Manuel et Manu, clap de fin

Ça aurait pu ressembler à une histoire de frondeurs frondés, de traitres trahis, digne des enfultes[1] de feu le PS, mais ce fut au final un chapitre qui aurait trouvé sa place dans ce que BHL appela Le grand roman français d’Emmanuel Macron.macron_vallls_2

L’attitude du Président et celle de son entourage face à Manuel Valls nous parut un brin choquante, cette semaine, tant ce comportement ressembla à ceux de vainqueurs aussitôt oublieux de leur propre histoire. Manuel Valls. Notre PM près de 3 ans. Celui qui fit montre de courage en prenant à plusieurs reprises des positions claires et fermes en faveur de la laïcité et du droit des femmes. Valls, donc. Mon candidat de cœur. Celui que les jamais contents accusèrent d’avoir voulu aller gameller chez Macron, et forcément il se serait fait tej. Qui ajoutèrent, ceux-là qui prétendent tout savoir, qu’il aurait dû faire comme la nièce de l’héritière : prendre du recul. Manuel, plus clivant que lui, tu meurs.

Allait-on l’humilier,  celui qui resta fidèle à son chef et à la France au lieu d’aller créer lui aussi son parti, celui sans lequel le bilan du terrorisme aurait été plus sanglant encore, celui qui fut le premier à le prononcer, le mot tabou islamo-fascisme, alors qu’ils étaient tous à calculer les voix des cités, tous qui aujourd’hui lui font la morale, Camba et ses accommodements avec le CCIF et Bachelay, cet anti sioniste viscéral et protecteur des voileurs de femmes, bref tous ceux-là qui la firent monter, la candidate FN, abandonnant la laïcité au profit de suffrages qu’ils n’obtinrent pas et qui ce matin osent lui reprocher, à l’ex PM, d’avoir failli dans le combat pour la République et la laïcité.

Feuilleton Manuel Valls-La République en marche. Car elle n’avait échappé à personne, la guerre sans merci qu’ils se livrèrent, Manuel versus Manu. Qu’ils se livrèrent après s’être tant aimés. Notre jeune Président, il paraît que ce soir du 17 février 2015 où le PM imposa la loi Macron en dégainant le 49.3, eh bien il ne décoléra pas, y voyant un croche-patte à 10 mètres de l’arrivée[2], qui le privait de surcroît de débat parlementaire ; et même que ça s’entendait à sa façon de jouer du piano ce soir-là… c’est Brigitte qui le dit : le PM aurait saboté son minutieux travail pour faire passer sa loi pour la croissance et l’activité en lui imposant une lutte à mort, et d’ailleurs, dans le docu sur les coulisses de sa campagne diffusé sur TF1[3], le Président Macron ne parle-t-il pas, évoquant le cas de Manuel Valls, d’une vraie trahison sans prise de risque personnelle :  S’il y a un traître là, quelqu’un qui a flingué Hollande, c’est Valls. Ajoutant: une tentative  d’impeachment de l’intérieur.

Manuel, il l’aurait humilié en son temps, son ministre de l’Économie. Ce qui est sûr, c’est que ces deux-là, ayant endossé le même costume de briseurs de tabou de la gauche puis celui de champions des progressistes, jouaient dans la même cour, celle du renouvellement de la vie politique, des têtes et des pratiques, et tout ça sur un positionnement social-libéral assumé : un costume pour deux.

Alors ? S’il est exact que ce serait lui, Manuel, qui aurait à mult reprises insisté auprès de Hollande pour faire entrer le brillant Manu au gouvernement, c’est ballot, car le voilà aujourd’hui  quémandant l’investiture pour les législatives à ce tout jeune parti, La République en marche, créé par notre Président fraichement élu. Et le voilà gaussé, parce qu’on lui demande de postuler sur son site internet comme tout le monde, et puis qu’on lui dit aussi qu’il ne correspond pas aux critères. Je clique, je clique, mais ça ne marche pas, répond Manuel, confronté comme vous ou moi à quelques problèmes techniques et expliquant avec hauteur: J’ai échoué là où Emmanuel Macron a réussi. Je veux le rejoindre, participer. Tout ça pendant que le PS lance à son encontre une procédure d’exclusion. Enfin : ce qui reste du PS. Qui se permet d’exclure un militant qui en a  gravi tous les échelons au prix d’un parcours assidu et classique et qui fait dire à Jean-Marie Le Guen, évoquant des frondeurs transformés en ayatollahs: Honnêtement, ça me fait pleurer. Au point où nous en sommes, quelle est l’autorité morale et politique de ces gens ?

On se souvient que l’affrontement avait atteint son apogée quand, après les attentats du 13 novembre 2015, Macron expliqua devant le think tank Les Gracques que la société avait une part de responsabilité dans les dérives djihadistes, l’État ayant laissé se constituer un terreau dans les endroits où la République s’abandonnait. A quoi le PM avait répondu qu’iI n’y avait au terrorisme aucune excuse sociale, sociologique et culturelle. Bref. Jusqu’à ce 9 février 2016 où le brillant gamin, face à la Fondation France-Israël, s’attaqua à la déchéance de nationalité, expliquant qu’on ne traitait pas le mal en l’expulsant de la communauté nationale, jusqu’à ce 30 août 2016 où le ministre de l’Économie, accusé de désertion par son PM,  largua les amarres, démissionna et lança sa candidature à la présidentielle.

Tout ça pour que ce matin ce soit François Baroin qui évoquât sur le plateau des 4 Vérités de France 2, des règlements de compte entre Macron et Valls (…) qui n’avaient rien à voir avec la bienveillance qu’on nous avait vendue pendant la campagne. Soi-disant que lui n’aurait jamais vu une telle violence.  Et vous aviez Bayrou, l’expert en la matière, qui renchérissait et parlait d’humiliation-poison qui infectait tout, et vantait un pouvoir qui se devait d’être généreux pour échapper au vertige des règlements de compte. 

Je n’ai pas fondé une maison d’hôtes

On se demandait comment elle allait se finir comment, cette affaire. Resterais-je une orpheline de Valls et le Président allait-il se priver de ses talents en opposant à sa candidature une fin de non-recevoir. Je n’ai pas fondé une maison d’hôtes, avait déjà lâché à l’adresse de Manuel Valls notre Président alors en campagne, ajoutant que son parti n’avait  pas vocation à recycler les politiques sortants.

Il a attendu, Manuel. De savoir s’il allait être investi par le parti présidentiel aux législatives dans  la première circonscription de l’Essonne, son fief depuis 2002. Manuel, à la merci de son ancien ministre, Manuel dont Le Monde rappelle cruellement comment il fanfaronnait jadis en  recrutant celui qu’il appelait en privé le microbe: J’ai fait un bon coup. Moi, j’avais même une copine qui me disait ce matin : ben Manuel, il est un peu un migrant, là, non ?

La question, elle fut tranchée ce jeudi, lors de l’annonce par Richard Ferrand des candidats investis par La République en marche pour les prochaines législatives. Et il l’a jouée fine, le Président fraîchement élu, choisissant de ménager pour l’instant des ténors de droite et de gauche en n’investissant aucun candidat La République en marche dans quelque 150 circonscriptions, et en laissant champ libre à Manuel Valls dans l’Essonne : À ce stade, nous n’investissons pas l’intéressé mais nous ne lui opposons pas de candidat, le parti souhaitant que puisse être maintenu vivant un espace permettant la recomposition du paysage politique français. 

Manu, il n’est donc pas investi, mais il ne lui pas sera opposé de candidat ou de candidate macroniste. Il se déclare satisfait. Le voilà dès lors promu au rang de ceux tels Juppé, NKM ou Xavier Bertrand, que le Président aurait décidé de préserver.

Clap de fin de ce qui eût pu être un mauvais feuilleton mais notre président, il l’avait déjà faite sienne, cette maxime[4] : Le roi de France ne doit pas se venger des querelles du duc d’Orléans. 

Sarah Cattan

[1] Le Dictionnaire pas Académique, dit Dico des mots,  est un dictionnaire collaboratif créé par les internautes en avril 2005. Il propose cette définition : Assemblage de deux mots enfant et adulte  pour  désigner ceux qui ne sont pas encore tout à fait adultes mais qui ne supportent pas d’être appelés enfants. Synonyme : adolescent

[2] Richard Ferrand, devenu secrétaire général d’En marche !

[3] Les Coulisses d’une victoire.

[4] Ainsi aurait conclu sagement, en 1498, le duc d’Orléans, devenu le roi Louis XII à la faveur de la mort de Charles VIII, qui ne laissa pas d’héritier direct.

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1 Comment

  1. Manuel Valls commente cette semaine difficile dans le JDD de demain:
    « A la fin, il n’y a rien de magnanime dans cette histoire. On joue jusqu’au bout, on l’humilie, on l’isole pour finir par une solution de compromis. Mais ils l’ont fait de manière tellement appuyée que ça s’est retourné contre Macron. C’est devenu le cas Valls », estime-t-il en parlant de lui à la troisième personne. Il reconnait avoir réfléchi à abandonner : « Après les trois jours que j’ai connus, d’autres auraient envie de jeter l’éponge. On en a parlé avec Anne (son épouse, NDLR). De manière immodeste, je pense qu’on a besoin de moi. On a besoin de moi au Parlement. »
    Extrêmement lucide sur Macron et sur son équipe, Valls ajoute : « Hollande est méchant, mais dans un cadre. Macron, lui, est méchant, mais il n’a pas de codes donc pas de limites : « Très sincèrement, je veux qu’il réussisse. […] La gestuelle du Louvre était très positive. Ce mélange de jeunesse et de tradition, c’était bien, je n’ai pas de problème avec le bonapartisme. Je sais quelle est la gestuelle dont le pays a besoin, ce que François Hollande a oublié – il ne l’a assumé que dans les heures les plus dramatiques. Hollande a oublié de faire de la politique, nous obligeant à faire pareil. Macron n’a pas gagné sur un programme, il l’a emporté parce qu’il a fait de la politique. »

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