Au lendemain de la proclamation de l’Etat d’Israël, quelques semaines ont suffi pour saper la coexistence pacifique et la paix qui régnaient entre musulmans et juifs dans l’est du Maroc. Le 7 juin 1948, des Marocains de confession juive font l’objet d’une attaque. Le bilan est lourd avec 42 décès et une vingtaine de blessés. Histoire.
La proclamation, le 14 mai 1948, de la naissance de l’État d’Israël n’avait pas seulement choqué et déçu l’opinion publique arabe, elle avait surtout perturbé le calme et la paix qui existaient depuis de très longues années au sein de la société marocaine. Les 7 et 8 juin, Oujda, la capitale de l’Oriental et la ville de Jerada connaîtront des événements sanglants qui marqueront à jamais leurs histoires. Un massacre avait visé plusieurs Marocains de confession juive. A Oujda, cinq personnes sont tuées et 15 autres blessées alors qu’à Jerada, 37 juifs ont été assassinés et 29 blessés.
Ce génocide coïncidait avec une vague de protestations dans divers pays arabes au lendemain de la reconnaissance, par les Nations unies, d’Israël en tant qu’Etat. Cette coïncidence a poussé certains chercheurs à associer le drame aux évolutions de la situation en Israël, tandis que d’autres affirment l’inexistence de relations entre les deux faits historiques. Pour ces derniers, le massacre est imputé aux particularités du contexte politique et économique ayant imposé des changements sur la vie des Marocains, musulmans et juifs, en particulier dans la ville de Jerada.
Un discours du sultan à l’origine du massacre ?
Le Maroc étant alors sous Protectorat, les fonctionnaires français estiment, de leur côté, que ces événements ont pris un «caractère local» et qu’ils sont parvenus à cause de l’émigration juive en Israël, qui irrite les Marocains musulmans.
Le 8 juin 2014, le journal israélien Haaretz avait publié un article sur le drame, affirmant que ce massacre avait même accéléré l’émigration des juifs marocains vers l’Etat hébreu. Haaretz rapporte aussi que, quelques jours après la proclamation de l’Etat d’Israël, le sultan chérifien Mohammed Ben Youssef, le futur roi Mohammed V, avait prononcé un discours mettant en garde contre toute forme de solidarité avec l’ennemi sioniste. «Même s’il avait insisté sur le fait que les juifs étaient des citoyens marocains protégés, son discours incitait implicitement contre les juifs et avait un impact sur les sentiments des Marocains chez qui, la haine envers les juifs n’a fait qu’augmenter», écrit le journal.
Dans la matinée du 7 juin, des manifestations à Oujda se rendent dans le Mellah où ils tuent cinq juifs avant d’en blesser d’autres, poursuit la même source. La vague de haine se déferlera aussi à Jerada, au sud de la capitale de l’Oriental, où des manifestants se sont attaqués aux juifs de la ville, tuant 37 personnes dont le rabbin de la ville Moshe Cohen et quatre membres de sa famille. D’autres personnes parmi les 120 juifs de cette petite ville ont été blessées.
«Les dommages causés aux biens ont également été importants dans les deux villes. Comme la police n’est arrivée que quelques heures après le début de la violence, elle ne pouvait qu’évaluer les pertes», rapporte le média israélien selon qui «lorsque le pacha de Oujda, Mohammed Hajoui a condamné la violence et a même visité les maisons de toutes les victimes, il a été attaqué le 11 juin dans une mosquée de la ville».
Des incidents qui ont accéléré l’émigration des juifs ver Israël
S’exprimant au lendemain de ces tristes événements, le commissaire français René Brunel à Oujda avait affirmé que les juifs étaient responsables de deux massacres, en raison de leur passage à travers la ville d’Oujda sur leur chemin vers Israël (NDLR TJ : encore un nostalgique de Vichy…). Il évoquait aussi le fait que les Marocains de confession juive ont publiquement montré leur sympathie avec le mouvement sioniste. Un rapport du ministère français des Affaires étrangères, cité par Haaretz, indiquait que «les habitants de cette région proche de la frontière algérienne considéraient tous les juifs au départ vers Israël comme des combattants du côté de l’entité sioniste». Mais alors que la France se lavait les mains de toute responsabilité dans ces drames, la Ligue française des droits de l’homme et de la citoyenneté avait accusé les autorités coloniales, qui contrôlaient la province tout comme d’autres régions du Maroc.
En marge des massacres, des travailleurs et des responsables avaient été poursuivis en justice pour incitation à des violences ayant entraîné la mort. Ils avaient ensuite été condamnés à la prison à perpétuité avec des travaux forcés.
Au lendemain des drames, l’émigration des juifs vers Israël s’est multipliée. En 1949, soit un an après le drame, environ 18 000 Marocains de confession juive avaient quitté le Maroc vers Israël. Pendant la période entre 1956 et 1958, le nombre de juifs ayant quitté le royaume dépassait 100 000 personnes. Après l’indépendance, feu Mohammed V avait interdit l’émigration des juifs, leur octroyant des droits et en affirmant qu’ils jouissent pleinement de leur citoyenneté marocaine. Des positions également exprimées lors de ses premiers discours et avec aussi la nomination du Marocain Léon Ben Zaken, de confession juive, pour le poste de ministre dans le premier et le deuxième gouvernement du Maroc.
Toutefois, après sa mort, l’émigration des juifs avait repris et les frontières étaient à nouveau ouvertes.
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