Auschwitz : la ruée vers le souvenir

Une fièvre mémorielle a gagné l’Europe avec l’inauguration de nombreux mémoriaux et la création d’associations à la fin des années 1970. Monuments, plaques et musées ont été érigés sur la place publique en souvenir de nos morts de la Seconde Guerre mondiale. Très vite, ces lieux de commémoration ont été visités, restaurés, puis revisités. Si la mémoire du génocide des Juifs est omniprésente, l’exigence de commémoration se heurte à la problématique de l’exploitation touristique et à l’injonction de se souvenir. Dès lors, comment allier devoir officiel et personnel ? Comment transmette l’Histoire sans banaliser l’horreur ni tomber dans l’émotionnel pur ?

Alors que des millions de « touristes » visitent chaque année les lieux consacrés à la mémoire du judéocide, il reste légitime de questionner ces visites aux allures, trop souvent, de curiosité plus que de pèlerinage pédagogique ou mémoriel. Le musée d’Auschwitz-Birkenau, sur le lieu de l’ancien camp d’extermination en Pologne, est fréquenté par plus d’un million de visiteurs chaque année. D’aucuns diront que cette offre muséale massive, nourrie d’un drame, s’apparente à un excès du culte. L’artiste Shahak Shapira s’inspire d’ailleurs de certaines dérives comme des photos humoristiques que prennent les touristes dans un lieu qui, rappelons-le, était autrefois, un camp d’extermination. Cet artiste israélien, entre autres, ouvre le débat et interroge la limite entre morale et hommage, sensibilisation et sacralisation.

La mémoire « ad aeternam »

Pour Annette Wieviorka, l’inscription de la mémoire dans la pierre reste primordiale. Selon l’historienne spécialiste de la mémoire de la Shoah, « il y a effectivement beaucoup de visiteurs que nous appelons des touristes. Mais quid des groupes scolaires qui viennent accompagnés de survivants. Est-ce que ce sont des touristes ? Je trouve qu’il y a une facilité à dénoncer le tourisme de masse sans se poser la question de l’histoire d’un lieu. […]  Auschwitz est un lieu inouï ».

Éduquer pour former des témoins

Ainsi, les lieux comme gardiens de l’Histoire, ont quelque chose d’utile. Comment rendre compte de l’horreur du génocide sans tomber dans la spectacularisation ? Certains auteurs soulèvent un risque de « saturation » si l’Histoire n’est appréhendée qu’à travers le prisme de la moralisation et sous le poids de la culpabilisation. Loin d’une approche manichéenne simpliste, il est nécessaire de faire dialoguer mémoire et Histoire.

Annette Wieviorka rappelle qu’il ne faut pas schématiser en séparant les méchants des gentils mais comprendre les ressorts du génocide dans son entièreté. Autrement dit, il faut analyser l’Histoire pour mieux la saisir et pour agir demain.
C’est alors qu’intervient l’impératif d’intelligibilité. Comment sensibiliser les jeunes générations à l’indicible au travers d’un volet réflexif ? Saisir le passé c’est aussi l’introduire dans le monde vivant. L’insérer dans la société moderne pour concerner les individus. C’est faciliter l’identification des jeunes à leurs aînés. C’est autoriser que la question ne soit plus exclusive mais universelle. C’est plus largement entendre tous ceux qui subissent des discriminations et ainsi réunir toutes les formes de haine.


Extrait Un monde en docs – Alain Chouraqui par publicsenat

C’est à ce travail que s’attelle notamment Alain Chouraqui, le président fondateur de la Fondation du Camp des Milles. Ainsi, il cherche un écho commun dans la nouvelle génération en  « décortiquant les mécanismes psychosociaux comme celui de l’effet de groupe. Lorsque nous parlons à des jeunes, qui viennent parfois de quartiers difficiles et que nous leur parlons d’effet de groupe, de bande, […] nous nous apercevons que ce sont des mécanismes humains qu’ils connaissent et reconnaissent ». Le passé, assimilé à l’unisson, facilite donc l’élaboration d’un destin commun.

Mais une fois les enfants devenus grands, l’État doit-il se faire le relais de l’école dans l’élaboration d’une mémoire collective ? L’injonction d’une réflexion commune et officielle peut-elle agir efficacement en faveur d’un « plus jamais ça » ? Si les commémorations et les minutes de silence sont aujourd’hui ritualisées et cultivées par l’État, l’appropriation individuelle demeure fondamentale pour ne jamais oublier que « chacun peut et doit s’engager » pour écrire demain, selon la formule d’Alain Chouraqui.

L’optimiste historien, Dominique Vidal, a choisi les paroles de Jean Ferrat pour résumer ce qu’il croit nécessaire à la transmission de la mémoire : «Je twisterais les mots s’il fallait les twister pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez ».

Autrement dit, seule l’Histoire compte. L’enjeu est moins la forme sous laquelle elle est exposée que la compréhension du fond.

Retrouvez le débat sur la mémoire de la Shoah dans l’émission Un monde en docs  le samedi 17 juin à 22h, le dimanche 18 juin à 9h et le dimanche 25 juin à 18h sur Public Sénat.

Source publicsenat

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