Utiliser la science pour rapprocher des pays ennemis: c’est l’objectif de SESAME, un accélérateur de particules qui vient d’être achevé près d’Amman en Jordanie. Rencontres avec ses utilisateurs israéliens, palestiniens, iraniens, pakistanais.
Au crépuscule, l’hiver, alors que résonne le dernier appel du muezzin à la prière, la myriade de maisons cubiques adossées aux 19 collines d’Amman se pare de teintes pastel. Mais ce 11 janvier 2017, c’est une lueur moins ordinaire qui a jailli dans un faubourg de la capitale jordanienne, ouvrant même tout le Moyen-Orient à une nouvelle source de lumière: celle d’un synchrotron. L’installation SESAME a vu circuler ses premiers faisceaux de particules. Pensé comme un modèle de diplomatie scientifique, ce projet veut mettre la recherche au service la paix. «Après avoir été longtemps une promesse, il devient une réalité», trépignait l’Italien Giorgio Paolucci, directeur scientifique, lors d’une visite en décembre 2016.
Cet instrument se trouve dans un vaste hangar en périphérie d’Amman. L’entrée, avec ses colonnes grecques, fait penser à un casino à thème de Las Vegas. A l’intérieur, des dizaines de blocs en béton, agencés en étoile, couvrent l’accélérateur de particules de 133 m de circonférence.
Dans la salle de contrôle, un technicien jordanien explique à un chimiste israélien les subtilités de la machine. Plus loin, un professeur pakistanais, longue barbe noire taillée au carré, écoute la responsable égyptienne Gihan Kamel, voilée. Pour cette quatorzième «réunion des utilisateurs» de SESAME (acronyme anglais pour Synchrotron-light for Experimental Science and Applications in the Middle East), ils sont venus par dizaines de Bahreïn, Chypre, Egypte, Iran, Israël, Jordanie, Pakistan, Turquie et Palestine – les neuf Etats membres du consortium.
Mayonnaise savante
La ressemblance avec le CERN, l’Organisation européenne de recherche nucléaire née à Genève en 1954 en plein conflit américano-russe, est évidente. «L’idée mère est de faire collaborer des scientifiques des pays du Moyen-Orient, dont certains ont des relations tendues, sur des projets de science appliquée», poursuit Giorgio Paolucci. Et cette mayonnaise savante semble avoir pris. Lors d’une présentation des meilleures façons d’exploiter le potentiel du synchrotron, menée par Roy Beck-Barkai, biophysicien de l’Université de Tel-Aviv, l’assemblée constituée surtout de jeunes chercheurs arabes écoute attentivement.
«Il y a 10 ans, beaucoup auraient quitté la salle simplement à cause de la nationalité de l’orateur, confie Gihan Kamel, figée d’émotion. C’est la concrétisation de notre communauté de vision.»
Celle-ci est née, comme souvent, autour d’une machine à café, au CERN, avec une boutade. «C’était en 1994, juste après les prometteurs Accords d’Oslo entre Israël et la Palestine. Avec feu Sergio Fubini, un collègue italien, nous avons lancé l’idée» d’utiliser la science comme vecteur de coopération au Moyen-Orient. «Personne n’y a cru», se rappelle Eliezer Rabinovici, physicien de l’Université hébraïque de Jérusalem.
Sous une tente de Bédouins
Un symposium sur le sujet suivra, en 1995, sous une tente de Bédouins dans le Sinaï, en présence de centaines de chercheurs locaux, et de Prix Nobel. Mais comment cristalliser toute cette bonne volonté? En 1997 deux physiciens, l’Américain Herman Winick et l’Allemand Gus Voss, voyant sur la carte mondiale des synchrotrons un «trou entre le Moyen-Orient et l’Afrique», proposent de recycler celui de Berlin, Bessy I, destiné à la casse.
L’idée fait son chemin, chacun des pays du consortium listant ses apports possibles. «En 2003, le roi de Jordanie décide de soutenir le projet, en offrant un terrain», détaille Khaled Toukan, directeur de SESAME. L’aventure commence pour de bon, sous les auspices de l’Unesco. «Le choix d’Amman pour la localiser était approprié, car seul ce pays maintenait des relations diplomatiques avec tous les autres.»
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