Tout ou presque a été dit sur l’affaire Medhi Meklat. Mais il y a une chose importante qui semble avoir échappé à tout le monde: en 2009, l’auteur des tweets odieux dénonçait l’antisémitisme.

En 2009, Meklat et son accolyte écrivaient un article dans le Bondy Blog, interrogeant l’antisémitisme et l’antisionisme virulents dans leur entourage social. C’est même l’un des rares articles du Bondy Blog où il est question de cette violence. Agés alors de 15, 16 ans, Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah relatent une réunion avec Fadela Amara, qui recevait une délégation de l’UEJF (l’Union des étudiants juifs de France) pour parler des « actes antisémites qui se développent, dans les quartiers notamment ».
L’antisémitisme et la haine d’Israël au lycée
Lucides, les deux adolescents affirmaient que les attaques « à caractère antisémite » étaient nombreuses dans les lycées. Ils interrogeaient même le préjugé renaissant sous l’excuse délivrée par une professeure d’histoire affirmant que « pour un jeune musulman qui subit la discrimination au jour le jour ne France, les juifs sont un bouc-émissaire idéal ». Les gamins notaient non sans raison que « l’image erronée du juif riche, puissant, avare et renfermé sur sa communauté rejaillit ».
Ils décrivaient aussi l’antisionisme radical:
« Un certain nombre d’élèves se laissent aller à des affirmations erronées sur l’histoire de ce conflit complexe, fruits de fausses informations récoltées auprès d’un père de famille qui se veut explicatif mais qui ne l’est pas, ou d’une chaîne de télévision confuse. » Ils en détaillaient le mécanisme: « Comme des gamins qui se croient dans un jeu de guerre interactif, certains y vont de leur solution définitive: ‘Vaincre l’ennemi.’ Ici, l’ennemi clairement visé est Israël. Dans l’esprit du djihad, la lutte doit avoir lieu « pour la cause des musulmans massacrés en Terre Sainte ». Kamel avouera, après décrispation totale, « que les juifs ne comprennent pas qu’il faut arrêter de massacrer les civils, alors, il faut se battre, c’est la dernière solution ». Où ? A Gaza ? En France ? Ce n’est pas très clair. Pour lui, comme pour beaucoup, il faut répondre à la guerre par la violence. »
Merah et ses « doubles maléfiques »
Que s’est-il donc passé pour que, sous la plume des mêmes, surtout celle de Meklat, à partir de 2012 l’on lise sur des tweets immondes, largement relayés sur les réseaux sociaux, condamnés à juste titre, brandis pour preuve de son antisémitisme, de sa misogynie, de sa haine de Charlie Hebdo, de sa transphobie, ces tweets de l’abjection qui lui vaudront un procès mérité?
Que s’est-il passé entre 2009 et 2012? Entre un article irréprochable, voire courageux, et ces avalanches de haine?
2012. Suite aux tueries de Mohammed Merah, le Monde des Livres invite l’écrivain algérien Salim Bachi à s’exprimer. Il a fait paraître Moi, Khaled Kelkal chez Grasset. Le 30 mars, sera donc publié un « Moi, Mohammed Merah » vibrant d’une « culture de l’excuse » chère à l’extrême gauche: » Pourquoi vous avez fait ça, monsieur Merah, pourquoi ? – Je ne sais pas, dans le fond, je ne sais pas, j’avais envie de tout faire péter comme un gosse un peu mauvais, un sale gosse, pour sûr. » Merah n’était donc qu’un « sale gosse » frustré par une société niant son droit à la consommation. Il rendait « le mal pour le mal » à cause « d’autres gamins tués par des paras israéliens ou français c’est la même chose ».
Le 6 avril, le médiateur du Monde répondait aux lecteurs indignés : « Dire l’indicible, nommer l’innommable… Mission impossible ? ».
Et quand sur Causeur Jacques Tarnero dénonçait vigoureusement cette « obscénité littéraire » donnant « la parole à Jean Genet plutôt qu’à Edmond Rostand », Jérôme Leroy lui répondait que « la littérature peut tout dire », ajoutant: « C’est à ce titre que Mohamed Merah est un personnage de roman ».
Bouteldja au Printemps des Quartiers populaires

Mais le 31 mars, un autre événement avait lieu: la publication sur le site des Indigènes de la République d’un texte de Houria Bouteldja, « au nom » du « Printemps des Quartiers populaires ».
Cet événement s’était déroulé partout en France pour protester contre « les violences policières, la discrimination, le racisme, l’islamophobie » et pour « la solidarité internationale, les révolutions arabes, la Palestine, la justice sociale, l’égalité et la démocratie réelle ». Ces sujets qu’affectionnent tant cette militance indigéniste et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) (1).
À Lyon, il recevait le porte-parole d’alors du CCIF: Marwan Muhammad.
À Bagnolet, Houria Bouteldja et Tariq Ramadan notamment, sous l’aile toujours protectrice du rédacteur en chef du Monde diplomatique, Alain Gresh.
Ce jour-là, 31 mars 2012, la pasionaria des Indigènes de la République Houria Bouteldja, auteure en 2016 de l’exécrable Les Blancs, les Juifs et nous, promu comme « un texte fulgurant » pour une révolution par l’amour, publiait un discours intitulé: « Mohamed Merah et moi ».
Elle y défendait, comme Le Monde des Livres, comme Jérôme Leroy, l’argument du « double maléfique » invoqué par Meklat: « Mohamed Merah, c’est moi et ça n’est pas moi. »
Elle appelait à protéger les futurs Merah d’eux-mêmes:
« Je ne peux pas choisir toute seule d’être une musulmane fondamentale. C’est un choix collectif organisé. Il faut nous sauver les uns, les autres, il faut nous protéger les uns les autres. Et il faut protéger nos enfants qui subissent cette violence extrême du monde dans lequel nous vivons et qui, pour lui échapper, ne trouvent rien de mieux à faire que de la reproduire dans toute sa laideur. »
En 2012, Twitter était-il une zone de silence? Combien de twittos se sont insurgés contre ces paroles adultes, contre cet encouragement à « faire de la littérature » en se mettant « dans la tête du tueur »?
Qui fera le procès de tous ceux qui, en ayant montré la voie à deux gamins tenaillés par le goût de l’écriture, non seulement ne leur ont pas collé deux tartes, n’ont pas exigé qu’ils détruisent immédiatement leurs comptes, dès 2012, mais se sont tus, au même moment, quand il était de bon ton de défendre le « je » du narrateur contre celui de l’auteur?
Qui fera le procès de Houria Bouteldja, coupable depuis tant d’années d’avoir déversé, sur des médias complaisants, ses théories du « Mohamed Merah, c’est moi et ce n’est pas moi »?
Si Meklat doit payer, il ne doit pas être le seul.
NOTE : 1. Lire Islamophobie, la contre-enquête (Plein Jour, Paris, 2014), L’Islamophobie (Dialogue Nord-Sud, Québec, 2016) et le site islamophobie.org.
Isabelle Kersimon
Journaliste et essayiste
Rédactrice en chef de islamophobie.org
https://www.facebook.com/Kersimonisa et @Kersimonisa