La France a changé, par Richard Liscia

Avec presque 24 % des voix, Emmanuel Macron a remporté le premier tour de scrutin de l’élection présidentielle grâce une avance de deux points sur la deuxième, Marine Le Pen. Avec près de 20 % des suffrages, François Fillon est éliminé, ainsi que Jean-Luc Mélenchon, qui le talonne à 19,3 %. Benoît Hamon recueille seulement 6 % des voix.brigitte_emmanuel_macron

Ces résultats indiquent un bouleversement du paysage politique français beaucoup plus profond que le laissait croire une campagne constamment centrée sur les déboires judiciaires de M. Fillon et de Mme Le Pen. Par miracle, un jeune homme de moins de 40 ans, que personne ne connaissait il y a trois ans, s’est imposé au sein d’un maelström qui a permis aux deux extrêmes de réunir 42 % des suffrages. Ce qui signifie qu’une très forte minorité (et même une quasi majorité si l’on ajoute les scores obtenus par les petits candidats) s’est prononcée contre le partage du pouvoir entre la gauche et la droite, contre le « système », contre l’Europe, contre un certain nombre de libertés fondamentales. En outre, M. Macron lui-même, certes favorisé par des circonstances exceptionnelles (retrait de François Hollande, échec de Manuel Valls, problèmes personnels de M. Fillon, stratégie inepte de M. Hamon, affaiblissement de Mme Le Pen en fin de campagne), représente aux yeux de l’électorat une alternative franche à la domination socialistes-conservateurs.

Unique rempart contre les extrêmes.

Il va en bénéficier lors du second tour parce que, aux yeux de tous les démocrates, il apparaît comme l’unique rempart contre l’extrême droite et l’extrême gauche, dont le score est anormalement élevé et a infligé une déroute aux socialistes, victimes par ailleurs de leurs propres divisions. Il est essentiel que François Fillon appelle à voter Macron, comme presque tous les ténors des Républicains et que la gauche de gouvernement en fasse tout autant. Cela n’empêchera pas les règlements de compte au sein des partis : un comité politique, puis un bureau politique sont prévus aujourd’hui chez les Républicains et M. Fillon, qui « assume entièrement » son échec, dira s’il veut être le chef de l’opposition ou s’il préfère laisser ce rôle à un autre, à l’occasion des législatives de juin.
En effet, si, pour l’instant, M. Macron est certain d’obtenir de multiples soutiens susceptibles de lui assurer l’élection à la présidence de la République, la gauche et la droite, très bien implantées sur le territoire, vont tenter d’envoyer une majorité à l’Assemblée nationale. Personne ne fera de cadeau à M. Macron à l’occasion des élections législatives et le risque existe d’un gouvernement de cohabitation qui, si LR évite de commettre une fois encore une erreur stratégique, pourrait être formé avec la droite.

Les outsiders dictent les règles.

Ce premier tour inaugure donc une période politique complètement nouvelle. Ce sont des outsiders qui dictent les règles; les deux grandes formations de gouvernement sont plongées dans une crise profonde qu’elles vont devoir surmonter au moment même où l’histoire semble les avoir rejetées sur le bord de la route ; l’extrémisme strident, intolérant et sectaire fait peser sur le pays une menace que seule une réduction du chômage pourra atténuer ; peu ou prou, le pays va s’investir dans Macron dont personne ne sait s’il peut affronter les vents violents qui soufflent sur la France.
La leçon de ce premier tour est rude pour quiconque a une idée bien ordonnée de la politique. Elle souligne l’extraordinaire intuition de M. Macron qui a su capter et canaliser la fureur populaire à son avantage et pour notre profit à tous, tant les alternatives à son projet sont alarmantes. Il a une chance inouïe mais, en même temps, il en a fait le meilleur usage. Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour comprendre que, au-delà des rebondissements imprévisibles d’une campagne complètement atypique, il y avait une lame de fond que M. Macron a récupérée partiellement. Macron, c’est un Trump sage qui a ramassé la mise.

Le parti-pris n’empêche pas la lucidité.

Je voudrais enfin saisir cette occasion pour faire une mise au point : le 6 mars dernier, soit il y a sept semaines, j’ai publié un blog intitulé : « La droite a déjà perdu ». Cet article, prémonitoire, et ceux qui ont suivi ont souvent été perçus comme injustes par un certain nombre de mes lecteurs soutiens de M. Fillon. Mais le parti-pris ne doit pas empêcher la lucidité. Les idées les plus folles, vote « secret » pour M. Fillon, sondages forcément faussés, et je ne sais quelles intentions funestes qui me furent prêtées ont alors imprégné certains courriers qui m’étaient adressés. D’une part, les sondages ont été, cette fois, en parfaite adéquation avec le résultat électoral ; d’autre part, envisager la défaite du camp auquel on appartient est une attitude adulte si les éléments d’appréciation dont on dispose l’affirment. La passion idéologique déforme le raisonnement alors que l’analyse fondée sur les faits permet de garder des idées claires ; et peut-être faut-il enfin accepter que le journalisme, si décrié aujourd’hui, est encore un métier.

Richard Liscia

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

1 Comment

  1. Quand on en arrive à des situations pareilles,il devient licite de se demander si l’élection du Président au suffrage universel est une si bonne idée…. Lorsque les majorités présidentielle et parlementaire ne sont pas confondues ( ce qui risque fort d’être le cas, en Juin), l’exercice de la cohabitation ou du gouvernement d’union nationale devient incontournable…On se retrouve alors dans une situation de type quatrième République….Il serait peut être temps de rafraîchir nos institutions.

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*