Ben quoi ? Une pièce sur les dernières heures de Mohamed Merah. Au Festival d’Avignon, ben quoi ?
Tu apprends que le metteur en scène Yohan Manca présente et joue dans le off du Festival d’Avignon une pièce inspirée des dernières heures de la vie du terroriste ? Et que la presse déjà vante un pari osé et réussi. Ben quoi ? Ah les proches des victimes dorment et apprendront ça au réveil demain matin ? Hmmm.
Ben quoi ? La pièce elle s’appelle Moi, la mort, je l’aime comme vous aimez la vie ? Ben quoi ? Ah c’est le titre qui te gêne ? Moi, la mort je l’aime comme vous aimez la vie : t’as reconnu la phrase issue des discours de Yasser Arafat en arabe, récemment reprise par le leader du Hamas palestinien ?
Ben quoi ? La pièce elle met en scène les dernières heures du terroriste islamiste qui a tué sept personnes en 2012 ? Ben quoi ? Ah c’est présenté au Festival d’Avignon ? Oui vous diront certains : Le Festival propose 1 480 spectacles dans son off, jusqu’au 26 juillet et parmi ces œuvres, pourquoi pas ça ?
Ben quoi ? Le metteur en scène Yohan Manca qui présente et joue Moi, la mort je l’aime comme vous aimez la vie fait le récit des dernières heures du salopard qui a donné le la à la sale période que l’on sait, et cette presse odieuse qui sans vergogne parle d’un pari osé et réussi, ça t’embête ? Ben quoi.
C’est que tu t’en rappelles trop, Lecteur, de ces trente-deux heures durant lesquelles la police essaie en vain de convaincre Merah, terré chez lui, de se rendre. Entre le 21 et le 22 mars 2012. Que tu le revois encore, l’assaut qui est donné sous nos yeux et la mort de l’ordure.
Ben quoi Lecteur ? Ça te choque, quand il déclame, Yohan Manca : Sache qu’en face de toi tu as un homme qui n’a pas peur de la mort ? Tu as décidément de ces pudeurs de pucelle. Et tu veux pas comprendre que Mohamed Kacimi, ce texte, il l’a écrit à partir du verbatim des négociations entre le terroriste et la police, telles que Libé les publia ? Allez, fais-le, l’effort et écoute-le, Yohan Manca, et admire-le, son exploit de mettre en scène et jouer le rôle du personnage éponyme.
Essaie de comprendre, Lecteur, être obtus qui ne connais décidément rien aux licences de l’Art, et fais un effort, puisque Yohan Manca, il te dit qu’il s’agit d’une pièce pour comprendre et non pour excuser. Interpréter un tel personnage dans le contexte actuel n’est pas facile, qu’il t’explique, être primaire, On est conscient que tout ça est bouillant et que c’est clivant. Évidemment, il y a des gens qui n’ont pas envie de voir ça, qui n’ont pas envie d’entendre ça, qui n’ont pas envie de se replonger dans ces affaires-là, qu’il concède. T’as décidément rien pigé : c’est un travail nécessaire, va falloir te le répéter longtemps ? Et si tu veux savoir, même qu’en tant que comédien, apprivoiser le personnage a été assez complexe pour lui mais paradoxalement, il a trouvé que c’était “intéressant d’aller chercher chez les salauds” dans son travail. C’est très douloureux de porter ses mots (…) c’est la même douleur quand on le travaille et puis après on se lance parce que le message est plus important. T’écoute France Info, t’essaie de comprendre, transcender par l’Art, que ça s’appelle, et puis voilà.
Tiens, écoute, il t’explique : sur scène, il y a une cloison : d’un côté, Mohamed Merah, de l’autre, le policier. La banalité du mal va frapper le spectateur, qu’il te dit : la pièce met cette horreur glaciale sur scène, elle montre pour essayer de comprendre et pas pour excuser.
Allez, fais pas ta chochotte. Et pleure pas quand tu l’entends, Manca, réciter son Racine, euh pardon, son Merah : J’ai pris mon scooter, je suis rentré chez moi et j’ai commandé une pizza aux quatre fromages, après la fusillade devant l’école primaire.
Accroche-toi, j’te dis, Lecteur.
Mais tu pensais à quoi quand tu tirais à bout portant sur la gamine de trois ans ?, lui lance le policier, de l’autre côté de la cloison.
Je pensais à You tube, qu’il répond, l’autre.
Ben ouais. Même que le metteur en scène, il explique que Merah était un fanatique des armes à feu plus que du Coran. Un jeune terroriste élevé dans un antisémitisme prégnant. C’est ancré en lui, il a l’impression que c’est normal. C’est ce qui est terrible et terrifiant.
Ben ouais. Il est en pleine négociation avec le Raid, le héros, retranché dans sa salle de bains. De l’autre côté de la porte, talkie-walkie à la main, un agent de la DCRI.
Ben quoi ? Ça y est, ça te pose un problème quand Yohan Manca ajoute qu’il a ressenti ce besoin de comprendre à cause de plusieurs points communs entre lui et Mohamed Merah : j’en étais sûre ! Quand il fait ces actes, il a 22 ou 23 ans. J’avais à peu près le même âge que lui, on est de la même génération, t’aimes pas hein, t’as pas envie de comprendre, toi, que les deux hommes ont joué aux mêmes jeux vidéos et que Manca, il a grandi en Seine-Saint-Denis, l’un des départements où il y a le plus de départs pour la Syrie, qu’il dit. Tu veux pas comprendre que tous ces facteurs, ils l’ont sensibilisé, Yohan Manca, au terrorisme ? Je te le dis, moi, t’es indécrottable. Ecoute-le, fais un effort : Évidemment que ça me frappe. C’est la jeunesse qui est frappée par ce fléau. C’est ma jeunesse, c’est ma génération, qu’il te dit. T’es hermétique, voilà, t’as rien pigé, et puis c’est tout, aux inventivités, aux pépites dévoilées par le off. D’ailleurs je sais plus si je vais m’obstiner à t’expliquer. T’es irrécupérable. Tu veux pas piger qu’il s’agit là d’une œuvre thérapeutique pour une génération qui a grandi avec des musulmans affirmés identitairement, dopée à la guerre sur console de jeux noyée dans des vapeurs de haschisch. C’est l’auteur qui te le dit. Ecoute !
Tu me dis que le dit Festival, il a refusé le spectacle inspiré d’un texte de Charb ? Ben ouais. Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, publié après la mort de Charb, ils en ont pas voulu ? Ben tu le sais pourquoi ? Crainte de débordements ! Arrête de répéter avec les autres que qu’il s’agit là d’une censure sécuritaire et cesse de répéter avec BHL que Charb, assassiné en 2015, censuré en 2017, ça fait beaucoup. Puisqu’ils te disent qu’ils ont craint les débordements. Cesse de dire avec Glucksmann que c’est réduire Charb au silence.
Ecoute plutôt Pascal Keiser, directeur de La Manufacture à Avignon, lui qui a l’insigne courage ( c’est lui qui ,le dit, hein ) de programmer cette année un spectacle sur l’affaire Merah et un autre sur la radicalisation islamique : Nos choix sont à la fois poétiques et politiques, qu’ils te répètent, les responsables.
Et puis tache de comprendre, voire de le plaindre, Manca, quand il te dit : C’est très douloureux de porter ses mots (…) c’est la même douleur quand on le travaille et puis après on se lance parce que le message est plus important. Merah, c’est un jeune terroriste élevé dans un antisémitisme prégnant. C’est ancré en lui, il a l’impression que c’est normal. Et Manca, ben c’est sa jeunesse, sa génération.
Ben quoi ? Ils t’énervent, ceux qui te disent que décidément t’es sourd : c’est pour comprendre pas pour excuser. Et l’autre qui t’explique : Combien de films sur Hitler ou d’autres…l’art, le cinéma, le théâtre nous donnent à voir et entendre l’insoutenable.
Toi, Lecteur, t’es comme moi : l’argument il y eu des films sur les plus grands assassins de l histoire ne tient pas à tes yeux. Et puis la justice, elle l’a pas fini son travail sur ces tragiques assassinats terroristes.
Ame sensible, va ! Tiens, tu vaux pas mieux que Maître Picard, l’avocat d’Albert, père d’Abel, victime de Merah : Oh mon Dieu… Juste avant le procès en plus… Effondré il est, l’avocat qu’en a vu d’autres, et toi et moi pareil. Petit joueur, va.
Et Albert ? Et Katia ? Et les autres ? Comment on va leur dire ? Leur expliquer qu’ils ont le droit, du moment qu’il n’est pas question de ce que le procès à la Cour d’assises de Paris devra trancher en Octobre, à savoir la culpabilité d’Abdelkader Merah. Comment on va leur dire qu’on comprend, oui, que moralement c’est purement et simplement indéfendable. Que la moindre des choses eût été d’attendre la fin du procès.
Essaie de piger : on te dit partout qu’avec l’arrivée d’Olivier Py s’ouvre une nouvelle page de l’histoire du Festival d’Avignon, toujours en mouvement.
Ils ont perdu leur âme, que tu dis ? Ben tu veux pas comprendre pas qu’il faut pas le froisser, le pauvre jeune de banlieue. Ecoute-le, Mohamed Kacimi, parler à L’Avant-Scène et expliquer les motivations qui l’ont poussé à produire ce spectacle délicat. Effectivement on se dit attention c’est dangereux, peut-on faire spectacle avec ça ou avec tout… il t’explique que c’est un grand bouleversement parce qu’on est face au questionnement du texte, qu’il faut bien trouver les moyens d’assumer cette part de monstruosité qui fait partie intégrante de l’état de l’humanité.
Et puis, ça y est, il te sort l’argument massue : C’est ce qui nous ramène à Hannah Arendt : le mal absolu n’existe pas, le diable n’existe pas en dehors de l’humanité, il est en nous. Il faut qu’on arrive à comprendre ça. Dans cette pièce le négociateur essaye de ramener le monstre à son humanité pour lui faire déposer les armes, gagner sa confiance, le ramener à des choses très quotidiennes, à l’âge de ce jeune homme, à l’âge de ses loisirs. A travers leur dialogue nous retrouvons l’adolescent à l’intérieur du monstre, ce qui est tout à fait déstabilisant. Il serait c’est vrai plus facile de le classer parmi les bêtes fantastiques qu’il faut combattre, alors que là, on voit sa folie mais sa fragilité et il devient très proche de nous.
Il ajoute qu’il a beaucoup pensé à Arendt à Jérusalem face à Eichmann, quand elle dit qu’il est banal, un petit fonctionnaire : C’est la même attitude que j’aurais face à Merah, en disant non, ce n’est pas un monstre tombé du ciel, il n’y a pas de monstres qui tombent du ciel, il est en nous… Nous lui avons donné la possibilité de naître parmi nous.
Voilà : Mohamed Kacimi, il a voulu rendre humain l’inhumain.
Ben quoi ? Tu te souviens qu’il avait rapporté les propos attribués à des élèves d’un lycée professionnel au lendemain de la tuerie de Charlie : Ils l’ont bien cherché. Ils ont eu ce qu’ils voulaient. On n’insulte pas les gens comme ça. Qu’il en a même fait un court récit, Les tribulations d’un auteur dans un lycée de banlieue au lendemain de la manifestation. Que dans son récit, y avait des témoignages allant jusqu’à faire l’apologie du terrorisme. Une compilation qu’il disait, quoi. Ben quoi ? Même qu’y avait eu polémique et qu’on prétendit qu’il avait pris, Kacimi, quelques aises avec la réalité.
Ben quoi, Lecteur, t’es pas branché. T’as des ornières. T’es trop sensible. Mais l’indécence n’est pas illégale, qu’elle me rappelle, ma prof de philo.
Sarah Cattan
Heureuse de corriger: le texte posthume de Charb sera finalement programmé du 14 au 18 juillet dans le cadre du festival off. La bataille menée sur le mur du Festival d’Avignon lors de sa déprogrammation a in fine payé : ils furent nombreux à copier chacun à son tour une phrase du texte de Charb, ont renouvelé l’opération sans relâche, ont fait circuler une pétition, et au final gagné.
ces “ben quoi” partout, un style insupportable
D’accord avec vous ! Un seul ben quoi à la fin de l’article et pas plus !
Je ne suis pas d’accord, le “bah quoi” redondant est le symbole de cette insupportable insolence, tellement vue et entendue.
Quelle lourdeur….
Merci Sarah Cattan pour ce texte qui dit tout. Et le style est tout à fait opportun et assorti au fond !
Bonjour, les propos et affirmations que vous publiez à mon égard sont inexacts et diffamatoires à plusieurs égards. Je vous demande donc de publier en droit de réponse le lien vers mon interview au journal Le Point.
http://www.lepoint.fr/culture/spectacle-sur-merah-la-polemique-est-completement-a-cote-de-la-plaque-12-07-2017-2142610_3.php
Pardon, Sarah Cattan : votre style d’écriture, “classique”, est bien plus attrayant, percutant et efficace, que l’argot abusivement employé dans votre article.
Aussi, avec votre style personnel, vous auriez pu démolir sans trop de mal la prétention de Mohamed Kacini d’avoir voulu “rendre humain l’inhumain”, sous le prétexte qu’ “il faut bien trouver le moyen d’assumer cette part de monstuosité qui fait partie intégrante de l’état de l’humanité “.
Mon cher Shlomo, et d’ailleurs chers lecteurs, je le regrette en effet, le ton de ce papier. Ce n’est pas à vous, Shlomo, de vous excuser. Cela me revient. Il était tard cette nuit lorsqu’un ami m’a réveillée pour m’apprendre la nouvelle. J’ai aussitôt appelé Frédéric Picard, l’un des avocats dans l’affaire Merah. Nous nous demandions tous deux que faire. Comment les parents des victimes allaient-ils recevoir ça en pleine figure, au réveil. il était tard. je me suis levée écrire et je me souviens avoir écouté en boucle une chanson ancienne: Nuit magique, où le OK qui revient, obsédant, m’aura sûrement influencée. Ma peine et ma colère aussi.
Au matin, j’aurais eu la sagesse et la lucidité , je crois, de devancer les arguments qui ne manquèrent pas d’arriver: l’argument de la création, celui de la liberté d’expression, et surtout l’odieux “rendre humain l’inhumain”. Je ne suis pas fière de ce papier, mais je n’oublierai jamais cette injonction impérieuse qui l’accompagna. A tous merci de votre franchise.
…Franchise qu’il m’a été difficile à faire jaillir, croyez-le bien. Sans doute me la suis-je permis parce qu’en d’autres circonstances j’ai eu l’occasion de beaucoup apprécier votre style usuel d’écriture.
Avant de m’éclipser, un avis que je m’applique à moi-même : éviter si possible de prendre la plume quand on est fatigué.
Pas seulement lorsqu’on est fatigué, Schlomo. Aussi lorsqu’on est en colère. Lorsqu’on a perdu la juste distance. C’est quelque chose que j’ai appris: écrire, et ne pas envoyer. Imaginez si Valérie Trierweiler n’eût pas appuyer sur son tweet…
Après, écrire lorsqu’on est fatigué : bien sur que vous avez raison. Mais parfois on se sait fatigue, et l’actualité ne laisse pas de répit. Pas de pause comme sur une partition de piano.
Alors regardez. Je ne devrais pas le dire. Mais le papier sur l’antisémitisme musulman: j’avais besoin de Le structurer. Besoin de 24h. Quelqu’un m’informe que Le Figaro publie sur le sujet: je me donne 60 minutes. Je propose un papier que je sais imparfait. Mais j’étais dessus.
Voila: un article n’est pas de la littérature achevée. Loin de là. Sauf pour les gens brillants et expérimentés: et la c’est un régal.Qu’in jour peut-être je saurai vous offrir?
Sarah n’oubliez pas que vous avez affaire ici à de grands lettrés au goût délicat. La prochaine fois prenez trois mois pour écrire votre article, ce n’est pas grave. Mais plus de “ben quoi”, d’accord ?
“…il n’y a pas de monstres qui tombent du ciel, il est en nous… Nous lui avons donné la possibilité de naître parmi nous.”
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Quand il dit “nous”, il veut parler de l’éducation reçue dans les familles maghrébines et de l’islam ? Mais non, voyons ! Il parle de vous et moi…de la France…de la société française…
Habituel rousseauisme (mal compris) à deux balles. L’homme nait bon, tout ça c’est de la faute à la société (française) et bla bla bla.
Sur le mal et la barbarie, sur la violence et la cruauté, plutôt que de lire la médiocre et survendue Hannah Arendt, Kacimi ferait mieux de lire le génial Nietzsche.
Hannah Arendt suite…
Toute cette stupidité sur la “banalité du mal” ne visait qu’à une seule chose : disculper son maître et ancien amant nazi et exterminateur Heidegger vers qui elle était revenue à la fin des années cinquante.
Son “argument” était le suivant : Eichmann a assassiné des juifs car il ne pensait pas, simple exécuteur à la personnalité banale sans pensée propre, car s’il avait pensé il se serait posé des question et n’aurait pas fait ce qu’il a fait. Or Heidegger était, lui, un grand penseur à la personnalité hors norme (le “prince de la pensée”), il ne pouvait donc pas être un nazi exterminateur…CQFD !
Après lecture attentive, TJ doit-elle devenir une revue critique littéraire?
Que se passe-t-il? Les commentaires coupent les cheveux en 16 et sont proches de la “masturbation du cortex”.
L’article est clair, bien écrit, il vaut par son cri…
parlez du contenu plutôt que de la forme qui ne vous appartient pas.
Quel débat inutile sur un contenu utile!!!!