Après des millénaires de présence sur les rives du Nil, les juifs d’Egypte ne sont plus qu’une poignée, pour la plupart des femmes âgées, et aujourd’hui se pose la question de la sauvegarde de leur patrimoine, à l’abandon.
La création de l’Etat d’Israël en 1948 et la succession de conflits israélo-arabes ont favorisé la fuite ou l’exil forcé des juifs d’Egypte – certains se convertissant aussi par mariage avec des musulmans.
Aujourd’hui, à 91 ans, Marcelle Haroun compte parmi les six derniers membres de la communauté juive du Caire, six femmes. A Alexandrie, ils sont encore une douzaine.
La nonagénaire regarde avec nostalgie le passé et craint pour le patrimoine juif égyptien. « Peut-être qu’on veut effacer toute trace des juifs d’Egypte. (…) D’après l’histoire, les juifs sont en Egypte depuis les pharaons. Comment voulez-vous faire disparaître des siècles d’histoire? », s’interroge-t-elle avec émotion.
L’Egypte compte aujourd’hui une dizaine de synagogues et d’innombrables objets religieux, souvent délaissés. Comme nombre d’autres antiquités égyptiennes, les monuments juifs ont besoin de restauration.
Ainsi, à Alexandrie, le toit de la synagogue s’est partiellement effondré en 2016. Le gouvernement a pu obtenir des fonds pour sa rénovation.
Inventaire du patrimoine
Au milieu du XXe siècle, les juifs égyptiens étaient entre 80.000 et 120.000, selon différentes estimations. Leur contribution à l’économie de la société égyptienne moderne a été saluée dans des domaines divers, tels que le commerce ou l’industrie du coton.
Et ils étaient également bien représentés dans les milieux culturels, avec des stars comme la chanteuse et actrice Leïla Mourad ou le cinéaste Togo Mizrahi.
Dans la rue Adly, une des artères animées du centre du Caire, la synagogue Cha’ar Hachamaïm, un imposant édifice de pierre construit dans un style rappelant l’Egypte ancienne, est un des symboles de ce passé.
Au milieu de la salle de prière vide, Magda Haroun, 65 ans, fille de Marcelle et présidente de la communauté juive du Caire, se souvient de la place qu’occupait jadis sur les bancs son grand-père.
Désormais, elle seule possède la clé du Saint des Saints: la niche où sont rangés les rouleaux de la Torah, de véritables antiquités pour certains, qu’elle manipule avec précaution. Magda est l’ange gardien des derniers juifs de la capitale égyptienne, soit en tout et pour tout cinq vieilles dames, dont sa mère.
Elle veille aussi sur le patrimoine de la communauté: « C’est mon devoir pour les générations futures », dit-elle en expliquant qu’il fait partie de l’histoire de l’Egypte. Le rêve de Magda est de le voir un jour exposé devant le grand public.
« Le ministre m’a promis l’ouverture d’un musée des civilisations où toutes les civilisations qui ont vécu en Egypte seront représentées », dit-elle.
Une question très compliquée
Officiellement, le gouvernement ne fait aucune différence entre les patrimoines pharaonique, islamique, copte et juif. Le ministre des Antiquités, Khaled Al-Anani, explique à l’AFP qu’il a créé début 2016, pour la première fois en Egypte, un comité pour répertorier « tous les monuments juifs et toutes les collections juives qui se trouvent dans les synagogues ».
Mais la question des juifs en Egypte reste sensible, même si l’Egypte est le seul pays arabe à avoir, avec la Jordanie, signé un traité de paix avec Israël.
Le sujet a même longtemps été « tabou », dans le contexte de décennies de guerres israélo-arabes, estime le jeune cinéaste Amir Ramses, auteur d’un documentaire intitulé « Les juifs d’Egypte » (2013). « C’est une question très compliquée », dit-il.
Youssef Gaon, le chef de la communauté juive d’Alexandrie, est d’ailleurs très soucieux de discrétion. Interrogé par l’AFP, il ne répond qu’à des questions d’ordre général, et refuse toute photo ou interview filmée.
Si aucun acte d’antisémitisme récent n’est à déplorer, en 2010 un homme avait jeté une valise avec une bombe artisanale sur la synagogue de la rue Adly – sans faire de victimes.
Quant au film d’Amir Ramses, il a fait l’objet d’un bras de fer avec les autorités qui menaçaient de le censurer. S’il a finalement obtenu les autorisations nécessaires pour être diffusé, le ministère de la Culture a toutefois réclamé l’ajout d’un message en préambule: « Cette oeuvre est une création de l’imagination » du réalisateur.
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