemin des contrebandiers », précise Richard. Seulement, la délation était monnaie courante à l’époque. La répression, elle, était plus que violente. Sitôt le manège découvert, Jean Biagi a été conduit en Allemagne. « Ils l’ont enfermé dans un placard, nu, et ils l’ont frappé. Il a eu les poumons perforés et des côtes cassées. Ils l’ont laissé deux jours sans manger avant de l’emmener en camp de travail », détaille le fils. Des récits qu’il n’entendit que de la bouche de sa mère ; le père n’en a jamais dit mot à ses enfants.
Le jour où le camp a été bombardé fut synonyme de libération pour le jeune homme. Même si l’image de ses camarades, victimes du drame, laisse des traces.
« Mon père a réussi à s’enfuir par les égouts. Ensuite, il a traversé l’Autriche à pieds jusqu’en Italie, où il est resté chez ses parents pour se requinquer », retrace Richard Biagi. La suite n’est guère plus rose. La famille italienne a été dénigrée par la France pour ses origines et ignorée par l’Italie car « les faits se sont passés en France ». Finalement, ni Jean Biaggi ni ses parents n’ont été reconnus pour leurs actes. Jusqu’à aujourd’hui.
Des familles juives, ils en ont pourtant sauvé beaucoup. Ce sont finalement les descendants des Konigsberg qui ont réussi à retrouver leur bienfaiteur. « Rachel, une femme qu’il avait aidée, était revenue voir mon père il y a quelques années. Ça lui avait fait plaisir, se souvient Richard Biagi. Elle lui avait déjà proposé le titre, mais il avait refusé. Il disait que puisqu’il n’a jamais été reconnu, il n’était rien du tout ». Il aura fallu attendre plus de 70 ans pour le faire mentir. Sept décennies pour faire reconnaître ces lourds secrets enfouis sous le poids de la douleur. La démarche est souvent ardue pour les descendants, mais nécessaire pour aller de l’avant. Nécessaire pour faire jurer aux nouvelles générations qu’elles n’en arriveront plus jamais là.
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