Vered Aharonovitch, pleure des diamants et peint avec sa merde

Découverte de l’univers enfantin et torturé de l’artiste israélienne Vered Aharonovitch dans son studio de Tel Aviv.

“She sculpts with her shit – elle peint avec sa merde”, c’est sans doute cette phrase qui m’aura le plus marquée lors de ma rencontre avec l’artiste israélienne Vered Aharonovitch. Avec un tel franc-parler, on pourrait facilement imaginer quelqu’un d’un peu vulgaire et rustre, mais Vered est exactement tout le contraire.

© Vered Aharonovitch, Self portrait with shit, 2013.
© Vered Aharonovitch, Self portrait with shit, 2013.

Douce, très douce, Vered, qui a 36 ans, m’ouvre la porte de son appartement à Tel Aviv et m’emmène dans la salle où elle expose ses sculptures. Elle me parle en anglais avec une voix très délicate, presque enfantine, et avec un charmant accent israélien.

« Le caca est une métaphore. Souvent quand quelqu’un fait de l’art, ça vient de la merde qu’il a dans la tête, ça vient d’un endroit noir, alors on peut dire que l’artiste peint avec sa merde », me dit-elle en me parlant de la première sculpture qui m’a interpellée dans la pièce : une petite fille qui sculpte un visage avec de la merde.

Née en 1980, Vered a étudié dans l’école d’art la plus prestigieuse d’Israël, Bezalel à Jérusalem avant de faire un master à l’université de Haïfa. Diplômée depuis 2009, Vered est une véritable touche-à-tout, elle sait dessiner, peindre, illustrer, graver et sculpter dans un nombre de matières hallucinant. Elle consacre la moitié de son temps à la sculpture et l’autre moitié à enseigner l’art dans un lycée.

La petite fille rousse et son histoire

La particularité de Vered, son truc à elle, c’est de raconter des histoires à travers son art. On se dit rapidement qu’elle aurait très bien pu devenir écrivain et pondre une série de contes entre noirceur et beauté, mais sa façon de les raconter, c’est de les sculpter.

« Je suis une artiste qui aime raconter des histoires sans le début ou la fin, je raconte juste le milieu. Je pose des questions et je n’ai pas toujours les réponses. »

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© Vered Aharonovitch, Use Me, 2010.

Vered raconte toujours ses histoires à travers le même personnage. Son héroïne est une petite fille aux cheveux blond/roux, la même qui sculpte en caca. On la retrouve dans de diverses situations, sous forme de porc-épic, en train de pleurer avec des diamants qui lui sortent des yeux, avec un couteau dans la gorge ou en train de martyriser un homme.

Cette petit fille est complexe, elle est à la fois soumise, fragile, en colère, violente et puissante. Quand je lui demande si cette petite fille ne serait pas elle, Vered répond : « C’est moi, c’est une métaphore, mais j’ai utilisé l’image de ma nièce, c’est son corps que je sculpte. » Elle permet à Vered d’exprimer tout un tas d’émotions que le monde adulte rejette. « Cette petite fille n’est pas comme les adultes. Nous devons toujours faire ce qui est juste, nous comporter correctement. Elle n’a pas à agir comme ça, elle peut avoir tord. Elle exprime tout ce qu’elle veut, elle n’est pas polie. Quand elle est triste, elle est vraiment triste et quand elle est furieuse, elle le montre, tout s’exprime à travers elle », dit Vered.

Vered Aharonovitch, Dont get any closer, 2010.
Vered Aharonovitch, Dont get any closer, 2010.

Ça fait maintenant longtemps, huit ans exactement que Vered cultive cet alter ego d’enfant. Durant ces années, elle a fait évoluer cette petite fille. La gamine était d’abord soumise avec des sculptures intitulées : « Use me », « You can have them », ou « Anything to please you ». Celle-ci servait des cupcakes sur son dos, offrait ses yeux, se mettait un couteau dans la gorge ou pleurait des diamants.

© Vered Aharonovitch, Crying diamonds, 2012.
© Vered Aharonovitch, Crying diamonds, 2012.

À propos de pleurer des diamants, l’artiste explique : « Ça veut dire que l’art vient d’un endroit difficile, ça vient des larmes. Quand je pleurais enfant et je pleurais souvent sans raison, mon père disait toujours : ‘Quel dommage que ce ne soit pas des diamants qui tombent de tes yeux !’ Alors la question que je pose à travers cette œuvre, c’est : est ce que les pleurs ont une valeur ? »

Vered qui arrive à vivre de son art et qui est exposée dans les galeries et musées les plus cotés d’Israël ajoute : « Les larmes doivent avoir une valeur car il y a des gens qui mettent mes œuvres dans leurs bureaux chic et ces gens sont quelque part heureux que je pleure, car sinon ils n’auraient pas pu acheter mon art. » Continuant à me parler de cet enfant, Vered me montre alors une œuvre avec la petite fille sculptée en cire et me montre qu’il est possible de l’allumer, donc de la consumer…

Puis la petite fille s’est endurcie. « Elle a grandi, elle est devenue plus forte », dit Vered. « Elle a tué quelqu’un », me montre Vered, en pointant la sculpture de la petite fille qui tient une tête coupée. « C’est la tête de mon copain. »

© Vered Aharonovitch, untitled, 2011.
© Vered Aharonovitch, untitled, 2011.

Vered a répliqué à sa façon la fameuse « fontaine de Neptune », on y retrouve la petite fille qui se venge sur un homme. Quant à l’enfant porc-épic, elle dit : « Elle est très douce mais elle a aussi plein de pics, elle n’aime pas qu’on la touche. »dorban_001_500

Qui est la victime ?

Vered essaye progressivement de se détacher de cette petite fille qui l’anime depuis si longtemps. « J’essaye de peu à peu la quitter », me dit-elle. « Dans ma dernière œuvre, elle est là mais elle n’est pas le personnage central, c’est la première fois. J’ai besoin de la mettre de côté maintenant.”

Cette nouvelle œuvre qui date de 2016 représente le repas du Séder (rituel symbolique propre à la fête de Pessa’h, visant à faire revivre à ses participants la sortie d’Égypte, la fin de l’esclavagisme et le début de la liberté).

« Ça parle de ce repas symboliquement important mais rien ne va. Tout le monde veut que tout le monde soit heureux et ils feront tout pour que les autres soient heureux mais personne n’est heureux. La mère veut qu’on mange sa soupe, alors qu’elle ne se rend même pas compte que c’est chaud et qu’on se brûle, elle veut qu’on mange, mais on est déjà assez gros et elle veut s’assoir mais il y en a un qui refuse de s’assoir tant qu’elle n’est pas assise. Mon père tient la table sur son dos pour ne pas qu’elle s’écroule. Tout est métaphorique. La question que je pose, c’est : qui est la victime si tout le monde se sacrifie ? »seder-002_img_2057_1340_c

Pour explorer ce sujet, elle s’inspire souvent des relations familiales. Son père est sans doute le deuxième personnage le plus récurrent dans son œuvre. L’une des sculptures montre son père qui veut attraper la lune pour la petite fille rousse mais celle-ci n’a pas l’air réceptive. « Veut-elle seulement la lune ? », demande Vered.

Une autre sculpture montre son père qui fait un barbecue avec des cœurs de poules. Le père a une cicatrice au niveau du cœur. La petite fille lui fait un câlin mais le menace en même temps, prête à planter la brochette de cœurs de poules dans son dos…

© Vered Aharonovitch, Leil Haseder, 2016.
© Vered Aharonovitch, Leil Haseder, 2016.

« Mon œuvre parle des relations. Qui est le plus fort ? Qui est plus faible ? Qui a besoin de qui ? », conclut Vered

Dora Moutot

Source konbini

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