Il a donc eu lieu, cette semaine, le premier procès d’une attaque à caractère djihadiste commise ces dernières années sur le sol français. Le procès de Ysuf K, 15 ans, pour avoir tenté d’assassiner à la machette Benjamin Amsellem, enseignant d’une école confessionnelle juive à Marseille. Ce professeur portait une kippa. Et c’était là sa seule faute. Traduisez : Cet homme était Juif : c’était sa grande faute.
Vous vous souvenez ? L’agresseur avait immédiatement revendiqué pendant sa garde à vue sa volonté de planter des juifs, de venger ses frères palestiniens, allant jusqu’à regretter de ne pas avoir coupé la victime en deux[1]. Affirmant avoir agi au nom d’Allah, se réclamant du groupe EI. Bref assumant totalement les faits devant la juge d’instruction qui le trouva complètement désinhibé par rapport aux faits.
Mis en examen pour entreprise terroriste individuelle et tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste, avec la circonstance aggravante de l’antisémitisme, il a été condamné ce jeudi à 7 ans de prison par le tribunal pour enfants de Paris. Une peine de prison à laquelle succéderont 5 ans de suivi socio-judiciaire, une peine sans privation de liberté mais avec certaines obligations, notamment de scolarisation et d’indemnisation de la victime.
L’avocat de Benjamin, il les a trouvés tardifs, les regrets récemment exprimés par l’agresseur : Sa volonté de rédemption est arrivée très tard, trois-quatre mois avant le procès.
C’est que le voyou, il assurait dorénavant que ce n’était pas bien de tuer des gens sans raison et comme ça, ajoutant : Avant je ne réfléchissais que religieusement, maintenant je sais qu’on est d’abord humain et puis ensuite musulman. Ok ! Heureusement que l’expert psychiatre qui soulignait que le jeune homme semblait s’être distancié du système totalitaire de pensée dans lequel il se trouvait avait toutefois conclu à la nécessité de maintenir un regard vigilant sur son évolution. Tu m’étonnes. Un regard vigilant. Il a été entendu, l’expert psychiatre.
Benjamin ? Il explique qu’il ne s’était, jusqu’à ce jour funeste, jamais senti en danger. Désormais il dit avoir beaucoup plus peur qu’avant : Ma famille me disait : « Fais attention ! ». Maintenant, si je sors dans un endroit où je ne me sens pas en sécurité, je préfère porter la casquette au lieu de la kippa. A Marseille, il m’était arrivé de me faire insulter par des petits jeunes à la sortie de la synagogue, mais rien de plus. Et il espère, Benjamin, que ça n’arrivera plus. Moi qui habite près d’un quartier orthodoxe, quand je les vois passer, rarement seuls, les Benjamin, eh bien j’ai toujours peur. Pour eux. Quand je les vois passer, ces pères et leurs enfants, j’ai peur aussi. Ils vont à l’école, tout à côté. Des militaires, kalash au bras, sont postés. J’ai peur. Pour eux.
Vous souvenez-vous de la polémique qui suivit cette triste affaire, concernant le port de la kippa ? Evoquant une situation exceptionnelle, le président du Consistoire israélite de Marseille de l’époque, Zvi Ammar, avait recommandé aux fidèles de renoncer provisoirement au port de la kippa, d’attendre des jours meilleurs, une prise de position immédiatement critiquée par le CRIF et le grand rabbin de France, pour qui cela revenait à céder à l’Etat islamique, ainsi que par le Président du Consistoire Central de France, Joël Mergui, qui appela à ce que la peur changeât de camp et lança l’opération Touche pas à ma Kippa.
Indignation et réactions de solidarité avaient été au rendez-vous : le collectif Noor[2] et Mounir Milles s’étaient positionnés, affirmant que Dieu ne pouvait être le prétexte et qu’invoquer l’islam pour commettre de tels actes était un blasphème. De même, nombre d’hommes politiques appelèrent à ne pas céder à la peur et deux députés portèrent la kippa à l’Assemblée. Ils ne furent pas pléthore, ceux qui mirent spontanément mis une kippa en signe de solidarité, appel généreux qui remémora, en 2016, les rares non-juifs qui arborèrent l’étoile jaune sous Vichy en guise de solidarité. Ils ne furent pas nombreux, la faute à la complexité de la question, en cette période de lutte pour la laïcité. Cette question nous amenant à comparer kippa et voile. La kippa, où nous voudrions ne voir qu’un symbole religieux. Mais eux, les tenants du voile, ils refusent d’admettre que, dans ce tissu, nous nous obstinions à voir, au-delà du symbole religieux, un asservissement sexiste. Du coup, ils nous expliquent, nos potes, que s’ils portaient la kippa par solidarité, ils devraient logiquement porter un voile demain en cas d’agression antimusulmane. Et, nous disent-ils, comme ils refuseront de porter ce symbole sexiste, les réseaux islamistes responsables de ce nouvel antisémitisme les accuseront encore plus fort d’islamophobie, et leur propagande antisémite appellera encore plus fort à tuer des Juifs à tout prix. Ils nous rappellent qu’elle existe bien, la petite main jaune Touche pas à mon pote, exhibée quand le racisme tue, mais ils ajoutent que cette main tendue, elle ne leur va pas, aux victimaires pro-islamistes, ces faux antiracistes : eux, ils n’en veulent pas, de cette main Touche pas à mon pote. C’est le voile qu’ils veulent que nous portions. Et si nous ne le portons pas alors, le voile, eh bien il tombera, le couperet, leur fameux deux poids deux mesures. Asséné par ces tyrans prompts à se changer en victimes.
Dans quel monde vivons-nous lorsqu’il faut que les victimes se cachent au lieu que ce soit au coupable d’avoir peur d’être arrêté, avait interrogé l’éditorialiste Christophe Barbier[3], pour qui inciter les juifs de Marseille à ne plus porter la kippa était une défaite éloquente, alors que Brice Couturier, dans Le Point, écrivait que lorsque dans une société donnée, la vie, pour les Juifs, devient difficile ou dangereuse, c’est que cette société est malade ou menacée. Et il pensait, lui, à ces canaris que les mineurs emportaient dans les mines de charbon. Vous savez, ces canaris et pinsons longtemps utilisés pour donner l’alarme quand les émanations de monoxyde de carbone se faisaient menaçantes, leur mort par asphyxie avertissant les mineurs de la présence du gaz avant qu’eux-mêmes ne la perçoivent. Les attaques antisémites ? Elles vous disent que la société est malade.
Un an après, Michel Cohen-Tenouji, Président du Consistoire de Marseille, nous dit que le climat semble s’être un peu apaisé mais que c’est une accalmie de façade : Nous subissons la double peine, attaqués en tant que français et en tant que juifs. L’antisémitisme est toujours vivace. La bête immonde est toujours vivante. Mon prédécesseur, à l’époque, avait fait cette recommandation car il s’agissait de sauver nos vies. C’était une réaction à une situation émotionnelle. Pour nous, se couvrir la tête est un acte important dans notre religion. Il ajoute, Michel Cohen-Tenouji, que s’il est sans doute préférable pour les enfants de porter plutôt une casquette dans un contexte dangereux, pour les adultes, il n’est pas souhaitable de reculer. Le Talmud, il dit quoi ? Il nous apprend que le port de la Kippa nous rappelle que Dieu est l’Autorité suprême au-dessus de nous. Que placer quelque chose de tangible et de symbolique au-dessus de nos têtes renforcerait l’idée que Dieu nous observe en permanence, la Kippa étant donc un moyen d’exprimer notre sens profond de respect pour Dieu.
Alors. Pour les observants. Il ne faut pas reculer. Mais il faut se protéger. Jusqu’à quand ? Toujours ? D’être Juifs tout simplement ? Et dans l’imaginaire collectif, la communauté juive restera-t-elle indéfiniment assimilée à cette image réductrice où seuls les signes extérieurs et les clichés domineront : Tu portes une kippa. T’es riche. T’es Juif. T’es mort. 7 ans de prison plus 5 ans de suivi. C’est la sentence infligée à celui qui ne supporta pas qu’un Juif pût porter la kippa.
Le port de signes religieux ostentatoires, la loi du 15 mars 2004 l’interdit à l’école, pas dans la rue. Et comment elle a dit qu’elle ferait, Marine Le Pen, si elle était présidente ? Ah oui, elle t’interdirait tout ça, demandant aux Juifs un petit sacrifice, qu’elle ajoute. Et moi je pense aux Benjamin et à l’émoi légitime suscité chez ces Juifs observants. Là, un appel à se cacher, demain peut-être un petit sacrifice. Le Consistoire, il aura beau les libérer de toute culpabilité s’ils ne la portent plus, la kippa.
Sarah Cattan
[1] Le Monde du 12 janvier.
[2] Noor signifie Lumière en arabe, et l’acronyme NOOR se décomposant ainsi : N pour Nous, O pour œuvrons, O pour obscurantisme, R pour Radicalisme, ses membres affirmant qu’aucune religion ne peut être l’otage d’intégristes et de terroristes.
[3] L’Express, 12 janvier 2016.