En ces temps particuliers, il est fort de sens que Simone Veil, juive, déportée, ministre de la République, femme laïque et européenne qui a oeuvré pour l’amitié franco-allemande repose au panthéon aux côtés de son époux, comme en 1907 , sur décision du Président Fallieres , Marcelin Berthelot y fut accueilli avec son épouse.
Son départ de la cour des Invalides au son du “Chant des Déportés” clôtura une cérémonie à son image. Une décision qui illustre, outre une insigne émotion et une infinie justice, la grandeur de notre Nation.
Simone Veil, ne rien oublier, combattre toujours
Il y a près de 90 ans, Simone Jacob naissait dans une vieille famille juive française d’origine lorraine. Ses racines la rattachaient à la République, la France des Lumières et de l’émancipation. Dans cette famille unie, aimante, patriote, laïque et juive, installée à Nice, l’avenir semblait radieux, à la naissance de Simone en juillet 1927. Mais la folie génocidaire des nazis secondée par l’Etat français en avait décidé autrement.
Simone Jacob fut arrêtée, le 30 mars 1944 à 16 ans et demi dans les rues de son Nice natal par une patrouille allemande, aux lendemains de son bac réussi brillamment. Bientôt, elle sera rejointe au terrible Hôtel Excelsior par sa mère Yvonne, sa sœur ainée Madeleine appelée : « Milou » et son frère Jean. Simone sera déportée par le convoi n°71 vers Auschwitz-Birkenau, avec sa mère et Milou. Son père André et Jean seront déportés sans retour vers Kaunas (Lituanie) par le convoi n°73. Denise, son autre sœur sera déportée comme résistante à Ravensbrück dont elle reviendra.
A Auschwitz-Birkenau, elle lutta avec sa mère et sa sœur pour survivre, y nouera des amitiés pour la vie, comme celle de Marceline Loridan. Hélas, après les terribles « Marches de la mort » sa mère décèdera du Typhus à Bergen-Belsen à un mois de la Libération.
A Ravensbrück, Denise était devenue l’amie de Raymonde Thibouville, née Dreyfus, l’adjointe du réseau de résistance de mon grand-père Jacques Heilbronn. Raymonde fut tuée dans un bombardement allié aux côtés d’une autre amie de Denise, la grande résistante juive, Mila Racine.
A leur retour de déportation mon grand-père accueillera un temps dans notre ferme de Brie, Milou, Simone et Denise. De retour à Paris, il les approvisionnera toutes les semaines de produits de sa ferme en cette époque de disette, où elles avaient tant besoin de se reconstruire. Simone en me dédicaçant sa si émouvante biographie « Une vie », n’avait pas oublié et écrivit : « Pour François Heilbronn, en souvenir de son grand-père qui nous a beaucoup aidé à notre retour d’Auschwitz ».
Nos familles restèrent liées au travers des générations. Adolescent, je fus frappé par son courage et sa dignité dans son combat essentiel pour le droit des Femmes à disposer librement de leur corps. Je fus aussi frappé des attaques, pamphlets et slogans antisémites qui explosèrent à ce moment là. Ce fut peut-être ma première expérience de l’antisémitisme français. Le FN se déchaina alors et détourna la Shoah en accusant, Simone Veil « d’un génocide antifrançais ».
Je retrouvais plus tard Simone, dans nos combats communs pour la Mémoire de la Shoah, mais aussi de la lutte contre l’antisémitisme et de la solidarité avec Israël. En tant que Vice-Président du Mémorial de la Shoah quand elle présidait la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, je partageais son objectif d’enseigner l’Histoire, de former les professeurs, d’accueillir les jeunes, de commémorer nos Martyrs comme nos Héros, mais aussi les Justes. Mais comme elle je m’élevais contre la formule inappropriée de « Devoir de Mémoire ». Avec justesse, elle préférait le terme de « Travail de Mémoire ». Et je me souviens de son émotion, ce 25 janvier 2005, quand aux côtés de Jacques Chirac, elle inaugura « le Mur des Noms », le mur de nos Martyrs et de ses mots qui résonnent encore en moi : « J’ai souhaité voir ce mur avant de parler devant vous. Je craignais en effet que, trop bouleversée, il ne me soit pas possible de m’exprimer. Car ces noms sont ceux de vos parents, grands-parents, vos enfants, frères et sœurs, comme pour moi, ceux de mes parents, de ma sœur et de mon frère, de mes oncle et tante et de leur petit garçon, de tous ceux que nous avons aimés et qui nous entouraient de leur amour, leur tendresse et leur amitié, avant d’être assassinés dans des conditions abominables. C’est donc seule que j’ai longé ce mur, et que, dans le silence, j’ai cherché, un à un, les noms de mon père, mon frère, puis, aux côtés du mien, les noms de ma sœur, et surtout celui de ma mère, l’être qui a pour moi été le plus cher au monde : ma mère. »
Et je revois son émotion devant ce Mur, chaque fois qu’elle est revenue pour une visite au Mémorial de la Shoah, comme à la fin de l’exposition permanente, au milieu des milliers de photos d’enfants juifs déportés. Devant une photo, d’un jeune garçon souriant et beau, nommé François Jacob, à mon interrogation sur une éventuelle parenté, elle me répondit « C’était mon petit cousin, il avait 9 ans, il était très gai » puis son regard se voila.
Son lien avec Israël, c’était aussi ce lien des rescapés, et je me trouvais à ses côtés, avec mon père et son fils Pierre-François, au kibboutz des Combattants du Ghetto de Varsovie en 2002 pour allumer une des six bougies en ce jour de Yom Hashoah honorant la mémoire de nos six millions de morts. Ce jour là en cette année 2002 où Israël était frappé quotidiennement par le terrorisme, je vis son lien et cette solidarité indéfectible avec ce peuple de survivants et de héros dont elle se sentait si proche. Et plus tard, je fus le témoin de sa joie quand l’université de Tel-Aviv lui décerna un Docteur Honoris Causa, tant mérité.
Puis il y eut cet autre combat pour rendre un hommage national aux Justes de France. Elle convainquit celui qui n’avait pas besoin d’être convaincu, Jacques Chirac d’honorer au Panthéon la mémoire de ces héros anonymes qui sauvèrent tant de vies juives en France : « Les Justes parmi les Nations ». Et pour l’accompagner avec Jacques Chirac dans la crypte du Panthéon où la plaque fut posée, 4 jeunes enfants descendants de Justes ou d’enfants cachés furent choisis. Parmi eux, David Heilbronn, notre fils alors âgé de 10 ans, fut l’un de ceux là comme descendant de Juste, par son arrière-grand-oncle le Pasteur Robert Cook, mais aussi comme petit-fils de deux enfants cachés, sa grand-mère maternelle, Régine Gabai et son grand-père paternel, Hubert Heilbronn. Ce jour là en embrassant David, elle lui dit sa joie que l’arrière petit-fils de celui qui les avait accueillies elle et ses sœurs à leur retour de déportation, soit à ses côtés en ce lieu et en ce jour.
Simone Veil était cette femme juste, digne, combattive mais aussi empreinte d’une sensibilité toute particulière, celle que j’ai toujours trouvé chez tous les rescapés. Cette sensibilité où rien ne s’oublie, ni le crime, ni la main tendue dans la Nuit.
François Heilbronn, Vice-Président du Mémorial de la Shoah
N’avait-elle pas exprimé la volonté d’être enterrée dans un carré juif ?
Pouvez-vous me dire ou vous avez pris cette locution : ” fort de sens” ?
Je suis licenciee de la Sorbonne en literature et langues, et je ne l’ai jamais entendue.
Celle qui l’a écrite est une professeure de lettres et comme le sens en est évident on a pu penser qu’il s’agissait d’une simple préciosité d’écriture . Mais on va poser la question à la ” responsable”!
Bonjour Sheila. Comme il est agréable d’être interrogée sur l’écriture: merci à vous. Fort de sens équivaut pour moi à “lourd de signification “. Je viens de regarder un peu partout et elle n’est pas répertoriée. Considérons la comme une expression figée , un peu comme “fort de café “?
Merci chère Sheila de votre question. La langue française, Dieu sait qu’elle est riche. Et ne voilà -t-il pas que je prétends lui annexer des ” trouvailles”.
Je vous avouerai toutefois que j’en suis la première étonnée : je la pensais répertoriée. Donc bravo à la littéraire que vous êtes Sheila. Sarah