«Une ‘Start-up Nation’ est une nation où chacun peut se dire qu’il pourra créer une start-up. Je veux que la France en soit une», déclarait en avril dernier Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence de la République.
L’expression n’est bien sûr pas nouvelle; ce sont les auteurs israéliens Dan Senor et Saul Singer qui la vulgarisent dans un livre éponyme dès 2009. A l’image d’Israël qui, dix ans plus tard, continue d’entretenir cette image à travers le monde, le président Macron devra, si il suit cette promesse, insufler une forte culture entrepreneuriale dans chaque secteur économique. Au final, quels sont les resorts d’une vraie ‘StartUp Nation‘? Le modèle est-il adaptable à la France?
Tandis qu’Israël investit 4,3% de son PIB dans la R&D (d’après la Israel Innovation Authority), la StartUp Nation est surtout connue pour être la terre d’accueil des grands centres R&D des groupes mondiaux. Sur cette rive de la Méditerranée, 9% de la population active est employée dans l’innovation. Le taux de chômage y est inférieur à 5%. Autant d’atouts qui l’ont d’ailleurs placé dans le Top 10 des économies les plus innovantes pour l’année 2017, selon Bloomberg.
Plus qu’une culture, la StartUp Nation oriente les politiques sociales. De fait, seuls 3% des actifs d’origines arabe sont employés dans l’innovation. Et parmi les juifs orthodoxes, la proportion est toute aussi faible. Diverses initiatives ont donc été mises en place pour faire que les opportunités du digital touchent l’ensemble des 8,5 millions d’habitants (dont 1,7 million d’arabes) que compte le pays.
Penser global, dès la création de l’entreprise
En Israël, la mondialisation fait partie de l’histoire du pays. Des premiers migrants russes arrivés à la fin du XIXe siècle, aux travailleurs chinois qui arrivent aujourd’hui pour construire le pays, la culture start-up s’est fortifiée sur une vision globale de l’économie et des échanges. Israël compte actuellement 70 sociétés de capital-risque, dont 14 sont étrangères (venant de Chine, Inde, Australie, Europe, et Etats-Unis) pour venir financer les 6 000 start-up du territoire.
Avant d’atteindre le stade de la rentabilité, les jeune pousses cherchent d’abord à faire connaître leur technologie au niveau mondial. Créée en 1999, Mobileye, le fleuron national spécialisé dans les assitants de conduite pour la voiture autonome, a attendu 2008 avant de vendre sa solution à BMW. Sa stratégie a d’abord été de se positionner comme un sous-traitant innovant pour les grands constructeurs automobiles. Racheté en février par l’Américain Intel, il est désormais au stade de l’internationalisation, grâce cette alliance.
L’échec, une étape obligatoire dans la construction
« Jamais un VC n’étudiera un dossier si l’entrepreneur n’a pas échoué deux ou trois fois avant», raconte Cyril Cohen Solal, correspondant FrenchWeb en Israël qui accompagne des porteurs de projet pour la société Keyrus.
L’entrepreneur est perçu comme tel, seulement après voir pu démontrer plusieurs échecs notoires dans son parcours. En 2015, une étude démontrait que seuls 4% des start-up israéliennes réussissaient (IVC Research Center et REVERSEXIT dans Globes) et seulement 4 sur 500 parvenaient à grandir de manière indépendante, sans passer par la case rachat.
La culture de «l’Exit»
Si les Israéliens peuvent opter pour une forme de nationalisme sur le plan politique, d’un point de vue économique, leur réussite ne passe pas nécessairement par du patriotisme. Dès la création de l’entreprise, beaucoup visent en effet l’«exit» réussie en se revendant à un groupe international. C’est ainsi que la StartUp Nation ne se conçoit pas comme une terre concurrente de la Silicon Valley mais plutôt comme une «partenaire», comme l’explique à FrenchWeb Ziva Eger, la responsable de la marque «Invest In Israel» au sein du ministère de l’Economie.
A Jerusalem Venture Partner (JVP), l’un des accélérateurs les plus importants du pays, les entrepreneurs visent les premiers contrats à l’international pour attirer plus gros qu’eux et être racheté.
Être adaptable à toutes les situations
«Les Israéliens sont des ‘problems solvers’», aime-t-on rappeler dans l’écosystème Tech local. Une approche apprise dans les rangs de l’armée, tandis que le service militaire est obligatoire pour tous les jeunes pendant deux ans. Ainsi, chez le fabricant de drones Airobotics ou du spécialiste de la cyber-sécurité Fifth Dimension, on vante ainsi une discipline militaire dans l’entreprise; perçu comme un facteur de réussite aux yeux des collaborateurs.
Au sein de Fifth Dimension, les liens sont encore plus clairs, avec des managers issus de «l’Unité 8200», l’unité d’élite qui sélectionne les meilleurs ingénieurs et data scientists afin de faire leur service militaire au sein de cette division dédiée entrièrement aux projets de cyber-sécurité. Certaines entreprises de cyber-sécurité ont d’ailleurs vu le jour pendant le service militaire, en version bêta, avant de lancer la commercialisation à la fin des deux ans. A Beer Sheva, capitale de la cybersécurité, l’Unité d’élite collabore étroitement avec l’université locale et les incubateurs.
Côté revenus, les Israéliens installés sont prêts à réduire leur ambition pour contribuer à la StartUp Nation. Si le coût de la vie est particulièrement élevé à Tel Aviv, la capitale de l’État, les niveaux restent inférieurs aux standars américains ou européens. A la fin de 2015, le salaire moyen israélien s’élève à 9 591 Shekels (2 241 euros), d’après les chiffres du Bureau Central des Statistiques cités par Times Of Israel. Les salariés du secteur High Tech, sont les mieux lotis. Un développeur gagne entre 18 000 et 21 000 shekels (entre 4 183 et 4 880 euros) par mois, indique l’étude de juillet 2015. Les profils les plus recherchés peuvent gagner jusqu’à plus de 30 000 shekels (6 972 shekels), note le journal. A titre de comparaison, le salaire du développeur français atteint près de 95K annuel, d’après une étude menée par le cabinet Robert Half en 2016. Les postes de décideurs (DSI, CDO, directeur technique) se situent entre 100K et 150K annuels.
« Il est vrai que, côté salaires, on ressent un certain plafond impossible à dépasser en Israël», constate également Cyril Cohen-Solal, VP international Innovaiton au sein de l’entreprise de conseil en management et stratégies Keyrus installé à Tel Aviv.
Éduquer vers le client final
La plupart des universités en Israël ont intégré une forme de pensée tournée vers le consommateur. Au Technion, l’université en pointe sur les nouvelles technologies, les passerelles avec le monde de l’entreprise sont nombreuses. IBM, qui, à quelques kilomètres de là, a implanté depuis 1972 l’un de ses plus importants centres de recherche, à Haïfa, y organise régulièrement des workshops avec des étudiants.
En Chine, à Guangdong, où le Technion a ouvert une filiale en Chine, l’université est notamment partenaire de la fondation Li Ka Shing, détenue par le milliardaire et multi-investisseur hong kongais. Tous les cours auprès des étudiants chinois y seront dispensés en anglais.
Au Sud du pays, à Beer’Sheva, le CyberSpace repose sur une joint-venture publique-privée entre l’université et les entreprises de la cyber-sécurité pour nourrir l’écosystème.
« Nous fabriquons notre hardware ici, en Israël, parce que les compétences sont excellentes et que nous sommmes plus proches de nos premiers clients», explique Avner Avidan, le cofondateur d’Inspecto.
Une autre vision de la démocratie
Dans cette course au «brain power», certains entrepreneurs se tournent pourtant vers les enjeux sociétaux : Civic Tech, éducation, environnement, solidarité à l’image de l’app de philantropie Feelanthro…le «social impact» tente de se faire une place au pays des «exit»et des secteurs stars pour les investisseurs tels l’IoT, la data, la cybersécurité… Le gouvernement promet, lui, des aides pour financer les «challenges sociétaux». Ceux-ci restent toutefois circonscrit au «handicap, à la santé, et au secteur public», d’après le document annuel des subventions publié par la Israel Innovation Authority.
« La révolution de la démocratie, ce n’est pas la réinventer, c’est croire à une nouvelle superpuissance des entreprises», résume Chemi Peres, fils de l’ancien Premier ministre Shimon Peres et fondateur du fonds Pitango, l’un des plus importants du pays.
Au même titre que les Facebook, Google, Amazon, Apple, dont les chiffres d’affaires avoisinent ou dépassent ceux des États, la StartUp Nation israélienne se pense désormais comme une plateforme réunissant une galaxie d’entreprises technologiques, toutes mises au service de la société et d’une forme de bien commun.
Poster un Commentaire