Iran : Un bilan toujours aussi négatif en matière de droits de l’homme

Malgré les espoirs suscités par la signature de l’accord nucléaire et la réélection de Rohani, de nombreuses ONG continuent de tirer la sonnette d’alarme.

Au soir du 14 juillet 2015, les Iraniens envahissaient, euphoriques, les rues de Téhéran. « L’accord historique » sur le nucléaire conclu entre l’Iran et le groupe 5+1 (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie, Chine et Allemagne) leur annonçait un nouvel espoir pour l’avenir du pays. Cet accord fut la priorité du premier mandat du président Hassan Rohani, qui a finalement réussi à atteindre ses objectifs après douze ans d’âpres négociations débutées sous ses prédécesseurs. Une fois cette lourde tâche achevée, tous les yeux (ceux de la communauté internationale, mais, surtout, ceux des Iraniens) se tournent naturellement vers une autre question primordiale : celle des droits de l’homme. M. Rohani, considéré comme modéré, sort renforcé sur la scène politique iranienne grâce à son exploit. Suite à son arrivée au pouvoir en 2013, beaucoup d’Iraniens espèrent alors la mise en place de mesures tendant à leur accorder plus de droits, notamment en faveur d’une certaine libéralisation des mœurs. « Le prochain deal devra être l’accord pour nos droits civiques! » criaient les Iraniens lors des célébrations du 14 juillet 2015.

Mais les observateurs et les Iraniens vont rapidement déchanter, et leurs espoirs auront été de courte durée. Depuis 2015, les rapports cinglants sur l’Iran des organisations internationales de défense des droits de l’homme s’enchaînent. « Le bilan est toujours négatif malgré l’accord nucléaire et la réélection de Rohani (le 19 mai 2017) », déplore l’Iranien Abdol-Karim Lahidji, président de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH), contacté par L’Orient-Le Jour.

Répression continue

Droits des femmes, torture, liberté de la presse, discriminations envers les minorités ethniques et religieuses, peine de mort toujours en vigueur, autant de sujets sur lesquels peu d’avancées sont perceptibles. « Les tenants de la ligne dure, qui dominent l’appareil de sécurité et le pouvoir judiciaire, continuent de réprimer les citoyens qui exercent leurs droits légitimes, en ignorant de manière éhontée les normes juridiques internationales et nationales », souligne Human Rights Watch dans son dernier rapport. L’organisation précise également que « les Iraniens possédant la double nationalité et les ressortissants de retour de l’étranger, accusés d’être des agents de l’Occident, courent un risque particulier d’être arrêtés par les services de renseignements ».

Les campagnes de sensibilisation pour la libération d’activistes et de journalistes faits prisonniers politiques se multiplient, notamment sur les réseaux sociaux. Avec un total de 30 journalistes détenus et « malgré un certain apaisement dans les relations internationales, l’Iran reste toujours l’une des cinq plus grandes prisons du monde pour les professionnels de l’information », constate Reporters sans frontières.

Le travail des Nations unies est également entravé par le régime iranien. La rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Iran, nommée en septembre 2016, Asma Jahangir, s’est vu refuser l’accès au territoire iranien (au même titre que ses prédécesseurs et des experts de l’ONU).
Malgré la répression continue du régime, « les Iraniens ne perdent pas espoir », insiste M. Lahidji. La levée des sanctions suite à la signature de l’accord a permis au pays de s’ouvrir vers l’extérieur, dans une certaine mesure. « Au niveau sociétal, il y a eu une petite amélioration suite à l’accord », observe-t-il. « Une politique en faveur du tourisme a été mise en place pour des raisons économiques et politiques », ajoute le président de la FIDH. Cela a permis « l’arrivée de milliers de touristes, ce qui a été un grand changement » en réduisant « les contrôles dans les rues de la capitale et des grandes villes » sur les codes vestimentaires, par exemple, constate-t-il. « Les jeunes sont relativement plus libres, cela apporte un peu d’oxygène sur les sorties quotidiennes », note-t-il.

Justice cynique

Deux ans après, le bilan reste donc on ne peut plus médiocre. « Une fois l’accord signé, il était attendu que le dialogue irano-américain continue », notamment sur la question des droits civiques, explique à L’Orient-Le Jour Mohammad-Reza Djalili, professeur honoraire d’histoire et de politique internationales aux Instituts de hautes études internationales et du développement (Genève) et spécialiste de l’Iran. Mais la couleur aura vite été annoncée par le guide suprême, Ali Khamenei, quelques jours après la signature de l’accord. « Notre politique ne changera pas face au gouvernement arrogant américain », déclare-t-il le 18 juillet 2015. « Les attentes étaient peut-être démesurées », s’interroge le spécialiste.

Le peu d’avancées « n’est pas nécessairement le fruit d’une mauvaise volonté de la part de M. Rohani », dont l’étendue du pouvoir est limitée par la structure même des institutions, rappelle M. Djalili. Le président iranien avait fait publier, le 19 décembre 2016, une déclaration de droits pour la garantie du respect à un procès équitable, de la vie privée, de la liberté d’expression et du droit de manifester. N’ayant pas force de loi, M. Rohani avait estimé qu’elle « devait être mise en œuvre par tout le monde », y compris les forces conservatrices contrôlant l’exécutif et le judiciaire. « Je suis très heureux qu’une de mes promesses les plus importantes voie le jour aujourd’hui et de réaliser un de mes plus vieux rêves », avait-il déclaré.

Mais le modéré à la tête du gouvernement dispose en réalité d’une marge de manœuvre particulièrement limitée. Celui qui a promis de mettre la question des droits de l’homme sur le devant de la scène pour son second mandat doit jongler avec les prérogatives que lui accorde son statut et celles détenues par les conservateurs, mené par le guide suprême, plus haute autorité de l’État, nommé à vie. Les parlementaires sont supervisés par le Conseil des gardiens, chargé de veiller à ce que chaque décision prise soit conforme à la Constitution et la charia, et qui peut s’opposer aux projets de loi. Le chef actuel du Parlement, Ali Larijani, fait partie des conservateurs modérés. À la tête du pouvoir judiciaire se trouve un ayatollah nommé par le guide suprême. Par conséquent, « tous les piliers de la répression sont entre les mains du guide suprême et des conservateurs, et la justice mène une politique cynique », affirme M. Lahidji. « Tant qu’il n’y aura pas de volonté du régime (et non du gouvernement), la situation ne changera pas », déplore-t-il.

Source lorientlejour

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