Tribune Juive

Sarah Cattan : le soldat Elor Azaria

Elor Azaria : 18 mois de prison ferme.

La sentence est tombée.

Le cas Azaria aura profondément divisé Israël, les uns défendant le soldat, tandis que jusqu’au plus haut de l’armée, des voix s’étaient d’emblée élevées pour dénoncer ses agissements : Elor Azaria a tué une personne, même s’il s’agissait d’un terroriste, avait argumenté le lieutenant-colonel Weisman, demandant que le soldat soit démis de son grade et que les mois passés assigné à sa base depuis son arrestation ne soient pas déduits de la peine.

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Le cas Elor. Le débat que son geste suscita. Comme si il y avait réellement opposition quant aux principes, à l’éthique, aux valeurs de Tsahal. Ceux, nombreux, qui se posèrent en défenseurs d’Elor n’étaient pas moins regardants vis-à-vis de l’éthique, et Elor était-il celui dont on devait faire le procès ? Elor avait-il contrevenu à toutes les valeurs de Tsahal ? Avait-il pris, inopinément, à froid, ou encore de façon préméditée, l’arme qui allait tuer ? Et tuer qui d’ailleurs ? Un terroriste incarcéré, un passant dans la rue ? Mon amie Jo, avocate, me répéta qu’Israël habillait Elor de vêtements qui n’étaient décidément pas les siens, qu’Israël se trompait de procès, influencé par le camp de la bien-pensance, ce camp auto-drapé, ajoute cette avocate, dans une superbe qui nous toise de sa supposée supériorité: ils existent, ces donneurs de leçons que le doute jamais n’effleure, décidément partout, nous le savons bien, nous en France.

Face à ceux-là, nous nous sommes interrogés. Nous avons débattu. Nous avons douté, pris que nous étions dans cette nasse et les images en boucle d’une vidéo supposée nous faire savoir comment et pourquoi, et si le terroriste bougeait encore, pas du tout, ou un peu seulement.

Comme pour beaucoup, il est ressorti de mes propres réflexions que décidément mon âme juive ou mes valeurs ne furent pas vraiment ébranlées, violées, lorsque mon ennemi, celui qui voulait ma mort et celle de mes frères, fut éliminé. Par un soldat de Tsahal. Un môme de 19 ans. Puisqu’il n’en est pas, de guerre propre, et tous nous le savons. Puisque lorsqu’Israël envoie des agents secrets dans des pays arabes pour éliminer, des années après, des terroristes qui ne sont même pas en pleine action, qui sont en train de dormir, ou de conduire, on se tait. On acquiesce. On se réjouit ? Eh bien, en tout cas, et je parle pour moi, on ne pleurniche pas. Car le monde entier pense : un salaud de moins.

Le procureur avait donc réclamé une peine de 3 à 5 années de prison pour Elor Azaria et c’est aujourd’hui, 21 février, à midi, que le soldat a su à quelle sauce il allait être mangé, lui, reconnu coupable d’homicide pour avoir abattu un terroriste déjà blessé, à Hébron, en mars dernier.

La presse israélienne n’en finit pas de nous dire que la surmédiatisation du procès et le comportement de sa famille et de ses partisans auraient nui au soldat. Cette presse israélienne qui pourtant, dans sa majorité, nuance son propos, affirmant que si d’évidence un soldat se doit de respecter les valeurs de Tsahal et notamment celle de la pureté des armes, Tsahal toutefois doit procéder à son autocritique.

L’éthique de Tsahal et l’essence de la démocratie israélienne, je vous en ai ici longuement et fièrement parlé : il est du devoir de l’Etat hébreu de toujours veiller à ce que morale et capacités opérationnelles s’imbriquent pour que soient préservées les valeurs qui en font la force.

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Alors, en toute logique, le 4 janvier dernier, après huit mois d’un procès exceptionnel, le tribunal militaire de Jaffa déclara coupable d’homicide Elor Azaria, accusé d’avoir achevé un terroriste palestinien déjà blessé. Un sondage révéla que 67% des Israéliens étaient favorables à une grâce, 36% des personnes interrogées ayant indiqué être d’accord avec la décision des juges de déclarer le soldat coupable d’homicide involontaire et 51% affirmant leur désaccord, le verdict rendu mettant en lumière l’importance, pour ne pas dire l’impératif, pour l’armée israélienne de préserver son éthique.

Rappelons que Tsahal, créée le 28 mai 1948, 14 jours après la Déclaration d’Indépendance de l’Etat d’Israël, fut dotée d’un document fondateur, signé par David Ben Gourion, stipulant la charte de Tsahal, L’Esprit de Tsahal, son code éthique, dont la particularité réside dans le fait que ces principes permirent le jugement des membres les plus gradés. Rappelons encore que ce bouclier qu’incarne l’armée développe une profonde assise morale, privilégiant les qualités d’initiative, de courage et d’autorité qui vont de pair avec l’obsession de la justesse de chaque mission : ainsi, un soldat, blessé ou non, ne doit jamais être abandonné, même au prix d’une opération pouvant engendrer des pertes supplémentaires, et les dépouilles de ceux tombés sur le champ de bataille doivent être systématiquement rapatriées et enterrées avec les honneurs militaires. Concernant le traitement des populations palestiniennes, notamment lors des conflits multiples qui ont opposé les soldats israéliens au Hamas, rappelons les tracts largués par hélicoptères, et soulignons que cette prévention exceptionnelle envers les civils, même si elle n’empêcha pas des dommages collatéraux, n’a d’égale dans aucune autre armée au monde.

Alors Elor ? Qu’il ait été jugé dans un tribunal suite à son tir sur le terroriste palestinien s’inscrit de facto dans cette détermination d’Israël à garantir sa moralité, empêchant les ennemis d’Israël de réduire son armée au cynisme le plus profond. Les juges estimèrent qu’Elor avait agi délibérément, motivé par un sentiment de revanche et par la conviction que les terroristes méritaient de mourir : Le fait que l’homme gisant au sol soit un terroriste, qui venait juste de chercher à prendre les vies de soldats israéliens à cet endroit, ne justifie pas en soi une action disproportionnée, ont-ils tranché, jonglant de façon surréaliste pour que morale et capacités opérationnelles puissent aller de pair.

CE SOLDAT A DÉTRUIT UN DES DESTRUCTEURS DE LA VIE

Il n’empêche : ce procès militaire divisa et divisera Israël. Alors que sont glorifiées dans le camp d’en face toutes morts d’israéliens, on se demande si on n’en fait pas trop. Albert Chennouf-Meyer, le père d’Abel, assassiné par Merah, avait déclaré le jour du procès qu’il s’était levé avec l’idée de faire un appel au président de l’État d’Israël, Reuven Rivlin, et d’implorer la grâce d’Elor. Celui qui parlait était un père anéanti par le terrorisme. Il doit y en avoir beaucoup des Albert, de par le monde, en Israël, parents, frères ou épouses de soldats : Le terrorisme détruit l’humanité et vous en savez quelque chose, ce soldat a détruit un des destructeurs de la vie. Sa place n’est pas en prison. Le contexte dans lequel il a agi est à prendre en compte, écrivit ce père.

D’autres déplorèrent ce trop plein de publicité : On pouvait le punir sans passer par le cirque du monde !! En clair, circulez, y a rien à voir, qu’il soit sanctionné, Elor, et basta.

Naftali Bennett avait déclaré qu’il faudrait immédiatement amnistier Azaria s’il était jugé coupable, le chef du parti nationaliste estimant que le soldat ne devrait pas passer un seul jour en prison pour avoir tué un terroriste palestinien neutralisé. Bibi, lui, s’était d’emblée prononcé en faveur des demandes de grâce pour Azaria, déclarant au rendu du verdict que c’était une journée difficile et douloureuse pour tous, pour Elor et sa famille, mais aussi pour tous les soldats de Tsahal et leurs parents, affirmant que les soldats de Tsahal étaient les enfants d’Israël et devaient le rester, au-delà de tous les désaccords, il eut, Bibi, le courage de soutenir les demandes de grâce pour Elor Azaria, et le fit savoir publiquement.

Les trois juges du tribunal militaire, qui, suite aux tensions suscitées par le verdict, bénéficièrent d’une sécurité renforcée, ont donc annoncé à midi la peine décidée pour le soldat.

Voilà. Le cas d’Elor Azaria, 19 ans au moment des faits, a mis en lumière les divisions entre ceux qui plaident pour le strict respect par l’armée de valeurs éthiques et tous les autres, qui invoquent le soutien aux soldats confrontés aux attaques palestiniennes, quasi systématiques et quotidiennes au moment des faits. Si les avocats d’Azaria ont accusé la Cour d’être de parti-pris et ont juré de faire appel, une grande partie de l’état-major de Tsahal, ainsi que l’ancien ministre de la Défense Moshe Yaalon, ont critiqué la décision non éthique d’Azaria de tirer sur l’attaquant, Abdel Fattah al-Sharif, près de 15 minutes après qu’il ait été blessé par balles suite à sa tentative de poignarder un soldat israélien à Hébron. Le fait que l’homme qui gisait au sol était un terroriste, qui venait de chercher à prendre les vies de soldats israéliens sur place, ne justifie pas en soi une action disproportionnée, avait conclu la Juge Heller. Des politiciens de droite et des centaines de partisans d’Azaria ont souligné qu’il avait été injustement traité par les élites de gauche de l’armée et des médias.

LA GRÂCE POUR AZARIA

La ministre des Sports et de la Culture Miri Regev a été la première à réclamer la grâce pour Azaria, déclarant sans ambages que ce procès n’aurait jamais dû avoir lieu, et qu’Elor aurait dû faire l’objet de mesures disciplinaires au sein de son unité, alors que d’autres, moins nuancés, déplorèrent qu’un soldat qui ait tué un terroriste ait été mis sous les barreaux et condamné comme un criminel. L’opposition, bien sûr, à une exception près, Shelly Yachimovich, avait appelé par la voix d’Yitzhak Herzog à respecter la décision des juges.

Ils doivent rigoler, en face, eux qui ne s’embarrassent pas de tels scrupules, à l’image de la députée arabe Hanin Zoabi de la Liste arabe unifiée, qui n’hésite pas, elle, à exiger la punition de chaque soldat qui a tué des Palestiniens, donc celle d’Azaria, l’un des nombreux meurtriers de Tsahal. Gageons qu’ils fêteront comme ils savent le faire, ce trop plein de démocratie.

Voilà. Une pensée forte pour Toi, soldat de Tsahal qui, demain, face à un assassin, pensera au jugement d’Elor.

Sarah Cattan

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