Artistes, journalistes, créateurs de start-up… Ils sont 11 000 Israéliens à avoir émigré dans la capitale allemande. La plupart ont été attirés par le dynamisme de la ville et la promesse d’opportunités. Sans occulter l’Histoire.
Au théâtre Maxime-Gorki, à Berlin, on joue ce soir-là à guichets fermés. Depuis sa création, en septembre 2015, la pièce The Situation, de la dramaturge israélienne Yael Ronen, fait salle comble à chaque représentation. La scène se passe à Neukölln, un quartier du sud de Berlin à forte immigration. Une Israélienne, trois Palestiniens et un réfugié syrien se retrouvent dans un même cours d’allemand pour étrangers.
Le professeur, plein de bons sentiments, les invite à répondre aux questions usuelles : « wer bist du ? » (qui es-tu ?), « warum bist du da ? » (pourquoi es-tu là ?). En quelques instants, il se retrouve débordé par un maelström d’expériences dramatiques, racontées dans un capharnaüm de langues, où les personnages rejouent, dans un Berlin devenu refuge de tant d’âmes perdues, tout le conflit israélo-palestinien.
Noa l’Israélienne est le double autobiographique de Yael Ronen. Elle explique être en Allemagne car c’est « un endroit sûr ». La Shoah ? Elle assure qu’elle est « au-dessus », que c’est « derrière elle ». Elle y pense seulement quand elle est dans un métro bondé, quand elle est sous la douche au sauna, ou quand elle porte un pyjama et qu’elle marche pieds nus. « Et bien sûr je pense aux charniers quand je vois une orgie ! »
La scène est un condensé du théâtre de Yael Ronen, qui vit depuis neuf ans entre Berlin et Tel-Aviv : humour noir et mordant, pour évoquer les tragédies individuelles nées des conflits historiques. Pour The Situation, la dramaturge a été plusieurs fois primée en Allemagne.
Un phénomène qui passe mal en Israël
Enquêter sur les Israéliens à Berlin, c’est faire l’expérience d’un trop-plein. C’est s’aventurer sur un sujet fantasmé, qui fait l’objet d’une extrême attention médiatique, en Israël comme en Allemagne. Un terrain où les identités sont écrasantes, complexes, et où l’Histoire est un personnage à part entière, qui suinte des murs et des pavés.
« Malgré, ou peut-être à cause de la charge émotionnelle du sujet, la migration d’Israéliens à Berlin a presque revêtu les traits d’un mythe », estime Dani Kranz, sociologue auteure d’une étude consacrée au sujet, publiée par la Fondation Bertelsmann en 2015.
Ce « mythe » est né à l’automne 2013. Les médias israéliens identifient alors une nouvelle vague d’émigration, qui trouve son origine dans les manifestations de 2011 en Israël contre le niveau élevé du coût de la vie. Les médias des deux pays se font largement l’écho du « phénomène », l’installation de nombreux jeunes Israéliens à Berlin, attirés par les loyers abordables et les libertés qu’offre la ville, notamment en matière de drogue.
La presse internationale s’engouffre dans la brèche : le New York Times parle d’« exode », The Economist se demande si Berlin est « la nouvelle Jérusalem ». Pour le plus grand bonheur des Allemands, qui se réjouissent de voir « revenir » des juifs en Allemagne.
Côté israélien, le « phénomène » passe mal. Il survient en même temps que la guerre de Gaza en 2014, qui avait provoqué un certain isolement du pays sur la scène internationale. De quoi fournir matière aux critiques d’Israël, qui voient cette nouvelle émigration – en direction de l’Allemagne qui plus est – comme une preuve du rejet des jeunes générations pour le projet sioniste.
Le débat se cristallise à l’automne 2014, lorsqu’un jeune Israélien crée un groupe Facebook appelé « Olim L’Berlin », jeu de mots avec le terme olim, qui désigne ceux qui « se sont élevés » (ont immigré) vers Israël. Ultime provocation, il poste la photo d’un pudding au chocolat très populaire, le Milky, qui coûterait en Israël trois fois plus cher qu’en Allemagne.
« La révolution Milky » prend en Israël une tournure politique. « Ils me font de la peine, ces Israéliens qui ne se souviennent plus de l’Holocauste et qui laissent en plan Israël à cause d’un pudding », déclare le ministre de l’agriculture Yair Shamir au Jerusalem Post. « Pardonnez-moi si je me montre quelque peu fâché contre les gens qui sont prêts à jeter aux orties le seul Etat que les juifs ont, parce qu’on vit mieux à Berlin », lance le ministre des finances Yaïr Lapid.
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Des branchés apatrides? Il y a un SMIC à tout, Savoir Indispensable Minimum de Connaissance. Personnellement, je suis totalement contre cet engouement totalement déplacé.