Tribune Juive

Sarah Cattan : du dîner du Crif à l’avocat contre le BDS

Depuis que Nicolas Sarkozy s’y rendit en tant que Président de la République, le fameux dîner du CRIF est devenu le rendez-vous incontournable, même s’il faut débourser quelque 900 euros[1] pour y participer. En pleine campagne présidentielle, le 32 ème dîner du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France a vu mardi défiler du beau linge, pour paraphraser l’élégante Xavière Tibéri. L’événement se déroulant sur le thème du rejet des extrêmes, Yannick Jadot, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon furent privés de dîner, le premier en raison de son discours ambigu concernant le BDS, les deux autres parce qu’ils véhiculaient la haine, expliqua Francis Kalifat. Rendons au CRIF que le FN n’a jamais été invité, le Parti communiste et les Verts ont été punis en 2009 et 2010 en raison de leur soutien au mouvement BDS, et qu’il s’en moque, le CRIF, que Jean-Luc Mélenchon se soit déclaré scandalisé de l’attitude antirépublicaine du conseil représentatif juif. Eh oui Jean-Luc, fallait pas, en 2014, accuser le CRIF d’utiliser un rayon paralysant qui consiste à traiter tout le monde d’antisémite.

Ils étaient donc tous là, journalistes, artistes, diplomates et autres responsables religieux, ambassadeurs, ministres, mais aussi candidats à l’élection présidentielle et le nouveau président du CRIF cita, dans son discours, Robert Badinter : L’antisionisme n’est rien d’autre que l’expression contemporaine de l’antisémitisme, avant d’insister – à raison – sur l’obsession anti-israélienne du Conseil de Sécurité des Nations Unies et du Conseil des droits de l’homme, et d’appeler à interdire le mouvement BDS.

PARLER N’ENGAGE EN RIEN

A quoi le chef de l’Etat répondit, dans le discours qu’il dédia à cette assemblée de haut vol, vouloir rendre des comptes à l’issue de son dernier mandat. Alors, comme parler n’engage en rien, pour lui et tant d’autres, le Président appela une fois encore à renforcer la lutte contre l’antisémitisme, dénonçant, lui, la haine d’Israël, qualifiant l’Etat hébreu d’Etat pluraliste et démocratique ami de la France, déclarant, dans une langue de bois qui nous est à présent familière, que la colonisation était dangereuse pour la paix, tout en affirmant que jamais la solution au problème des colonies israéliennes ne serait imposée par la communauté internationale, à quoi l’auguste assemblée applaudit chaleureusement, oublieuse du vote de la résolution 2334 et de la Conférence de Paris dirigée par Jean-Marc Ayrault, le garçon de courses de François Hollande. Prétendant la savoir, lui, la solution pour la paix au Proche Orient, notre Président plaida donc pour deux états côte à côte qui vivront en paix Inch Allah, puisque sans Etat Palestinien il n’y aurait pas de paix, ajoutant que la critique du gouvernement israélien restait légitime, comme celle de tout gouvernement.

Mais bien sûr! Sauf que d’une part cette critique elle s’exerce à tout bout de champ, et que d’autre part Israël n’obtempèrera jamais devant les demandes iniques de la communauté internationale, et tout ça, l’Assemblée et ses orateurs le savaient bien : un dîner de cons vous dis-je.

Moi, je me demandais comment diable hier, au dit dîner, ils avaient pu entendre et applaudir à tout rompre un Président en fonction se défalquer en affirmant que la France n’accepterait jamais que la présence et l’histoire juive à Jérusalem pût être niée ou même discutée, alors même qu’il venait de qualifier de colonisation les constructions juives à Jérusalem, y compris dans certains quartiers de Jérusalem-Ouest. Comment encore ils avaient pu hier oublier que la France avait promulgué sur son territoire l’étiquetage des produits israéliens issus des localités juives de Judée-Samarie revendiquées par les Palestiniens, comment ils avaient pu l’applaudir, ce Président qui osa rappeler que la France avait l’une des seules législations interdisant le boycott d’Israël, ajoutant piteusement : Et Croyez-moi, nous la ferons appliquer !

Mais quand Mister President ?

PASCAL MARKOWICZ CONTRE LE BDS

Pascal Markowicz,
Pascal Markowicz,

Alors j’ai rencontré Pascal Markowicz, membre du Comité Directeur du CRIF, Vice-président de la Commission Internationale du CRIF, en charge des problèmes liés au BDS[2] : Je plaide depuis l’origine, avec d’autres avocats, pour les problèmes de boycott des produits israéliens en arguant de la jurisprudence qu’on a obtenue, m’a-t-il expliqué. Les faits concernaient deux actions de boycott de produits israéliens (dont des produits cashers) dans un supermarché CARREFOUR en 2009 et 2010, actions perpétrées par des personnes arborant les tristement célèbres T shirts verts Palestine Vivra, Boycott Israël, distribuant des tracts expliquant qu’acheter des produits importés d’Israël c’était légitimer les crimes à Gaza, et proférant des slogans tels Israël assassin, Carrefour complice, et il avait eu gain de cause, Maître Markowicz, la juridiction suprême l’ayant suivi en confirmant que la liberté d’expression pouvait être soumise à des restrictions ou sanctions qui soient des mesures nécessaires dans une société démocratique, pour la défense de l’ordre et la protection des droits d’autrui, et là en l’occurrence, les propos incriminés conduisaient indubitablement à des dérives antisémites telles que Vite ramenez les étoiles jaunes et les pyjamas rayés, après les produits on va boycotter les Juifs, ou légitimaient le boycott en établissant un lien entre l’achat de produits israéliens et la permission de tuer les enfants des Palestiniens.

Le CRIF, ai-je alors pensé, si tous ses avocats font du boulot comme ça, eh bien moi ça m’va. Parce que celui-là, en cherchant un peu, j’ai appris qu’il fit encore condamner à trois ans de prison dont deux ferme un lycéen pour ses nombreux tweets faisant l’apologie du terrorisme, y compris des attentats de Paris, et ses menaces de mort envers un imam. Modeste, lui ne s’en vanta pas, pas plus qu’il ne me dit qu’il donnait des conférences sur la problématique du BDS, notamment au Parlement européen, en Israël, et d’ailleurs sans doute l’avez-vous vu dans les media.

Têtue, face à cet avocat brillant, j’ai dénoncé le dîner du CRIF, ce bal des hypocrites et lui ai demandé s’il pouvait reconnaître que le CRIF se compromettait face à un François Hollande qui se moquait de nous. Eh bien le défenseur du CRIF, s’il convint que dans les paroles de Hollande, non seulement ce n’était pas clair mais encore en contradiction avec les faits, plaida qu’en réalité le chef de l’Etat avait en effet, comme tous les politiques, fait un beau discours et admit que oui, les beaux discours on en avait un petit peu marre. Il me confirma, l’avocat du CRIF, qu’effectivement il y avait la circulaire Alliot-Marie mais que dans les faits il y avait de plus en plus de procureurs qui étaient peu enthousiastes quant à l’opportunité de ces poursuites.

Et le Gouvernement, il vous suit ? Oh, reconnut-il, beaucoup de manif devraient être interdites et ne le sont pas, c’est bien une contradiction entre ce que dit le gouvernement et ce que disent les faits, ce sont de beaux discours. Manuel Valls a été le premier à dire que l’antisionisme était le nouvel antisémitisme, ensuite tout le gouvernement l’a dit mais on ne voit pas grand-chose, quand il y a des condamnations c’est parce que les parties civiles sont là et qu’elles font tout le travail, qu’elles arrivent à motiver les tribunaux, parce que les procureurs ont du mal à reconnaître que la liberté d’expression a certaines réserves.

PAS LE DROIT D’APPELER AU BOYCOTT

Il est clean, l’avocat du CRIF en charge du BDS. Il trouve tout à fait normal que des manifestations se tiennent, dans notre démocratie, en faveur d’un état palestinien: Ils ont le droit de manifester à loisir pour appeler à la création d’un état palestinien, mais pas le droit d’appeler au boycott. Il se souvient de manifestations devant le Palais de Justice de Colmar où il avait obtenu à plusieurs reprises des interruptions d’audience car des boycotteurs portant le fameux T shirt vert boycott Israel perturbaient la séance : A Colmar la fermeté du Président de la Cour d’appel a été exemplaire, alors que bien souvent, quand j’avais demandé au juge pourquoi ces personnes n’étaient pas poursuivies, une voix embarrassée me répondit : oh maître vous savez…

Alors ? Comment encore ont-ils pu hier oublier le temps d’un dîner que la France avait promulgué sur son territoire l’étiquetage des produits israéliens issus des localités juives de Judée-Samarie revendiquées par les Palestiniens, comment ont-ils pu l’applaudir, ce Président en fin de mandat, alors qu’un de leurs avocats, chargé justement de l’application de la jurisprudence obtenue en ce domaine, était sur tous les fronts. Comment diable hier, au dit dîner, ont-ils encore pu entendre un Président en fonction se défalquer en affirmant que la France n’accepterait jamais que la présence et l’histoire juive à Jérusalem pût être niée ou même discutée, alors même qu’il venait de qualifier de colonisation les constructions juives à Jérusalem, y compris dans certains quartiers de Jérusalem-Ouest.

Serait-ce que le lendemain, la France aurait renoncé à l’infâme étiquetage anti-Israël et à la qualification de colons pour nommer les Juifs de Jérusalem, ou alors ce dîner était-il vraiment le temple des compromissions ? Comment Francis Kalifat avait-t-il pu se réjouir d’avoir vu les actes antisémites diminuer, au lendemain du procès intenté à Georges Bensoussan, au lendemain de l’indigne affaire Mehdi Meklat, au lendemain de la requalification du fait divers de Créteil qui n’est plus, soudainement, considéré aggravé par une quelconque considération antisémite.

L’avocat continua à plaider corps et âme pour le CRIF et tenta même de me persuader qu’il fallait remercier le gouvernement de la mise en place de militaires dans les rues pour protéger les lieux sensibles juifs, me consentant un «oui je sais c’est malheureux de devoir dire merci et de finir par s’habituer que nos enfants aillent dans des écoles protégées par l’armée ».

Je lui demande alors de me parler de ce climat de tension qui règnerait au sein du bureau exécutif. De tension il n’en voit point. Il m’explique qu’au bureau exécutif il existe des divergences, ce qui est tout à fait normal puisqu’il s’agit d’une addition une fédération d’associations, y a forcément des gens pas d’accord, des gens de gauche des gens de droite des laïcs des religieux des libéraux   il y a de tout associations professionnelles, les médecins les pharmaciens les avocats, bon j’ai compris, le CRIF c’est la fédération de 70 associations qui représentent politiquement la communauté juive : tout ce qui est religieux c’est le Consistoire, tout ce qui est politique c’est le CRIF.

Lourdement, ou parce que pas convaincue, je lui demande si au moins le dîner est le lieu pour interpeler, pour dire les tas de choses qui ne vont pas. Il me répond que le dîner, c’est le moment, où une fois par an, officiellement, le Président fait ce qu’il fait tout au long de l’année : dire là, devant huit cent personnes, qui représentent la majorité, l’opposition et les différents partis politiques, dire donc ouvertement ce qu’il pense de ce qui s’est passé dans l’année, ce qui a déçu, ou au contraire ce qui a fait plaisir. Et il ajoute que mardi, Francis Kalifat, ben il s’est félicité de ce que les choses aillent mieux, il ne s’est pas gêné pour dénoncer la requalification de l’affaire de Créteil : le dire, il a eu raison, après les pouvoirs publics actent, savent qu’il faut faire évoluer les choses, mais y a un gros travail à faire, les paroles des politiciens n’étant pas suivies par les actes.

LE DÎNER DES GENS QUI PARTAGENT LES VALEURS RÉPUBLICAINES

Bon, c’est bien un dîner communautaire, ce dîner, quoi ? Ben non, qu’il m’a répondu : c’est un dîner de la communauté, mais ce n’est pas un dîner communautaire, il y a bien le dîner des arméniens de France, alors il y a le dîner du CRIF, cet incontournable, le seul qui ait cet avantage de faire asseoir à une même table, au moins pendant le temps d’un repas, des gens qui se réunissent autour de valeurs communes, des gens, qu’ils soient de droite ou de gauche, qui partagent les valeurs de la République. Donc un dîner bénéfique à tous, considéré comme un lieu où les républicains de tous bords pas se retrouvent pour faire le point  sur ce qu’a été l’année concernant les préoccupations de la communauté juive.

Alors, c’est un point d’orgue, et le lendemain c’est fini, ai-je demandé benoitement ? Non mon enfant me fut-il répondu, la vie reprend son cours, des échanges ont eu lieu, des personnes ont fait connaissance et vont ensuite se revoir, c’est très important. Ce premier dîner de Francis Kalifat, conclut-il, fut une réussite, un très beau discours où le Président du CRIF a indiqué qu’il ne voulait pas se laisser faire, que des choses le dérangeaient, mais qu’ il était là pour également féliciter l’action du gouvernement sur la protection des juifs.

Allez. J’ai voulu faire le procès du dîner du CRIF. J’ai rencontré un mensch.

Sarah Cattan

[1] Selon les chiffres 2015 avancés par le Daniel Schneidermann, fondateur du site Arrêt sur images.

[2]Omar Barghouti expliquant que le boycott des produits des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés n’était pas une fin en soi, mais un temps tactique, le but étant le boycott de tous les produits en provenance d’Israël.

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