Sarah Cattan : Marine, Karine, Pénélope

Tapis rouge pour Marine Le Pen, titre ce matin Caroline Fourest, rappelant qu’alors que le Brexit et la folie furieuse de Donald Trump devraient réveiller les aveugles, il semblait qu’au contraire tout réussît aux plus cyniques. Et de citer Steeve Briois le justifiant, le décret de Donald. C’est qu’il en saute, des digues, sous l’effet du vote américain, et que nous voilà enserrés dans cet étau : mesurer nos mots et à mi-voix seulement le dénoncer, l’intégrisme, par peur d’alimenter le racisme antimusulmans.

Nous voilà encore saturés de justifications surréalistes : le comédien Franck de Lapersonne annonçait ce matin son soutien à Marine Le Pen, nous affirmant Je ne suis pas raciste du tout. Je suis pour que l’on s’aime tous. […] Molière ne parlait pas l’anglais et Victor Hugo n’a pas appris l’arabe à l’école et cela me fait plaisir de le savoir. Et d’expliquer longuement que son choix serait la faute à Manu et à son projet de société Uber.

Ne vous prenez pas trop la tête, lecteurs, même s’il y a de quoi lorsque le comédien poursuit avoir voté François Mitterrand, puis Sarkozy et enfin Hollande, la caution Culture de MLP ajoutant avoir reçu plein de soutiens depuis son coming out : il a fait école, qu’il dit.

ADOPTER LE PLAN M

Pendant ce temps, sa candidate prononce son discours de campagne à Lyon, lors de ses Assises présidentielles. Oui oui, le candidat de La France insoumise aussi. Et Manu aussi. Il y était hier, à Lyon. Pendant ce temps, leurs troupes, à eux tous, font les plateaux-télé, et pendant que beaucoup s’interrogent sur un plan B, vous en avez une, Marion Maréchal Le Pen, qui les appelle, les orphelins-Fillon, et les exhorte à choisir le plan M.

Ce que sont les 144 engagements du programme de MLP n’est pas ici le sujet, tant elles sont peu nombreuses, les nouveautés, et tant seul a changé l’emballage, pardon : la formulation. Un inventaire à la Prévert, à savoir comment rétablir la sécurité sans attenter aux libertés individuelles mais aussi ce projet d’un deuxième porte-avions, Richelieu, cardinal dont le portrait orne le bureau de la candidate à son siège de campagne, et puis aussi pas mal de standards frontistes, revisités sans vergogne, de la priorité nationale inscrite dans la Constitution à la suppression du droit du sol. L’essentiel n’est-il pas qu’on s’aimera tous, comme il dit, le nouveau soutien, surtout une fois que seront expulsés automatiquement les criminels et les délinquants étrangers. On s’aimera tous. Du rétablissement de la peine de mort, elle n’en parle plus, et c’est à peine si elle en cause, de la réduction de l’immigration. Quand c’est flou y a un loup, disait la grand-mère de Martine Aubry, eh bien disons qu’il y en a un, de loup.

Le gros problème, il est résumé par Jérôme Rivière : On n’a pas encore eu le temps de mentir, nous n’avons pas eu le pouvoir, qu’on nous donne le bénéfice du doute. Ça, c’est de l’argument qui en touchera, des cœurs purs, surtout quand il est asséné par celle qui se présente comme la candidate de la France du peuple face à la droite du fric, la gauche du fric.

TOUS POURRIS ET COMPAGNIE

A l’écouter, on se pincerait. Elle. Elle quand même ! On se dit que ce serait un comble qu’elle en profite, de l’affaire Fillon, et d’ailleurs on tente de se rassurer : c’est impossible ? Parce que tout de même, son parti, il est lui aussi mis en cause au Parlement européen pour des suspicions de collaborateurs fantômes. Et puis la politique en famille et autres traitements de faveurs, ils en connaissent un brin, les Le Pen et leur PME familiale[1]. Alors on veut croire qu’en toute logique, vu le traitement des affaires Sarkozy et celui réservé à juste titre à l’affaire Pénélope, les media vont nous parler à présent, en long et en large, des déboires judiciaires et fiscaux de la famille Le Pen, la candidate étant aujourd’hui le dirigeant politique visé par le plus grand nombre d’enquêtes. Même si il nous sape le moral, le politologue Thomas Guenolé, quand il nous dit que pour ses électeurs à elle, n’importe quelle accusation relayée dans ces médias glisse comme de l’eau sur les plumes d’un canard, alors que pour le candidat LR, il y a rupture de l’image, la réalité judiciaire d’un côté et le tribunal de l’opinion public de l’autre.

Vous voyez bien que de Marinegate, point. Et que lorsqu’est passée en boucle la vidéo montrant le journaliste Paul Laroutourou empoigné par des molosses pour l’empêcher de poser une question à Marine Le Pen sur l’affaire des emplois fictifs du FN au parlement européen, de Marinegate, toujours pas. C’est qu’il paraîtrait qu’une fois touché par la grâce, une fois que vous avez basculé dans le vote FN, vous devenez comme inaccessible à la raison commune ; vous les entendez les accusations émanant du Parlement mais vous êtes déjà atteint du syndrome tous pourris et compagnie, il n’y a que Marine qui soit honnête. Et d’ailleurs, elle, elle se gausse sans vergogne des promesses du candidat malmené : elle, elle n’a jamais dit et ne dira jamais qu’elle abandonnerait si elle était mise en examen : Est-ce que vous vous rendez compte dans quel gouvernement des juges nous vivrions ? Un juge pourrait décider qui est candidat et qui n’est pas candidat, c’est la fin de la démocratie, vous rétorque-t-elle si jamais vous vous étonniez. Pourtant, elle l’est, la patronne du FN, elle aussi, sous la menace d’une telle mise en examen. Elle, la dirigeante du Parti tête haute et mains propres[2].

Wallerand Saint-Just, son trésorier, la relaye, donnant presque leçon sur France Info à François Fillon. C’est tout juste s’il ne lui conseille pas de porter plainte. Contre la Justice. Wallerand Saint-Just. L’atout swag de MLP, qui confiait à la revue Charles son souhait de voir la candidate s’habiller … Au Bon Marché, le Cristina Cordula du FN avouant se prêter au jeu et arborer désormais les vêtements les plus flashy possible et faire des événements avec le rappeur Booba pendant la campagne.

TELLE QUE JE SUIS

La patronne, elle, elle a eu ce matin des mots avec l’animatrice Karine Le Marchand. Ah Karine, on te l’avait dit qu’il ne seyait pas de copiner et trinquer avec n’importe qui. Et même Patrick Cohen s’était énervé. Et toi, nous rétorquant que MLP n’était pas Dark Vador, avec elle tu trinquas, et la voilà, la photo de vos agapes, intelligemment utilisée sur des tracts FN. Et tu eus beau te fâcher, eh bien le Parti t’a répondu que s’agissant d’une capture d’écran d’une émission consacrée à la candidate, eh bien il était dans son bon droit, le Parti. Et ce cliché des deux femmes trinquant au vin blanc est ainsi légendé: Avant d’élire un responsable porteur d’un projet politique, on élit une personne. Ainsi naquit le livret au titre éloquent, Telle que je suis, un quatre pages destiné à présenter MLP de manière intime. Certes, Karine, toi qu’on taxa de connivence, tu demandas cependant à ton invitée si, en tant que métisse, tu devais préparer tes valises en cas de victoire, ou encore comment elle réagirait si sa fille épousait un Sénégalais. Avec tous je trinque, avec tous je ris, avec tous je fais des blagues et avec tous je leur pose des questions aussi sur leur façon de diriger et sur leur ambition, te justifias-tu.

C’est très discutable : je ne trinque pas avec tous. Pourtant, je l’ai regardée, ton émission. Et c’est à la télé aussi que j’ai découvert, un soir, Riss et Richard Malka, respectivement dessinateur et coscénariste avec Saïd Mahrane de La Face crashée de Marine Le Pen[3], en train de se faire accuser par Vanessa Burgraff[4] de l’avoir rendue très très humaine, la candidate. A quoi Riss répondit : Mais elle appartient à l’humanité, que je sache. J’achetai dès le lendemain dans les magasins ouverts le dimanche grâce à Manu la BD, récit en filigrane de la journée à venir du 7 mai 2017 : matin du second tour de l’élection présidentielle. Marine Le Pen, très branchée guimauve et variétés, se réveille sur un air de Dalida. Le soir même, sa vie basculera peut-être. Elle sera longue, la journée. Ponctuée d’une visite secrète chez son psychanalyste : plongée trouble dans l’enfance et les années de fête. Puis la Patronne doit déjouer un ultime complot du vieux Front. Florian Philippot, entouré de petits cœurs roses, se voit à Matignon et ne pense qu’à son 20 heures. En embuscade, vous avez Marion, vomissant l’IVG, médaille de la Vierge autour du cou. A travers des vignettes hilarantes à force d’être odieuses, vous croisez Jean-Marie Le Pen qui se confie à son ami Serge Moati. Les dossiers secrets du Parti. Le déjeuner mensuel des trois conspirateurs, Zemmour, Villiers, et Buisson, qui complotent dans l’ombre, misant sur … Laurent Wauquiez. Les anciens du GUD qu’il faut cacher. L’envers de la dédiabolisation. Les affaires et les lingots que nul ne saurait voir. Les idées nouvelles de Soral et Dieudonné, ce dernier ne parlant plus de Juifs mais de La Communauté organisée. Et, par-dessus tout, le marketing : Présidente, oui, mais pour quoi faire ? Pour info, si vous avez aimé La face karchée de Sarkozy, vous retrouverez le trait époustouflant de Riss, directeur de Charlie hebdo, les dialogues hilarants de l’avocat Richard Malka et, ici, une investigation minutieuse du journaliste Saïd Mahrane, enquêteur au Point, en charge du FN depuis 12 ans. Et en effet, de cet album drôle et très bien documenté, MLP sortait déjà humaine et dédiabolisée.

Bourdieu disait bien que la télévision était là pour occuper notre temps à des choses futiles et éviter de nous informer sur les choses importantes qui pourraient nous aider à exercer nos droits de citoyen.

Sarah Cattan

[1] Hervé Gattegno, JDD, 5 février.

[2] L’expression est de Jean-Marie Le Pen.

[3] La Face crashée de Marine Le Pen, Riss, Richard Malka et Saïd Mahrane, respectivement dessinateur et co-scénariste, Grasset, Paris, 2016.

[4] On n’est pas couché, 7 octobre 2016.