Ces Alsaciens qui ont choisi Israël

Depuis les années 60, des Alsaciens – à l’instar d’autres Français – se sont installés en Israël. Plus récemment, de nouvelles générations ont choisi de faire leur alya, leur « montée » en Terre sainte. Il y a aussi les retraités qui vivent entre les deux pays. Rencontres à Jérusalem et à Tel-Aviv.alsace

Pourquoi des Alsaciens quittent-ils la région où ils sont nés pour s’installer en Israël ? « Faire son alya est une décision personnelle » , rappellent les spécialistes. Selon la loi du retour, chaque juif peut s’installer en «Terre promise» et obtenir la nationalité israélienne. Pour l’immigration la plus récente, les attentats ont servi de facteur déclencheur. Autant ceux de Charlie et du Bataclan, que les assassinats commis par Mohamed Merah en 2012, dont nos interlocuteurs parlent tous (lire ci-dessous).

« Leur liberté, ma liberté »

« Mon pays, dans lequel j’ai grandi et j’ai travaillé, n’a pas levé le petit doigt après l’assassinat de soldats et d’enfants. Le gouvernement a mis du temps pour reconnaître que ce n’était pas l’attentat d’un dingue isolé » , dénonce Françoise (*), une Strasbourgeoise d’une cinquantaine d’années qui a émigré seule en Israël il y a un an. Un silence, puis elle avoue : « Ce qui a achevé de me convaincre, c’était la manifestation à Strasbourg, il y a quatre ans. Il y a eu des cris “Morts aux juifs”, et après, “Mort à Israël”. C’était leur liberté d’expression, les ont excusés certains. Ma liberté est de vivre ailleurs… Même si j’avais été élevée à la laïque. » Un retraité qui partage son temps, avec son épouse, entre Tel-Aviv et Colmar, parce qu’ils ont des enfants dans chaque pays, souligne que « l’État français est irréprochable ». « On peut vivre son judaïsme en France » , selon lui. En même temps, il déplore que « la République ne protège plus les juifs ». « Avec une petite kippa, on peut devenir une victime » , déplore-t-il, lui qui n’en porte pas. Sa femme n’a pas digéré le commentaire d’un restaurateur qui la renvoyait sans raison à sa judaïcité… L’un de leurs fils s’est installé à Tel-Aviv, « moins par religiosité que par sionisme ». Médecin, il s’est adapté facilement à la capitale culturelle.

« Cela fait longtemps que je voulais vivre en Israël » , assure Anna, 43 ans, qui a fait son alya avec sa famille en juillet dernier. Leur quatrième enfant vient de naître à Jérusalem. « La question de la sécurité n’était pas déterminante » , assure son mari. Pour eux, comme pour d’autres Français de confession juive, « le climat s’est cependant détérioré par rapport à ce qu’il était il y a 20 ou 30 ans… »

Qu’ils se soient installés il y a plus longtemps ou récemment, il y a eu souvent un long cheminement. « J’étais orienté vers Israël dès mon plus jeune âge » , reconnaît Michel Rothé, un dentiste d’origine mulhousienne qui vit à Jérusalem depuis 1983. « Il y a toujours eu, dans nos maisons, un Misrach [un tableau représentant les colonnes du temple de Jérusalem NDLR] orienté vers l’Est. Cela faisait partie du patrimoine du juif traditionaliste » , rappelle-t-il. Lui se dit « casher, casher ». Durant ses études, tout en se passionnant pour le judaïsme alsacien, il a milité pour faire sortir les juifs de l’Union soviétique. En quittant la France, il a rejoint sa future épouse, Annie, fille du grand rabbin Max Warschawski, qui vivait à Jérusalem avec sa famille depuis 1980. « Il ne faut pas faire l’alya à tout prix. Cela doit être un choix libre, sans contrainte » , prévient-il.

Une fois le projet mûri, la décision fut souvent rapide. Anna et Lionel ont annoncé leur départ à leurs amis le 1er juillet. Ils sont partis 15 jours plus tard. Ils avaient trouvé leur appartement – spacieux – dans le quartier de Hehavia, où habitent de nombreux Strasbourgeois, sur internet. Leurs deux aînés faisaient déjà leurs études en Israël, mais l’un souhaite les continuer à Strasbourg… Anna, qui avait déjà une clientèle en Israël, continue de suivre ses clients strasbourgeois. Son mari poursuit ses cours en hébreu, leur fillette fait ses devoirs en français et hébreu. Tout à l’heure, elle prendra sa leçon de piano avec son ancienne prof, par Skype…

L’Agence juive accompagne les nouveaux arrivants. Il y a des aides financières et cinq mois de cours intensifs d’hébreu à l’Oulpan. « On y rencontre des gens de tous les pays, de 18 à 80 ans, nous sommes tous sur un pied d’égalité » , assure Françoise qui est bénévole dans un musée. Mais elle reconnaît que le coût de la vie est élevé à Tel Aviv, ville plus ouverte et « moins religieuse » que Jérusalem. « Contrairement aux apparences, Tel-Aviv est plus orientale qu’occidentale » , nuance-t-elle. Elle évoque aussi « ses difficultés pour s’y retrouver au supermarché » . « S’installer ailleurs est une décision lourde… » « Au Moyen-Orient, rien n’est pareil, rien n’est facile » , confirme Anna. Elle se réjouit de retrouver des amies parties il y a plus longtemps. « C’est une terre spirituelle », observe Lionel, qui porte la kippa. La plupart des Alsaciens de Jérusalem fréquentent la synagogue de la rue Chopin où les chants sont les mêmes qu’à la grande synagogue…

Les cigognes volent aussi ici

Mais ce qui frappe, c’est leur attachement à l’Alsace. Michel Rothé continue de faire ses travaux sur la mémoire du judaïsme alsacien. Il observe avec le sourire : « Les cigognes volent aussi par ici… » « La cathédrale, les cloches, le marché de Noël me manquent » , lâche Françoise, en relativisant : « Ce serait pareil à Helsinki ! »

« Personne ne veut couper avec la France. Et on reste alsacien jusqu’au bout des ongles » , assure Serge Azgut, président de l’amicale des Alsaciens. Consul honoraire d’Israël à Strasbourg, Gilbert Roos et son épouse séjournent souvent à Jérusalem, près de l’artère piétonne de Mamilla qui apporte une nouvelle modernité à la ville sainte. Ils ne songent pas à y rester. « Nos enfants sont en France » , explique Francine Roos. Et son mari de lancer avec humour : « Nous y resterons, tant qu’on ne nous met pas dehors ! »

(*) Les prénoms des personnes ont été modifiés à leur demande.

Source lalsace

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4 Comments

  1. Beaucoup d’alsaciens quand leur « province » a été vidée de ses habitants en 1940 se sont réfugiés dans le sud ouest de la France et y sont restés.
    « vous gens de l’est avec votre guerre » lors de l’attente interminable devant les commerces.

    • Effectivement, j’ai eu le privilège de passer, en Israël, un chabbat en famille.
      Si en France, on peut pratiquer tout à fait librement son judaïsme, sorti de la synagogue, l’activité ressemble à celle de tous les jours. On a le sentiment de franchir une frontière. Les règles sont différentes, mais pas indifférentes. En Israël, l’ambiance régnante est en continuité. Peu ou pas de voitures qui circulent, pas de commerce ouvert. On n’enlève pas sa Kippa, car on ne passe pas d’un monde à un autre. Rien n’est obligatoire, mais volontaire. L’après-midi amène les enfants dans les parcs, et les parents communiquent très rapidement. On peut faire connaissance avec son voisinage en un temps très court. Un élément d’intégration très important.
      Si en France on peut librement vivre son judaisme, en Israël, on le vit en 3D.

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