Son âge, on ne le sait pas. On apprendra progressivement qu’il est le grand-père et aussi le pilier de cette famille. Nous voilà à son chevet dans une chambre d’hôpital ?
C’est qu’il est en phase terminale d’un cancer des os et le premier roman de Victoria Klem nous invite à partager ce huis clos autour de la fin de vie. Vous savez ? Ce fait de société dont il n’est pas de bon ton de parler. A croire qu’il n’existe pas, ce moment terrifiant et banal, banal en cela que tous, un jour, nous y serons confrontés. Confrontés à ces questions éminemment éthiques, entre foi et loi, qui surgiront, l’air de rien, dans une chambre d’hôpital. Au chevet d’un être chéri. En fin de vie. Ici ce grand-père qui se meurt. Que les uns appellent Bob ou Boby et les autres Pappy et même Papinou. Cet homme qui fut un époux, un père, un grand-père, et qui va mourir, entouré des plus proches, attentifs comme on peut l’être dans cette dernière semaine de vie au moindre signe sur ce visage usé et déjà condamné au silence.
Autour du mourant, il y a Betty, l’épouse, celle qui refuse de s’habiller en noir et s’est vêtue d’une veste couleur parme. Il y a Emma, sa fille, et ses petits enfants : Maxence, kinésithérapeute qui ne peut plus désormais soulager le malade, Julie, venue tout spécialement d’Israël, et Vanessa, Vany quoi, à laquelle l’auteure confie les clés de la narration : Vany, qui, régulièrement, récite des poèmes de sa création en espérant que Bobby les entende.
Bobby ? Ses pensées, en italiques, parsèment le fil narratif et l’auteure nous confie qu’il lui a tout appris, notamment le courage d’accepter de partir.
Le Dernier Kiddouch
On est juste avant Roch Hachana, le nouvel an juif. La médecine ne peut plus rien pour lui désormais sous sédatif, profondément endormi. Un personnel médical particulièrement bienveillant permet à la famille de partager le repas de shabbat autour du mourant, histoire de réciter en sa présence un dernier kiddouch. Les discussions, lorsque sont abordés les détails de l’enterrement, opposent religieux et non-croyants. Et puis il ne manquait que lui : ce rabbin de passage qui s’en mêle.
Une semaine. Une longue attente où se relayent au chevet du malade ses proches, déterminés à créer autour de ces ultimes moments un climat presque festif. Alors comme pour la mamma d’Aznavour, ils sont venus ils sont tous là, refusant qu’il meure seul. Une semaine au cours de laquelle alternent moments cocasses et émouvants, Betty décidant un jour de montrer à la famille réunie les bijoux que son mari lui a offerts au fil du temps et lisant à haute voix la première lettre qu’il lui adressa, et Vanessa, la petite fille dont Bobby jadis encouragea le beau brin de plume, lisant au mourant les poèmes qu’elle a écrits pour lui et qui parlent à chacun de nous.
C’est elle la narratrice. Elle qui raconte la dernière semaine de vie de son grand-père, à l’hôpital certes, mais entouré des siens, ce mur porteur qui protège et qui tente d’empêcher la maraude. Ces femmes, elles parlent, elles se parlent et lui parlent aussi à lui, de tout de rien, comme il sied bizarrement dans ces moments solennels. C’est de Bobby que Vany la tient, cette histoire du Sambatyon extraite du Talmud, le Sambatyon, ce fleuve mythique au-delà duquel, selon la mythologie juive, sont exilées les dix tribus perdues d’Israël. Qui sépare les vivants et les morts. Qui, du dimanche au vendredi, charrie des rochers dangereux empêchant qu’il fût traversé et qui, pour shabbat, s’apaise miraculeusement et peut donc en théorie être traversé sauf que seule l’arrivée du Messie avec la résurrection des morts autoriserait ce passage.
Chacun, à sa manière, seul au milieu des autres, va vivre la question de l’accompagnement jusqu’à la mort de ceux qu’on aime. Chacun va s’interroger sur les progrès mais aussi les limites de la médecine. Sur la Loi concernant les personnes en fin de vie et ce qu’elle permet : non de donner la mort mais de mourir dignement, les douleurs apaisées. On la revit, l’histoire de celui qui meurt, on les perçoit, les liens affectifs qu’il tissa sa vie durant. On accède à ses propres références spirituelles.
Les Questions Entre Foi Et Loi
On le touche du doigt, le respect inhérent à la dignité humaine du mourant, car les soins prodigués autant que le respect des rites religieux nous y ramène.
Il est mort. Rosh Hashana. Selon la Halakha, la loi juive, il n’ y aura donc pas de shiva[1]. Et la loi Leonetti ? Qu’est-ce qu’on en fait ? Abréger les souffrances de Poppy heurte la tradition juive. Alors au cœur de ce huis-clos vibrant, s’invitent les inévitables questions entre foi et loi. Le mourant est juif, et dans sa famille, la palette des sensibilités religieuses est large, l’athéisme aussi, contrepoids indispensable au fait religieux, étant représenté. Alors ceux-là pour qui le Ciel est vide vont s’opposer aux autres, qui tiennent aux rites et veulent l’aval du rabbin.
La loi des hommes. Celle qui désormais porte le nom de Loi Leonetti, la voilà elle aussi qui s’en mêle, plaçant la famille face au choix douloureux de la sédation profonde. C’est la sidération lorsque vous êtes Juif et confronté au dilemme entre la foi et la loi, entre les croyances et les prescriptions médicales, le respect de la vie et la crainte de prolonger des souffrances inutiles. C’est que la loi Leonetti, en contradiction ou non avec la Loi juive ou autre, elle a beau avoir balisé le chemin, nous n’en restons pas moins dans le désarroi, démunis que nous sommes face à la mort et surtout face à notre responsabilité d’accepter de contrer ou non le temps naturel de la mort, supportant à jamais le poids d’une telle décision. Etait-ce bien le désir de celui qui s’en va ? Questionnement éminemment éthique.
Qu’elle nous confie, l’auteur, qu’avant de partir, son père lui aurait dit : Si tu écris un livre, appelle-le Le Sambatyon, et nous comprenons que, forcément, si universelle fût-elle, il fallait qu’elle l’eût vécue, cette grande affaire, pour la si bien raconter, et restituer l’universalité des doutes, peurs et questionnements qui nous ont déjà tous, un jour, envahis, ou qu’un jour nous côtoierons.
Ce premier roman, sélectionné pour le prix Wizo 2017, quelque chose me dit qu’il ferait un tabac, adapté au théâtre.
La traversée du Sambatyon, Victoria Klem, Roman, Sépia, Octobre 2016, 182 pages.
Si Victoria Klem, pour son premier roman, a choisi ce titre, c’est que l’on dit aussi que le Sambatyon, c’est le fleuve qui sépare les vivants des morts. Et là est le sujet du roman. La fin de vie.
Sarah Cattan
[1] Les 7 jours.
A l’Attention de Sarah CATTAN,
Bonjour Madame,
Je découvre à l’instant votre recension magnifique!
Etre bien lu et bien compris est une chance pour un écrivain.J’ai écrit ce roman comme un scénario afin qu’il puisse être porté à l’écran ou au théâtre, comme vous l’avez souligné.
Grand Merci d’avoir illuminé si justement mon roman.
Je serai à Paris dans quelques jours ( du 24 au 28), peut-être l’occasion de nous rencontrer.
En toute sympathie,
Victoria KLEM
La Traversée du Sambatyon
0620626374
J’en serais ravie, demandez à Tribune mes coordonnées. Bien a vous. Sarah