L’immense bonheur d’être juif est indissociablement lié aux valeurs du judaïsme

Cinquante ans après la guerre des Six Jours, je me souviens. Et je me dis qu’il y a un temps pour tout. Un temps pour retrouver ses esprits, après la barbarie nazie. Pour regarder autour de soi et essayer de comprendre.

Un temps pour accepter que l’on n’arrivera jamais à comprendre. Pour se dire que l’on ne pourra plus faire confiance à personne. Qu’il ne faudra compter que sur soi.

Un temps pour s’émerveiller de la création d’un État, deux mille ans après l’Exode. Après que des centaines de milliers d’émigrés ont travaillé la terre de Palestine de leurs mains, s’y cassant les ongles, s’y brisant l’échine. Y attrapant la malaria. Construisant une ville magnifique, blanche, élégante, là où il n’y avait que des dunes.

Un temps pour se dire que le nouvel État d’Israël était le salut et la fierté de tout juif. Qu’enfin il était permis de souffler un peu.

Un temps pour se dire que l’antisémitisme trouverait désormais à qui parler.

Un temps pour me souvenir d’une discussion avec ma mère, à l’époque de mes 12 ans, une discussion simple et fortuite, quelques mots échangés à Lausanne, place Saint-François, peu après la guerre de Suez, lorsqu’elle me disait : « Si Israël avait existé à l’époque des nazis, les Allemands ne nous auraient pas fait ce qu’ils nous ont fait. »

Un temps pour soutenir chaque décision de cet État merveilleux et providentiel. De le chérir, d’en parler avec enthousiasme.

Un temps pour craindre qu’il lui arrive malheur, comme en mai 1967, alors que dans son beau ciel bleu s’accumulaient les nuages : retrait des troupes de l’ONU, blocus du détroit de Tiran, coalition des armées arabes d’Égypte, de Jordanie, du Liban, de Syrie, avec un seul mot d’ordre, dans la bouche de Nasser, leur plus important dirigeant : jeter les juifs à la mer et en finir avec cet État-poison.

Un temps pour chanter et danser, en se disant que désormais c’en était terminé de ces rodomontades, que l’État merveilleux savait résister à tous unis contre lui, oui, à tous ses ennemis pris ensemble, et de quelle manière.

Un temps pour s’inquiéter, ensuite, du devenir des territoires conquis. Du dialogue qu’il faudrait bien avoir, un jour, avec des voisins qui persistaient à refuser le dialogue. Avec lesquels on pourrait s’entendre, si seulement ils voulaient nous parler.

Un temps pour s’arrêter aux mots du général de Gaulle, parlant du peuple juif, un peuple d’élite, sûr de lui et dominateur. Des mots qui m’avaient profondément attristé et choqué. Je m’étais dit : ça y est, ça recommence. Aujourd’hui, devant le spectacle de l’occupation, je repense à ces mots et je suis triste, si profondément triste, de leur trouver un relent prophétique.

Un temps où les événements ont pris un mauvais tour, à Kippour en 1973, plus tard au Liban, en 1982, Sabra et Chatila, des massacres commis par les phalanges chrétiennes du Liban. L’armée israélienne regardait ailleurs. Il y eut des manifestations massives du peuple d’Israël pour condamner ces massacres. Et la cour suprême d’Israël aussi, avait condamné. Tempi passati.

Un temps où les Anciens, ceux qui avaient construit l’État, étaient encore aux commandes, avec leur expérience de l’exil, leur humanité, leurs idées et leurs valeurs, leur ambition d’un État juif laïc et démocratique. Un temps où cet État cherchait des solutions, où ceux de la diaspora pouvaient le soutenir les yeux fermés et de toutes leurs forces, parce qu’il voulait se construire sur ses valeurs sacrées.

Un temps où d’autres dirigeants prirent la place des Anciens. D’un David Ben Gourion, qui répétait à l’envi qu’entre les territoires et la paix, il choisirait toujours la paix. Un temps où les nouveaux oublièrent, devant l’ivresse déclenchée par les terres conquises, que le peuple juif était lui aussi étranger, longtemps, partout sur la terre, que cette condition est brûlante d’humiliation, et que lui, peuple juif, est mieux placé que quiconque pour comprendre le drame du peuple palestinien.

Triste temps de l’oubli…

Un temps où le devoir de la diaspora n’est plus dans le soutien inconditionnel mais dans le rappel de l’histoire.

Un temps où chaque juif doit dire fort, très fort, et répéter que son immense bonheur d’être juif est indissociablement lié aux valeurs du judaïsme. Que leur oubli rend l’exercice vain, qu’il n’y a de judaïsme que dans ces valeurs, et que les bafouer le prive de cet immense bonheur.

Un temps pour dire à l’État d’Israël­ de les retrouver, demain, et de les étendre à tout un chacun, quelle que soit son origine ou sa foi. Que tel est son devoir devant l’histoire et devant le peuple juif.

Metin Arditi

Source lacroix

 

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3 Comments

  1. Que Mélin Arditi veuille bien m’excuser, mais en tant qu’époux d’une femme dont la maman a été déportée à Auchwitz quand elle était bébée, je soutiens inconditionnellement l’existence
    d’Israël démocratique. Car,
    N’a-t-il pas rappelé, dans son texte, ce que sa propre mère lui avait dit quand il avait 12 an – « Si Israël avait existé à l’époque des nazis, les Allemands ne nous auraient pas fait ce qu’ils nous ont fait ».

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