La résistance dans la peau : les tatoueurs de Mossoul

Il est caché derrière un simple mur de tôle : le premier salon de tatouage de Mossoul. L’artiste, Amar, 29 ans, nous claque la bise avec un grand sourire.

Avec sa moustache, sa bague et son marcel blanc qui dévoile des bras tatoués, on a le sentiment de l’avoir déjà croisé à Brooklyn ou à Berlin. Le salon, ouvert il y a trois mois à Karamah – un quartier pauvre mais épargné par les combats – fait une dizaine de mètres carrés. Juste de quoi accueillir la douzaine de jeunes qui se pressent bruyamment autour d’Amar, occupé à dessiner sur l’épaule de son ami Zaid les prémisses d’un nouveau tatouage.

« J’avais 9 ou 10 ans quand j’ai tatoué quelqu’un pour la première fois. Saddam Hussein était encore là ! », s’exclame Amar en plongeant son aiguille dans un pot d’encre. Tour à tour, la bande de jeunes se déshabille pour révéler leurs corps en éclatant de rire. L’assemblée semble anormalement débridée. « C’est parce que maintenant on se soûle tout le temps », précise un tatoué qui n’avait pas bu de whisky depuis 2014. La plupart portent tigres et dragons, pin-up à grosse poitrine ou scorpions, mais Zaid, lui, a choisi de représenter sa liberté retrouvée. Sur sa peau, les perles de sang finissent par s’estomper. C’est un papillon.

Le client suivant, Hazam dit « La Moustache », 38 ans, a lui opté pour un tigre et une femme charnue, afin d’illustrer « la puissance et l’amour ». Ce qui amène à 17 le nombre de tatouages de ce soldat. À peine plus que le nombre de crimes de guerre qu’il dit avoir commis. « Pour me venger j’ai décapité plusieurs membres de l’EI. J’ai mis des photos sur Facebook si jamais vous voulez voir », explique, nonchalant, ce natif de Mossoul qui avait réussi à fuir la ville pendant l’occupation pour mieux revenir après avoir rejoint une milice. Le but : se venger. Alors qu’Amar perce la chair de son dos avec une aiguille, Hazam tire longuement sur une cigarette et laisse la fumer couler à travers sa large moustache noire : « J’en ai décapité 14 je crois, c’est un sentiment agréable. J’ai un couteau spécial pour eux. »

Les autorités irakiennes ont annoncé le 7 juillet la reprise totale de Mossoul, mais dans la partie Est, reconquise il y a six mois déjà, les affaires ont repris pour Amar : près de 300 clients au compteur pour des tatouages entre cinq et 200 dollars. Pas même la prise de la ville par l’EI en juin 2014 et l’instauration progressive d’un régime sanguinaire n’avait pu arrêter l’artiste. Mais il faut se faire discret. Il ferme alors son salon et exerce à domicile. « Je ne tatouais que des amis proches, à qui je pouvais faire confiance. La règle c’était : s’ils t’attrapent et vont te tuer, tu acceptes et tu ne donnes pas mon nom. »

En deux ans et demi d’occupation, plus de 50 personnes font appel à Amar pour hurler leur opposition en silence. « Les gens voulaient se faire tatouer parce que l’EI l’interdisait. C’était leur façon de résister », estime ce père de deux enfants, marié à une femme à qui il a tatoué une rose. Mais on finit par le dénoncer : il écope de dix jours de prison et de 100 coups de fouet dans le dos. Puis il recommence. « J’adore l’interdit », lâche Amar, un sourire en coin et une cigarette aux lèvres.

Mais pour certains tatoueurs, la résistance au « Califat » n’a pas été que symbolique. Hussein, qui utilise un surnom pour des raisons de sécurité, a décidé d’apprendre à tatouer – une semaine après la chute de Mossoul aux mains des djihadistes – en regardant des tutoriels sur internet. Faute de matériel disponible, il construit sa propre machine à partir des pièces d’un rasoir électrique, un câble USB, un stylo et du ruban adhésif. Le jour, ce tatoueur de 23 ans dessinait sur des corps. La nuit, il parcourait avec ses amis les rues de son quartier pour taguer un « R » sur les maisons occupées par des membres de l’EI. La première lettre du mot « résistance ».

Puis la rébellion s’organise. Les portables sont interdits, mais Hussein parvient à se procurer un téléphone. Il devient alors informateur pour les services du contre-terrorisme irakien. Il raconte avec un sourire timide, puis son visage se fige. Sur son portable, la photo d’un ami qui avait aussi rejoint le réseau des informateurs. « Il a été dénoncé. Assassiné d’une balle dans la tête. » lâche Hussein en regardant le sol.

La maison de son oncle, qui lui sert de salon de tatouage, ne désemplit pas. Cousins, soldats et inconnus sont de plus en plus nombreux à se faire tatouer pour la première fois. « Les gens n’ont plus peur désormais. La liberté est en marche. Ça change très doucement, mais la société est mieux maintenant qu’elle ne l’était avant l’arrivée de l’EI », assure Omar. « Maintenant, on a les yeux ouverts. »

Dans le salon d’Amar aussi de nombreux clients se font tatouer pour la première fois. À l’instar d’Ahmed, 19 ans à peine, qui a une demande particulière. Arrêté par les djihadistes pendant plusieurs jours, terrorisé à l’idée d’être exécuté, il s’était scarifié un cœur sur l’épaule en l’honneur de sa mère. Aujourd’hui, Il a décidé de transformer sa cicatrice en dessin. « Le temps de l’État islamique est révolu, maintenant c’est le temps de se faire un tatouage professionnel ! » s’exclame l’adolescent.

Amar sourit : « Avant l’État islamique, je n’étais pas libre de boire de l’alcool et de faire ce que je voulais. Avant les gens étaient plus strictes, mais ils ont tellement souffert sous l’EI que la société s’est ouverte. »

Pour voir toutes les photos du reportage cliquez ICI

 

Source vicenews

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