Après les propos d’Alain Finkielkraut et William Goldnadel, le vice-président du Mémorial de la Shoah remet les pendules à l’heure.
Depuis la visite d’Emmanuel Macron au Mémorial de la Shoah en cette Journée Nationale du Souvenir de la Déportation, une petite musique aigre circule de «Causeur» au «Figaro».
Deux intellectuels juifs, descendants de déportés, engagés contre le négationnisme depuis toujours se trompent hélas, cette fois-ci, de combat.
Alain Finkielkraut, d’abord, l’auteur que j’admirais depuis «L’avenir d’une négation» ou de «Le mécontemporain» a déclaré:
«Cette initiative m’a mis dans une colère qui a surpris et choqué mes proches. Je m’en excuse auprès d’eux. C’est le fils de déporté en moi qui hurlait. On ne peut pas faire de l’extermination des juifs un argument de campagne.»
Mais plus crûment et plus gravement c’est William Goldnadel qui, dans une tribune du Figarovox, écrit :
«M. Macron, la Shoah n’est pas un thème électoral» et de rajouter : «Il est peu d’écrire que j’ai peu apprécié le déplacement spectacle d’Emmanuel Macron au Mémorial de la déportation, dimanche. Exactement pour les mêmes raisons qu’Alain Finkielkraut, en tant que descendant de déportés, cette visite médiatique m’a choqué.» Pour conclure enfin : «Pendant que l’on convoquait une nouvelle fois la question juive d’hier, on prenait grand soin de ne pas évoquer celle d’aujourd’hui.»
Et voilà, nous sommes dans l’incantation et la caricature de tout le travail éducatif exemplaire qu’accomplit le Mémorial de la Shoah depuis tant d’années et qu’ignorent, visiblement, Messieurs Goldnadel et Finkielkraut.
Permettez moi donc de leur répondre en tant que Vice-Président du Mémorial de la Shoah et de militant engagé contre le racisme et l’antisémitisme depuis près de 40 ans, mais aussi comme témoin direct de la chronologie et de la nature des évènements interprétés de manière ignorante par Alain Finkielkraut et volontairement déformante par William Goldnadel.
Emmanuel Macron devait venir au Mémorial de la Shoah le 27 janvier pour la Journée internationale de la commémoration de la Shoah. Il ne put finalement venir ce jour-là, pour des contraintes propres au Mémorial.
Il a donc souhaité s’y rendre symboliquement au cours d’une autre journée de commémoration, pas à la va-vite, mais pour une visite complète du Mémorial de la Shoah et de toutes ses activités (lieux de mémoire, archives, musée).
La Journée Nationale de la Déportation fut donc choisie. Il a souhaité en ce jour si particulier, tout comme le Secrétaire d’Etat aux anciens combattants, la Maire de Paris, deux députés de Paris, le Préfet et les élus locaux accompagnés des anciens déportés des camps de concentration et d’extermination, se rendre au Mémorial de la Shoah mais aussi au Mémorial des Martyrs de la Déportation sur l’île de la Cité en ce dernier dimanche d’avril.
Cette cérémonie a lieu tous les ans depuis soixante ans au Mémorial. Car cette journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation fut instaurée par la loi du 14 avril 1954.
Emmanuel Macron, en souhaitant effectuer cette visite ce jour-là, s’inscrivait dans la continuité de celle de François Hollande du 29 avril 2012. Visite qui eut lieu également entre les deux tours de la présidentielle:
Pour rappel, voici ce qu’écrivait le Monde du 29 avril 2012.
Au Mémorial de la Shoah, Hollande appelle à lutter «contre la haine»
Le candidat socialiste à la présidentielle, François Hollande, a visité dimanche 29 avril à Paris le Mémorial de la Shoah, saluant un «lieu admirable» et appelant à se réunir autour de «la Mémoire» pour lutter «contre la haine». «C’est un moment où toute la communauté nationale se retrouve», a dit le député de Corrèze en cette Journée du souvenir de la Déportation, qui a lieu chaque dernier dimanche d’avril, dans ce centre au coeur du quartier du Marais, qui était jadis le «pletzl» abritant une importante communauté juive.
Cette visite du candidat Hollande n’avait pas à cette époque attirée les foudres, si je ne me trompe, de M.M. Goldnadel et Finkielkraut. Pourquoi ?
Mais je souhaite surtout leur répondre sur le fond et sur l’objet de cette visite. Comme d’ailleurs à l’historienne Barbara Lefebvre, qui elle aussi s’est sentie obligée de publier une critique véhémente de cette visite dans «Causeur». Ce magazine titre «L’indécente visite d’Emmanuel Macron au Mémorial de la Shoah» et Madame Lefebvre débute sa critique acerbe par cette phrase si réductrice et SI blessante POUR les dirigeants de la communauté juive «L’indécence du lamento sans larme des politiciens qui visitent le Mémorial de la Shoah atteint ses limites quand tout le gratin communautaire se presse servilement autour d’un candidat à la présidentielle à sept jours du scrutin. Spectacle navrant que celui offert ce dimanche aux yeux des Français et parmi eux des Français juifs.».
Il nous faut donc revenir sur cette visite dont l’objet et la nature ont été dénigrés par des personnes absentes ce jour là. Des intellectuels qui ont préféré privilégier leurs combats politiques plutôt que l’exigence de vérité.
Emmanuel Macron a pris le temps, pendant une heure trente, d’écouter nos messages historiques, de se recueillir, mais pas uniquement.
Car le Mémorial de la Shoah est un lieu de mémoire mais surtout d’Histoire. C’est surtout un centre de formation et d’éducation. Nos activités pédagogiques permettent chaque année d’accueillir 60.000 élèves des collèges et lycées, de former 5.000 professeurs, d’emmener à Auschwitz 3.000 élèves et 2.000 professeurs, de nous rendre pour des formations dans des lycées de ZEP. Nous avons passé près de 45 minutes à lui montrer comment notre dispositif pédagogique, à partir des trois grands génocides du XXème siècle (Arménien, Juif, Tutsi), éduque contre la haine, les préjudices raciaux et antisémites, contre le négationnisme et le complotisme.
Notre action est justement d’aller dans ces banlieues pour faire reculer la haine du juif et tous les racismes. C’est cet antisémitisme-là, que nous n’avons pas peur de nommer mais surtout de combattre par la meilleure des armes, l’éducation. Nous formons aussi les policiers, les commissaires de police, les juges, les avocats, les journalistes, des guides et des professeurs étrangers. Nous encadrons des stages citoyens en partenariat avec le Parquet pour des personnes condamnées par la justice pour propos racistes ou antisémites. Nous nous rendons dans les prisons. C’est ce travail admirable qui est accompli chaque jour par toutes les équipes du Mémorial. Et c’est ce travail d’éducation qu’Emmanuel Macron est venu comprendre et soutenir.
Il l’a d’ailleurs écrit, n’en déplaise à nos esprits chagrins :
«Je serai toujours à vos côtés dans ce combat sans fin.
En hommage amical.
Emmanuel Macron»
Nous avons reçu également d’autres candidats républicains durant cette campagne: Bruno Le Maire, François Fillon et Benoit Hamon, sans soulever, alors, tant de critiques. Et c’est notre fierté de mener ce combat de l’éducation quand d’autres mènent celui de l’invective.
J’aurais espéré que ces deux voix de la vie intellectuelle française et juive, deux descendants de déportés comme moi, prennent plutôt leur plume pour dénoncer le danger fasciste, négationniste et pétainiste que représente pour la France une victoire de Madame Le Pen et de certains de ses amis nazis comme Frédéric Chatillon et appellent donc résolument à voter contre elle.
Il faut lutter contre toutes les formes de haine et d’antisémitisme. Et cela, Messieurs, Madame, vous le savez bien. Alors pourquoi attaquer Emmanuel Macron quand il doit faire face aux descendants assumés de Vichy, de la Milice et des Waffen-SS Français au second tour tragique de cette Présidentielle ?
Je sais gré à Alain Finkielkraut d’avoir, le même jour et dans un autre moment de l’émission, tenu, une semaine après le premier tour, une parole claire et trop longtemps attendue : «Je voterai Emmanuel Macron au deuxième tour car l’élection de la présidente du FN plongerait la France dans le chaos et la guerre civile.»
Dimanche prochain, l’appel à barrer la route au FN doit être clair et absolu et non équivoque.
Equivoque est, en revanche, la position d’un William Goldnadel qui écrit : «Pour écrire les choses crûment, celui qui ne votera pas pour Marine Le Pen ne pense pas non plus que la communauté juive de France organisée doive faire d’Emmanuel Macron une sorte de marqueur identitaire.» Qui parle de «marqueur» ? Et d’«identité» ? Par ce flou, cette ambiguïté, Monsieur Goldnadel rejoint Jean-Luc Mélenchon. Et dire qu’il préside l’Association France-Israël – Alliance Général Kœnig ! Comment Koenig, le héros de Bir-Hakeim et le Chef militaire des FFI réagirait-il face à un Président d’une Association qui porte son nom et qui n’appellerait pas résolument, explicitement, à barrer la route de l’héritière de Vichy ?
Le Mémorial de la Shoah, institution essentielle en France et en Europe pour l’éducation contre la haine raciste et antisémite en France n’avait pas besoin d’une polémique inutile à l’heure d’un choix historique pour l’avenir démocratique de la France.
François Heilbronn
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