En voulant réécrire au bénéfice du FN l’histoire de la rafle du Vel d’Hiv en triangulant de Gaulle, Marine Le Pen a surtout montré que le FN demeurait un parti d’extrême droite, marqué par son ADN vichyste et mal à l’aise avec la République.
Il est une limite à la triangulation, et Marine Le Pen vient de la franchir, à son grand détriment. Il est des interdits dont on ne peut s’affranchir quand on porte le nom de Le Pen que l’on a jamais rien renié d’un héritage que l’on a repris pour son compte.
On veut revenir ici sur la polémique née ce week-end des propos tenus par Marine Le Pen sur ce qu’elle nomme “La France” et la rafle du Vel d’Hiv ? Cette polémique est révélatrice du refoulé du FN et surtout de son incapacité à dépasser son ADN, formation enfantée par des nostalgiques du maréchalisme de Vichy.
Pour bien comprendre les enjeux, il est d’abord impératif de décrypter les deux temps des propos tenus par Marine Le Pen, parce que c’est le décryptage de ces deux temps qui met à jour l’escroquerie intellectuelle et politique tentée sur le sujet, et l’échec de cette dernière.
Premier temps, le dimanche matin. Sur RTL, la candidate FN est interrogée sur son programme qui entend défendre “la promotion du roman national et le refus de repentance”, le tout à l’aide d’un exemple concret : en 1995, Jacques Chirac a-t-il eu tort de reconnaître la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’Hiv, reconnaissance réaffirmée ensuite par ses deux successeurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande ?
Extrême droite un jour, extrême droite toujours
“Je pense que la France n’est pas responsable du Vél’ d’Hiv” commence-t-elle par répondre, avant de développer : “Je pense que, de manière générale, plus généralement, d’ailleurs, s’il y a des responsables, c’est ceux qui étaient au pouvoir à l’époque, ce n’est pas la France. La France a été malmenée dans les esprits depuis des années. En réalité, on a appris à nos enfants qu’ils avaient toutes les raisons de la critiquer. De n’en voir que peut-être que les aspects historiques les plus sombres. Je veux qu’ils soient à nouveau fiers d’être Français.”
Aussitôt, Marine Le Pen est l’objet de toutes les condamnations. En substance, “Telle père, telle fille”, le Front national reste le Front national, extrême droite un jour, extrême droite toujours… Tout s’écrit comme si Marine Le Pen avait à son tour commis un péché contre l’histoire et la vérité…
Vient alors le second temps de la séquence Le Pen, celui de la correction, par communiqué publié le dimanche soir : “Comme Charles de Gaulle, François Mitterrand, ou encore de nos jours Henri Guaino, je considère que la France et la République étaient à Londres pendant l’Occupation et que le régime de Vichy n’était pas la France. C’est une position qui a toujours été défendue par le chef de l’Etat, avant que Jacques Chirac et surtout François Hollande, à tort, ne reviennent dessus”, écrit-elle dans ce texte, dans lequel elle qualifie le régime de Vichy de “régime collaborateur et illégal”.
En liant les deux propos, on comprend ce qu’a voulu jouer Marine Le Pen : une triangulation post-gaullienne de la vision historique de la rafle du Vel d’Hiv et, au-delà de ce tragique événement lui-même, de la période de l’Occupation et du régime de Vichy. La candidate du FN a voulu pousser au paroxysme la récupération de la figure du général de Gaulle, réconciliateur de toutes les divisions françaises au lendemain de la Libération de la France, et ce dans la droite ligne de post-gaullisation du FN imposée par son mentor, Florian Philippot, au vieux parti de la nostalgie maréchaliste.
“Plus gaulliste que moi tu meurs”
Marine Le Pen s’est vue en “plus gaulliste que moi tu meurs”, dans le but de préempter une vision et un héritage qui ne lui appartiennent pas. Le tout avec un petit arrangement avec la vérité qui trahit la volonté de se livrer à une escroquerie politique et intellectuelle de haute volée.
A ce stade du développement, un petit point d’histoire est ici indispensable.
Ni de Gaulle, ni Mitterrand n’ont jamais prétendu que le régime de Vichy n’était pas “la France”, mais qu’il n’était pas la “république française”. Leur position était arc-boutée sur une analyse juridique de la situation.
Le 10 juillet 1940, après le vote des pleins pouvoirs par un congrès majoritairement de droite au maréchal Pétain, était née ce qu’ils appelaient une “autorité de fait” dite “Etat français”, exerçant son pouvoir sur le sol français hors de tout cadre constitutionnel. A leurs yeux, le sujet n’était pas “La France”, mais d’abord et avant tout “la République française”, supplantée par une parenthèse qu’était le régime de Vichy.
De Gaulle considérait même que “La République”, incarnation juridique et politique de la France, n’avait jamais cessé d’exister entre 1940 et 1944, ce qui le conduisit à refuser de “proclamer la République” au balcon de la mairie de Paris, le 25 aout 1944, quand Georges Bidault lui demanda de le faire, répondant : “La république n’a jamais cessé d’être. La France Libre, la France Combattante, le Comité français de la Libération nationale, l’ont, tour à tour, incorporée. Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu. Moi-même suis le président du gouvernement de la République. Pourquoi irai-je la proclamer ?”. Ainsi naquit la vision d’un régime de Vichy, réduit à une “autorité de fait”, dont les crimes n’engageaient en rien “la République” en exil.
La limite de la greffe historique post-gaullienne du FN
Cette reconstitution juridique à des fins politiques persista jusqu’en 1995, quand Jacques Chirac décida de réincorporer “L’Etat français” dans la personnalisation de “La France” en un temps et un espacé donnés, adoptant l’expression “La France” dans le but évident de se soustraire à l’encombrant héritage juridico-politique du général et de ses successeurs sans paraître les désavouer.
Ce petit rappel était nécessaire. Car ici apparaît alors l’entourloupe Marine Le Pen, qui se garde bien d’évoquer la “République” ou “La République française” dans sa triangulation, mais “La France”. Et c’est cette omission (volontaire ? Involontaire ?) qui acte de l’insincérité de sa démarche. Car si elle s’était réellement inscrite dans la tradition gaullienne prolongée en mitterrandienne, elle aurait, comme eux, évoqué “La République” ou “La République française” et non pas seulement “La France”…
Cette polémique démontre que le Front national touche la limite de sa greffe historique post-gaullienne. La chirurgie esthétique politique du bon docteur Philippot ne peut rien contre l’ADN d’un parti qui, quoi qu’il en proteste, demeure encore et toujours un parti d’extrême droite mal à l’aise avec l’idée que la France soit désormais indissociable de “la République”.
Bruno-Roger Petit
Nous avions déjà remarqué que tous les candidats, sauf les trotskistes , étaient gaulliens ou gaullistes. Cela ne mange pas de pain politique et sert toujours d’anoblissement moral instantané.
M. Fillon, pour le Point, était “gaulliste social”. Tout le monde est pour la France et pour la République qui appelle tous les candidats. Le drapeau national est agité, surveillé, depuis l’estrade, par un drapeau de l’Union Européenne. Pour être gaulliste, il faut défendre la souveraineté nationale, idée généralement admise comme porteuse d’exclusion, de guerre et autres abus qu’un publiciste grand teint ne peut défendre.
Le Front National n’aime pas être traité de fasciste. Il parle donc des PATRIOTES qui le soutiennent, ou soutiennent la France, de façon encore floue. Il restait à récupérer des voix UMP/LR, en se montrant gaulliste, sans être gaulliste. C’est donc fait. Personne ne peut se tromper sur la stratégie du FN.
La question, une question fondamentale pour ceux qui croient encore en leur pays, est le refus de la vérité quand cette vérité est exploitée par le FN. Dire que la France n’est pas responsable de l’Holocauste serait soutenir le FN. La stratégie Rantanplan est vraiment abusive, il faudrait toujours dire le contraire du FN, non dénoncer l’exploitation partisane de la vérité par le FN.
Le FN est ici secondaire. Le reproche fait au FN de ne pas parler de République est incertain et à côté du sujet.
M. Petit écrit que de Gaulle n’a jamais prétendu(sic) que le régime de Vichy n’était pas “la France”. De Gaulle n’avait pas besoin de “prétendre”. Son action montrait que la France n’était pas à Vichy. L’action de la Résistance et du CNR, l’action de la France Libre, l’action du CFLN puis du GPRF, de l’armée d’Afrique, montraient que la France n’était pas à Vichy. Que la France de Vichy n’était plus libre et n’était pas la France. La République avait été supprimée et remplacée par l’Etat français. La collaboration qui, seule, permettait le maintien au pouvoir et l’action politique de Vichy, libérée par la défaite, trahissaient la France et la République. La France ne peut trahir la France.
A propos de Florian Philippot : il est soit gaulliste, soit frontiste. A ce jour en tout cas, et tant que Papa Le Pen sera là, entouré de ses fidèles, on ne peut se prévaloir des deux tendances à la fois.