Une blague circule en Israël. La plus méchante des mesures disciplinaires qui pourrait frapper les stewards d’EL AL, c’est d’être transférés sur la ligne Paris Tel Aviv. Qui transporte, chacun le sait, les pires, les plus stupides parmi les Juifs – les Français. Les Francophones sont souvent l’objet des moqueries israéliennes, qui les montrent comme bruyants, chauvins, arrogants et agressifs.

Et, si l’on en croit la ridicule chamaillerie née des obsèques de Simone Veil au Cimetière du Montparnasse, ceux qui s’efforcent de sauver leur réputation ont du pain sur la planche.
Veil, décédée le 30 juin, demeure une des personnalités les plus marquantes de la politique française, et de l’histoire juive. Née en Lorraine[1], en 1927, dans une famille non religieuse, qui eut à souffrir des lois de Vichy. Son père, André, architecte, prix de Rome 1919, se retrouva sans travail, dès 1940, à cause des lois qui interdisaient nombre de professions aux Juifs. A 16 ans, Veil, fut arrêtée lors d’une fête célébrant son baccalauréat. Puis, elle fut déportée, avec sa famille en mars 1944.
Son père et son frère Jean furent envoyés en Lituanie, d’où ils ne revinrent pas. Tandis que sa mère, sa sœur et elle-même furent déportées à Auschwitz-Birekenau, et affectées au déchargement de camions de pierres, et au creusement de fossés. En 1945, les trois femmes participèrent à la terrible marche de la mort. La mère de Simone mourut du typhus à Bergen-Belsen, un mois avant la libération du camp par les troupes britanniques.
Après la guerre, Simone termina ses études de Droit et épousa Antoine Veil. Le couple eut trois fils ; Simone fut un haut fonctionnaire du Ministère de la Justice, où on remarqua sa force de caractère. Durant la guerre d’Algérie, elle obtint que les musulmanes détenues à Alger soient transférées à Paris, afin d’éviter la torture et le viol, une pratique courante à cette époque.
Mais, son action politique qui la fit connaître demeure la loi légalisant l’avortement. La loi de 1974fut votée lorsque qu’elle était Ministre de la Santé du gouvernement de Giscard d’Estaing. Durant la présentation de la loi à l’Assemblée Nationale, Veil dut faire face à l’opposition de la Droite et du Front National[2], l’accusant de génocide contre les enfants français. Ils la qualifièrent de Nazi suggérant qu’il aurait été préférable qu’elle ne revint pas des camps.
Son décès, le mois dernier fit la première page de tous les journaux. Et le Président Macron lui rendit hommage dans la cour des Invalides, où les héros français sont honorés depuis Napoléon. L’orchestre militaire joua la Marseillaise et le Chant des Déportés ; toutes les chaines de télévision disffusèrent la cérémonie. Le cercueil fut transporté au Cimetière du Montparnasse, où eurent lieu les funérailles auxquelles seuls la famille et les proches étaient conviés. Et c’est là que le « cirque » commença.
Le 6 juillet, le lendemain des obsèques, la femme Rabbin Delphine Horvilleur, publia un hommage à Veil dans « Le Monde », la présentant comme une héroïne du féminisme. Elle dit que Veil était réellement un « Mensch » . Elle ajouta : « ce terme n’a pas de féminin, mais qualifie bien Simone Veil, dont la vie exemplaire demeure une bénédiction pour les femmes de ma génération ». L’article se terminait par une note précisant que, à la demande de la famille Veil, le Kaddish devait être lu simultanément par Haim Korsia, le Grand Rabbin de France et le Rabbin Horvilleur.
Quelques heures après la publication, le service de presse du Rabbin Korsia passa un coup de téléphone furieux , non pas au « Monde », mais à un petit journal nommé « Actualité Juive » dont le tort fut de reproduire l’information que Horvilleur avait dit le Kaddish, en même temps que Korsia. « Non » contesta le service de presse du Rabbin, Horvilleur n’a pas dit le Kaddish ». La raison pour laquelle le courroux tomba sur le pauvre journal, au lieu du « Monde » demeure un mystère de magnitude théologique. Toujours est-il que le journal juif publia, sur une demi page, sa repentance. Il fut précisé que Horvilleur n’avait pas assisté aux funérailles. L’article fut aussitôt posté sur Facebook ; peu de temps après, le Mouvement Liberal et Horvilleur elle-même, reçurent des emails les accusant d’exploiter la mort de Simone Veil.
Selon ces publications, Veil avait demandé qu’un kaddish soit dit lors de ses funérailles., ce qui était le signe qu’elle était demeurée une bonne juive. Et les libéraux autorisèrent une femme de le réciter, ce qui signifie qu’eux ne sont pas de bons juifs. Tandis que Horvilleur refusait de répondre, « Le Monde » publiait quelques témoignages obligeant le journal juif à faire paraître un troisième article de même importance sur le sujet. L’attention était maintenant attirée par le fait de savoir si Korsia avait pris le micro des mains de Horvilleur ; ou s’il lui avait simplement tourné le dos. On aurait pu croire au scénario d’un épisode de « Seinfeld !»
Ou peut-être n’est-ce qu’une mauvaise blague, si on considère la distance entre la condition précaire des Juifs de France et leur volonté de se livrer à de telles lamentables querelles. Cet incident est révélateur des différents aspects de la vie juive en France. Le mouvement libéral a été marginalisé depuis des décennies ; admettre qu’une femme lise le kaddish, même s’il s’agit d’une femme rabbin, n’est pas considéré comme casher, par une importante partie des juifs religieux. La plupart de ceux-ci sont originaires du Maghreb ; ils sont venus en France dans les années 1960, après avoir fui les anciennes colonies. Nombre de juifs orthodoxes, parlant le yiddish, que vous rencontrez dans le Marais, viennent de Tunisie. Ils ont appris le yiddish à la synagogue, non à la maison. Korsia, lui-même, bien que né à Lyon, est originaire d’Algérie.
Cette histoire, à propos des funérailles de Veil, illustre, cependant, la place des femmes dans la vie religieuse ; ce qui est d’une amère ironie, quand on sait que Simone Veil est une icône du féminisme. En tant que juive ashkénaze non observante, Veil était une des dernières représentantes de la communauté juive européenne, la cible principale d’Hitler. Ces Juifs que la révolution française avait reconnus comme citoyens. En demandant que le kaddish soit lu sur sa tombe, elle témoignait son appartenance à l’histoire juive. Les Sépharades, de leur côté, ont compris cette requète, différemment ; pour eux, il s’agit de repentance, et du retour à la religion, comme on rentre à la maison.
Ce point de vue s’explique par le contexte historique. Pendant la guerre, malgré que les lois de Vichy fussent applicables dans les colonies, peu de Juifs de Tunisie, Algérie et Maroc subirent la terreur nazie. Dans les années 80/90, lorsque la Shoah finalement devint un sujet de conversation admis, et parfois obsessionnel, nombre de Sépharades ont considéré que leur exil forcé et les souffrances qui s’en suivirent étaient marginalisés. Beaucoup d’entre eux devinrent observants, en réaction aux Ashkénazes résolument séculiers. Les Sépharades en vinrent à se considérer comme les « vrais » Juifs de France ; comme les sauveurs du judaïsme français qui était à l’agonie avant la Seconde guerre mondiale. Certains rabbins sépharades allèrent encore plus loin ; ils émirent l’idée que, , la Shoah était un acte de punition divine causée par leur manque de piété
La question de savoir si oui ou non une femme rabbin libérale peut dire le Kaddish ne peut être posée qu’en France.
Un article de «Tablet» , par Mark Weitzmann
Traduit et adapte par Victor Kuperminc
Note du traducteur adaptateur
L’article de Weitzmann est certes digne d’intérêt. Il est cependant contestable, sur bien des points. Il est destiné à expliquer à la communauté juive américaine le comportement bizarre des juifs français. Le ton persifleur, est déplaisant, voire déplacé, s’agissant de faits se déroulant sur la tombe d’une grande juive française. Et de nombreuses erreurs historiques rendent le propos peu crédible.
L’animosité supposée entre sépharades et ashkénazes, si elle existe, n’est pas vérifiée dans les faits. Le rédacteur de cette note, ashkénaze qui a survécu à la Shoah, peut témoigner de la bonne entente entre les deux communautés. L’idée même qu’il existerait une concurrence de la persécution entre un rescapé, ou un enfant caché, et un rapatrié « qui a tout laissé là-bas », est un cruel contresens.
VICTOR KUPERMINC
[1] Non, M. Weitzmann. Simone Veil est née, le 13 juillet 1927, à NICE (NdT)
[2] Non, M. Weitzmann. Le Front National n’avait pas de députés en 1974. (NdT)