C’est un refrain courant à l’hôpital de Nahariya qui soigne des blessés syriens, et devient leader mondial dans le traitement des blessures de guerre.
Raji, âgé de 23 ans, se dirigeait vers un ami dans l’ouest de la Syrie lorsque la balle d’un sniper l’a atteint au visage. Le jeune homme a eu un choix rapide à faire: se faire soigner en Jordanie ou en Israël. Il n’a pas hésité un seul instant.
«J’avais beaucoup entendu parler de la qualité des traitements et de la prise en charge dans les hôpitaux en Israël, et il y avait des histoires effrayantes sur ce qui se passait en Jordanie», a-t-il déclaré à Haaretz depuis sa chambre à l’hôpital de Nahariya. « J’ai entendu que l’amputation y était pratiquée pour un oui, pour un non ».
Il a été reçu en Israël par le professeur Samer Srouji, spécialiste de la bouche et de la mâchoire en Galilée occidentale. « Je n’ai jamais vu un patient dans un tel état », raconte Srouji. « Raji avait perdu la mâchoire supérieure, les pommettes des deux côtés de son visage et son œil droit. C’était un spectacle insoutenable et inimaginable ».
La mission de sauver le visage de Raji a commencé le jour de son arrivée et a duré un an et demi. À l’heure actuelle, il parle hébreu, s’est habitué à la nourriture de l’hôpital et est très impliqué dans son traitement.
On ne demande pas à tous les Syriens blessés s’ils veulent venir en Israël. Les premiers patients, à qui on n’a rien demandé, étaient terrifiés lorsqu’ils ont découvert où ils se trouvaient, a déclaré le directeur de l’hôpital, le docteur Masad Barhoum. « Il leur a fallu un jour ou deux pour se calmer et se rendre compte qu’ils ne seraient pas maltraités », dit-il. « Maintenant beaucoup demandent à venir en Israël ».
L’hôpital de Nahariya se trouve à 10 kilomètres de la frontière libanaise et c’est le deuxième centre médical le plus important du nord d’Israël. Inauguré en 1956, il compte 722 lits et, depuis 2013, l’année où Israël a commencé à prendre en charge des blessés syriens, il est devenu un leader mondial dans le traitement des blessures de guerre.
Au cours des quatre dernières années, il a traité 1 600 Syriens, soit 70% des blessés syriens entrés en Israël. Leur séjour moyen est de 23 jours.
Après l’entrée en guerre de la Russie en septembre 2015, le rythme des patients entrants a doublé et le type de plaies est devenu bien pire, selon le Dr Barhoum.
Le personnel médical de Nahariya ne se soucie pas du pays d’origine du patient. « En voyant le visage d’un enfant, on ne peut pas imaginer comment quelqu’un peut faire cela, et surtout à l’un de ses compatriotes », déclare Smadar Okampo, infirmière en chirurgie pédiatrique.
«Ces enfants n’ont pas d’enfance. Les adolescents, 14, 15ans, sont parfois des combattants. Impossible de savoir si c’est un civil innocent, un combattant de Daesh ou du Front al-Nosra, ou un soldat d’Assad. En tout cas, nous traitons tout le monde. »
« Je me fiche de qui se bat contre qui », ajoute le Dr Eyal Sela, chef du département ORL de l’hopital. La seule chose qui compte, dit-il, c’est qu’il ne reste aucun hôpital là-bas, et presque plus de médecins.
Un monde d’enfants en Syrie
Un patient qu’il ne peut oublier est un jeune garçon de 15 ans, touché à la main droite par une grenade. Il a perdu son bras droit et tout le côté droit de son torse a été brûlé. Pourtant, tout ce qu’il voulait, c’était retourner en Syrie.
« Nous lui avons demandé, presque supplié, de nous laisser le soigner. Enfin, nous l’avons persuadé de rester quelques jours. Il a reçu un traitement et est retourné en Syrie avec des points de suture et du placage métallique « , dit Sela.
« Un an plus tard, il s’est présenté avec la même blessure de l’autre côté, encore une fois d’une grenade. J’étais comme fou et lui ai demandé pourquoi il n’avait pas retenu la leçon de ce qui lui était arrivé Je n’oublierai jamais sa réponse: «Vous avez des smartphones et PlayStations pour jouer, et nous, nous avons des grenades à main. Qu’est-ce que tu veux de moi?' »
La réalité complètement différente à quelques kilomètres de là, crée un profond engagement émotionnel. Les employés apportent de la nourriture aux patients de leur domicile, selon Okampo.
«Les travailleurs arabes apportent des aliments arabes parce que les patients ont du mal à s’adapter à la nourriture israélienne. Le magasin à l’entrée fait don de Schnitzel aux enfants parce que certains ne mangeront rien d’autre « , ajoute Okampo.
« Il y a un cellier plein de vêtements et tout le monde part avec un paquet. Tous les kibboutzim de la région font don de vêtements et de jouets. Nous avons enregistré des épisodes du populaire feuilleton syrien ‘Bab Al-Hara’ et nous les diffusons, pour qu’ils puissent se distraire un peu. »
Des liens émotionnels sont créés. Dès leur arrivée, les blessés syriens cessent d’être l’ennemi. « Leurs histoires nous font pleurer », dit Barhoum.
Les liens humains, l’aide humanitaire et les considérations de sécurité ne sont qu’une partie de l’histoire. L’hôpital admet que ces cas horriblement compliqués sont une grande opportunité pour l’expérience. Toutes les victimes de traumatismes en bénéficieront. « Je prépare l’hôpital pour la troisième guerre du Liban, ce qui, je crois, viendra », ajoute Barhoum.
Raji est hébergé dans un quartier relativement isolé où se trouvent la plupart des patients syriens. Le quartier a été sécurisé 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, depuis que les civils druzes ont attaqué une ambulance transportant des Syriens blessés en juin 2015, pensant qu’elle transportait des combattants du Front al-Nosra.
Les enfants arrivent avec des membres manquants et des visages brisés, mais beaucoup sont aussi dans un état général pitoyable et ont des poux. Le premier ordre du jour est le nettoyage, dit Okampo. Beaucoup arrivent sans leurs parents. Certains sont inconscients et ne se rendent compte de rien quand ils se lèvent.
« Ils ne comprennent pas la langue, on a l’air différents, c’est un terrible choc pour eux », dit Okampo. Ils sont aussi étonnés que le personnel israélien puisse parler l’arabe, comme. Okampo qui l’a appris à l’hôpital. «La langue est la première chose qui crée de la confiance», dit-elle. « Il est difficile de communiquer avec un enfant à travers un tiers ».
Partir guéri, mais pas complètement
Le personnel ne s’habitue jamais aux drames, mais gagne parfois en résilience, dit Okampo. Une fois, l’équipe a lutté pour sauver un homme dont l’artère principale du cerveau avait été déchirée par une balle, et s’inquiétait des conséquences pour le patient.
L’homme s’est réveillé le lendemain matin. Incapable de parler, il a réclamé un papier et un stylo et a demandé où il était. Puis il a demandé pourquoi on l’avait sauvé. Il ne le voulait pas. « La dernière chose que j’ai vue avant d’être blessé, c’était mes deux enfants, âgés de trois et cinq ans, fusillés », a-t-il écrit.
Comme Okampo le dit, « Nous étions terrassés. Nous ne pouvions pas retenir nos larmes et nous ne savions pas quoi lui dire, comment continuer à vivre. Soudain vous vous demandez si vous avez vraiment bien fait de le sauver. » En fin de compte, ce patient a guéri et est retourné en Syrie.
Le retour en Syrie est également un moment fort. Il y a une sorte d’absurdité à prodiguer des soins illimités aux victimes et à les renvoyer en enfer. Pourtant, les patients semblent vouloir rentrer chez eux, même si leurs maisons sont dans les décombres et qu’ils vont vers l’inconnu.
« Nous voulons retourner en Syrie même si nous savons que beaucoup de gens sont morts et que tout est ruiné … La reconstruction de la Syrie prendra 50 ans », déclare Ahmed, un homme de 20 ans qui a perdu une jambe.
Les Syriens sont libérés sans aucun document prouvant leur passage en Israël. La documentation est écrite en anglais et en arabe. Il n’y ni logo de l’hôpital, ni aucun signe d’Israël sur les étiquettes de nourriture ou d’habillement.
« Si nous parvenons à réaliser un petit changement, à transformer l’opinion d’une seule personne, nous avons fait notre travail. Raji a 23 ans. Il aura une famille et ne vivra que grâce au traitement que les Israéliens lui ont procuré « , dit Sela.
« Si je traite des blessés et qu’ils reviennent en Syrie, leurs familles seront reconnaissantes. À un moment donné, leurs enfants ou leurs petits-enfants poseront des questions à propos de leurs cicatrices, et ils expliqueront que les ennemis sionistes les ont traités et leur ont sauvé la vie ».
Lorsqu’on leur a demandé s’ils avaient un message à envoyer au monde, les blessés avaient à près tous la même réponse : « Le monde entier regarde la Syrie et ne fait rien. Il n’y a personne pour nous aider, sauf Dieu et Israël. Inshallah, que toutes les nations du monde interviennent et mettent fin à cette guerre « .
Line Tubiana
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