Au milieu du tohu bohu de ces temps derniers, s’offrir un luxe, une vraie parenthèse, vous savez ce que jadis on fit presque régulièrement, et puis à quoi on renonça tous, faute de temps, faute aux occupations que parfois même on nomme obligations : le déjeuner dominical, même lorsqu’en brunch il s’est transformé, la visite des enfants, les dossiers à revoir, et puis l’impérieuse nécessité de buller tout simplement, s’offrir une plage de rien, ce précieux temps pour soi.
Ce dimanche, ce temps pour moi, je l’ai, à reculons, mais pour respecter une presque promesse, remplacé par une séance ciné à 11 h du mat. A Paris, aux 7 Parnassiens, parce que je savais que l’équipe de Cineprod Israel faisait un boulot formidable, parce que je suivais tout ça sur les réseaux sociaux, le Festival du Cinéma israélien l’an passé accueilli par Jean-François Merle, Directeur des 7 Parnassiens, parce que Deborah Cohen, la Project Manager, et Sébastien Monceau me paraissaient sensas, et parce que le programme promettait Israelsurgrandecran, un dimanche et deux documentaires, des histoires de nanas.
Aux 7 Parnassiens, vous êtes en bonne compagnie : un ciné parisien qui accueille, confidentiellement, le cinéma israélien que tous les cinéphiles s’accordent à trouver époustouflant, ça ne peut pas vous décevoir : c’est le choix de Jean-François Merle.
A l’entrée, rien n’annonce l’événement, mais une console propose livres et DVD israéliens. Deborah Cohen herself et Sébastien Monceau de Cineprod, aidés de bénévoles, vous accueillent chaleureusement. La salle se remplit vite, vous savez ce public averti, style ciné art et essai, un public qui, au moment du débat, montrera sa multiplicité, à l’image du choix des docus présentés: le but de l’équipe est atteint si Juifs, Musulmans, Chrétiens, Laïcs, Apostats, de tous bords politiques, viennent ensemble aux séances présentées aux 7 Parnassiens.
WOMEN IN SINK : CHEZ FIFI
Le premier docu, Women in Sink, se passe chez Fifi, un petit salon de coiffure pour dames tenu par une arabe chrétienne à Haïfa. Lieu de rencontre et de détente, Chez Fifi constitue une véritable oasis au cœur des tensions communautaires qui traversent la société israélienne. La réalisatrice, Iris Zaki, usant d’un dispositif on ne peut plus minimaliste, a choisi d’installer sa caméra juste au-dessus du bac à shampoing et d’ailleurs, elle a aussi décidé de shampouiner elle-même les clientes : la-voilà donc, conversant ouvertement avec les femmes du salon, arabes et juives, et, comme dans tout salon qui se respecte, Chez Fifi est le lieu où les langues se délient, la parole se libère et tout y passe : la politique, la vie, l’amour, racontées à bâtons rompus par des clientes qui ne la perdent pas, la boule, puisqu’elles ponctuent la conversation de conseils à l’apprentie coiffeuse dont elles guident les mains inexpérimentées tout en poursuivant la conversation: frotte, plus haut, oh là tu m’as mouillée.
Sans doute parce que sous l’objectif de Iris Zaki défilent des femmes arabes, juives et chrétiennes qui se confient volontiers, ce docu, où petites histoires intimes s’entremêlent avec la grande Histoire, a été sacré Moyen-métrage le plus innovant au Festival Visions du Réel.
JE NE CONNAIS RIEN DES ARABES
Son intention première, donner la parole à des femmes arabes – musulmanes ou chrétiennes – pour dénoncer les discriminations dont elles sont victimes en tant que minorité de l’État hébreu, Iris Zaki, jeune cinéaste israélo-britannique, l’assume ouvertement : Je ne connais rien des Arabes, c’est pour ça que je suis venue ici, avoue-t-elle à la première cliente, et entamant cette douce conversation plurielle sans jamais minimiser les enjeux politiques et confessionnels qui traversent la société israélienne. Les clichés, elle les déconstruit en réussissant à n’être jamais angélique ni belliqueuse, à l’image de ces moments où une femme juive raconte son éducation partagée entre deux confessions et où une femme arabe affirme sa fierté que ses enfants soient engagés dans Tsahal, bref autant de témoignages qui démontrent la possibilité d’une coexistence entre ces communautés hétéroclites à l’image de la complexité de la société israélienne : si à aucun moment Iris Zaki ne fait comme si les crispations politiques et religieuses étaient fantasmées, elle démontre, images à l’appui, qu’elles ne pénètrent pas le lieu des femmes, ces crispations, et le spectateur, les regardant partager leurs plats faits maisons et se soutenir dans les coups durs, aura bien du mal à distinguer l’appartenance communautaire de chacune. D’ailleurs il n’y pense pas, immergé qu’il est dans cette radiographie originale de Haïfa, ville d’origine de la réalisatrice, majoritairement arabe jusqu’en 1948 et désormais cité multiculturelle et multiconfessionnelle où coexistent Juifs, Musulmans, Chrétiens et Druzes : on y a l’impression de s’échapper d’Israël, affirme une cliente. Une sorte de no man’s land.
Iris Zaki, actuellement en doctorat à l’université de Londres, approfondit ici ce qu’elle appelle sa technique de caméra abandonnée, déjà expérimentée en 2013 dans My Kosher shifts.
Coproduction Israélo-britannique, Women in Sink, maintes fois distingué depuis sa sortie en 2015, en compétition internationale à Poitiers ou en 2016 dans le cadre du FIFF, Festival International de Films de Femmes, où il reçut le prix du Public et du meilleur court métrage étranger, est nominé aux Awards 2017 entre autres.
PARTNER WITH THE ENEMY
Voilà que le second documentaire, Partner With The Enemy, de Duki Dror et Chen Shelach, est aussi une histoire de nanas. En plein conflit, une Israélienne et une Palestinienne tentent l’impossible : monter ensemble une affaire. Combinant leurs forces, elles créent, sous le regard sceptique mais bienveillant de leurs époux respectifs, une société de logistique destinée à accompagner des hommes d’affaires palestiniens dans les démarches qui leur sont imposées par les contrôles israéliens, et évidemment, chemin faisant, des conflits vont déchirer le projet et les instigatrices, qui, luttant contre la pression sociale et familiale, les courants anti-normalisation et une industrie chauvine et dominée par les hommes, combinent leurs forces pour la créer, cette société de logistique qui aidera les hommes d’affaires palestiniens à naviguer dans les absurdités quotidiennes inhérentes à la bureaucratie mais ici nées principalement du contrôle israélien de Cisjordanie.
Bien sûr, leur partenariat sera mis à mal par les obstacles nés de l’occupation israélienne et les divisions entre elles menaceront leur projet et leur amitiés. Là encore, les réalisatrices proposent, par le choix de deux femmes qui soient aussi deux mères, un point de vue sur le conflit israélo-palestinien qui n’avait pas encore été exploré de cet angle-là.
Partner With The Enemy a aussi remporté depuis sa sortie en 2015 nombre de prix, en Chine, au Danemark, au Canada, en Équateur, aux Etats-Unis et en Europe.
Le débat qui a suivi la projection a bien sûr opposé les tenants de la solution à deux états aux « autres » mais unanimement il est apparu que la paix au Moyen-Orient se réaliserait plus facilement si la région était gouvernée par des femmes. Le 19 mars, Les Dimanches israéliens des 7 Parnassiens proposeront Boxer pour Survivre, en présence de Noah Klieger, boxeur rescapé d’Auschwitz.
Moi, devant ce cinéma israélien libre, créatif, autocritique, impertinent, tolérant, respectueux des divergences politiques, novateur et sans tabou, devant cette pépinière de talents, je pensais à l’œuvre de Naomi Ragen, qui aurait été heureuse voir que les Editions Yodea étaient là, et surtout, je pensais à toi, Rony Elkabetz, et je me demandais comment on avait fait de notre histoire commune ces communautés qui aujourd’hui se haïssent.
Sarah Cattan
POUR INFO : LE FESTIVAL DU CINÉMA ISRAÉLIEN DE PARIS SE DÉROULERA CETTE ANNÉE AU CINÉMA MAJESTIC PASSY DU 21 au 28. MARS
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