Affaire Dreyfus : en août 1899, Rennes devient le centre du monde

Été 1899. Rennes, supposée paisible et pondérée, devient un volcan politique et le théâtre d’une parodie de justice à l’occasion de la révision du procès du capitaine Dreyfus.

Le capitaine Alfred Dreyfus, condamné cinq ans auparavant à la dégradation et à la réclusion perpétuelle pour haute trahison, doit y être rejugé devant le tribunal du 10e corps d’armée. Après une campagne de deux ans, menée par la famille du militaire juif, des journalistes, des politiciens et des écrivains, le « J’Accuse… ! » d’Émile Zola a fait l’effet d’une bombe. La cour de cassation a invalidé le jugement du conseil de guerre de Paris deux mois plus tôt.

Une ville antidreyfusarde

Le choix de Rennes s’est imposé notamment en raison de sa réputation de ville paisible et pondérée. À l’évidence une erreur d’appréciation. « Un choix malheureux », selon le professeur Henri Sée. Car c’était oublier que la tradition catholique y est forte et donc, que l’antisémitisme d’inspiration chrétienne s’y donne, sans complexe, libre cours.

En toute bonne conscience, la majeure partie du clergé catholique se retrouve dans le camp antidreyfusard. De même, bien sûr, que les conservateurs et les monarchistes. Le Journal de Rennes est formel : « il est contre-nature d’être catholique et dreyfusard ». Si l’opinion publique rennaise est, dans sa majorité, hostile au capitaine, le dreyfusisme commence timidement à s’y organiser, fin 1898. D’abord chez une poignée d’universitaires, puis dans le mouvement socialiste naissant. En janvier 1899, Victor Basch, professeur de philosophie de la faculté des lettres, crée dans la capitale bretonne la première section de la Ligue des droits de l’homme, après Paris. De retour du bagne de l’île du Diable en Guyane, Dreyfus arrive à Rennes le 1er juillet et est immédiatement enfermé à la prison militaire de la ville.

Le procès s’ouvre le 7 août, dans la salle des fêtes du lycée, transformée en tribunal. L’ambiance est lourde, la chaleur accablante. Heureusement, les débats se tiennent de six heures du matin jusqu’aux environs de midi. Cela permet de profiter de la fraîcheur du petit jour. Livrée aux forces de l’ordre, notamment à cheval, et aux agents secrets, la ville bruit de complots en tous genres. La haute hiérarchie militaire ainsi que le Tout-Paris débarquent sur les rives de la Vilaine : Maurice Barrès, Jean Jaurès, Ernest Psichari, Gaston Leroux, Octave Mirbeau…

Le monde entier a dépêché des journalistes pour couvrir l’événement. Ils ne se privent pas de dénoncer le déroulement à charge du procès. L’envoyé de la reine Victoria s’indigne : « Quelle offense à la justice que cet interminable défilé d’accusateurs devant la barre. Pourquoi donc cette complaisance en faveur de l’accusation ? La France ne sait donc pas que le monde entier a les yeux fixés sur l’affaire Dreyfus ? »

La France montrée du doigt

Aspirés par l’Histoire, les Rennais sont sommés de choisir leur camp. Celui du « traître » ou celui du « martyr ». La tension monte d’un cran quand, le 14 août, Me Fernand Labori, l’un des avocats du capitaine, est victime d’un attentat en se rendant au tribunal. L’extrémiste qui lui a tiré dans le dos ne sera jamais retrouvé. Les rares commerçants juifs rennais font l’objet de menaces. De fait, le nouveau procès est une parodie de justice. Les conclusions de la cour de cassation, qui ont pourtant force de loi, sont ignorées systématiquement. Toutes les accusations écartées par la révision sont reprises, aggravées par des charges nouvelles, mensongères et illégales. Quand, au terme de cinq semaines de débats, tombe l’absurde verdict : dix ans de réclusion pour « trahison avec circonstances atténuantes ».

Consternation et colère s’expriment, notamment à l’étranger, où la condamnation de la France est unanime. Des voix s’élèvent même pour boycotter la prochaine Exposition universelle. À bout de forces, Dreyfus accepte la grâce présidentielle, signée le 19 septembre par Émile Loubet. Libéré deux jours plus tard, il n’est pas pour autant innocenté et ne sera réhabilité que six ans plus tard, le 12 juillet 1906. Il démissionne de l’armée l’année suivante, participe à la Première Guerre mondiale en tant qu’officier de réserve, et meurt à l’âge de soixante-seize ans, en juillet 1935, dans l’indifférence la plus totale. « L’histoire a voulu que ce fût dans cette ville de Rennes que se jouât l’un des drames les plus palpitants de l’histoire de France et même de l’histoire universelle », conclut en 1909, le journaliste Francis de Pressensé. Elle mettra du temps à s’en remettre.

Source letelegramme

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