Tribune Juive

Sarah Cattan : Le procès fait à Georges Bensoussan

Indice des affaires importantes, une centaine de personnes attendaient encore à la porte, ce mercredi 25 janvier, dans l’espoir d’assister au procès. C’était inédit : la LICRA, le MRAP, SOS Racisme, La Ligue des droits de l’Homme et le CCIF ensemble contre Georges Bensoussan[1]. Le CCIF et l’UOIF, eux, leur but est d’attaquer financièrement et moralement les lanceurs d’alerte, de les faire taire, de les détruire. Mais là, ils étaient tous ensemble : la police de la pensée. C’est que cette fois, c’était le tour de Georges Bensoussan[2], hier Mercredi 25 janvier, assigné par la XVIIe chambre du tribunal correctionnel de Paris, à la demande de cinq parties civiles dont certaines, hélas, du camp laïque, pour provocation à la haine raciale: il avait, le samedi 10 octobre 2015, invité sur France Culture aux côtés de l’historien Patrick Weil dans l’émission Répliques animée par Alain Finkielkraut, exprimé l’idée que les musulmans buvaient l’antisémitisme au sein maternel. Il était ensuite revenu sur ses propos qui essentialisaient l’ensemble des musulmans et avaient blessé certains d’entre eux, combattants comme lui de l’islamisme.

TÉTÉ AVEC LE LAIT DE LA MAMAN

Dire que l’antisémitisme dans les familles arabes était tété avec le lait de la maman, qu’il était viscéral, atavique, fut perçu comme des propos graves et racistes.

Que penser de cette histoire. Regretter au moins que des conflits à propos d’opinions, aussi extrêmes soient-elles, se règlent désormais devant un tribunal au lieu de faire l’objet de débats contradictoires musclés entre citoyens et militants. S’inquiéter de cette judiciarisation d’affaires de mots et d’opinions dans des tribunaux déjà saturés et y voir une dérive dangereuse.

procès one

Monsieur Bensoussan, il n’existe pas d’antisémites de naissance. Ce procès, vous le devez non pas à ceux qui ont dénoncé vos propos, mais au Procureur de la République, qui a décidé qu’ils méritaient d’être poursuivis et soumis à l’appréciation d’un tribunal, commença Alain Jakubowicz, avocat et Président de la Licra, dans une Lettre ouverte à Georges Bensoussan et à ses soutiens. Et de reprocher à l’historien d’avoir déclaré qu’il n’y aurait pas d’intégration tant qu’on ne se serait pas débarrassé de cet antisémitisme atavique qui est tu, comme un secret, citant à l’appui de sa thèse un sociologue algérien, Smaïn Laacher[3] : C’est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes, en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère. Donc cet antisémitisme il est déjà déposé dans l’espace domestique. Il est dans l’espace domestique et il est quasi naturellement déposé sur la langue, déposé dans la langue. Une des insultes des parents à leurs enfants quand ils veulent les réprimander, il suffit de les traiter de juif. Mais ça toutes les familles arabes le savent. C’est une hypocrisie monumentale que de ne pas voir que cet antisémitisme il est d’abord domestique et bien évidemment il est sans aucun doute renforcé, durci, légitimé, quasi naturalisé au travers d’un certain nombre de distinctions à l’extérieur. Mais […] il est là, il est dans l’air que l’on respire. Il n’est pas du tout étranger et il est même difficile d’y échapper en particulier quand on se retrouve entre soi, ce sont les mêmes mots qui circulent. Ce sont souvent les mêmes visions du monde qui circulent. Ce sont souvent les mêmes visions du monde, fondées sur les mêmes oppositions et en particulier cette première opposition qui est l’opposition « eux et nous ».

La métaphore téter avec le lait de la mère, d’un usage courant dans la langue française depuis plusieurs siècles et employée ici par Georges Bensoussan ne faisait qu’exprimer ce que déclarait Smaïn Laacher.

Et Alain Jakubowicz de dire les raisons de la légitime colère qui agitait nombre de militants antiracistes : Bensoussan, en sa qualité d’historien, avait le devoir de tendre à l’objectivité du savoir, et pour reprendre les mots de Marc Bloch, de se mettre à la poursuite du mensonge et de l’erreur. En condamnant sans distinction plusieurs millions de nos compatriotes à un antisémitisme viscéral, Bensoussan aurait créé des dommages considérables, en raison de l’autorité scientifique depuis laquelle il s’était exprimé, lui, l’historien de la Shoah. Et de conclure que ses propos du 10 octobre 2015 avaient essentialisé un groupe, le réduisant à une réalité biologique atavique, servant ainsi la surenchère extrémiste qui électrisait notre pays, flirtant avec la manipulation du thème du Grand Remplacement, carburant de ceux qui défendent le racisme : Dire que dans les familles arabes, on tète l’antisémitisme avec le lait de la mère, c’est produire, en plus du mensonge, de l’exclusion et du rejet. Non, il n’existe pas d’antisémites de naissance. Et Jakubowicz de dénoncer cette supposée assignation de tous les arabes à une identité fondée sur l’antisémitisme en cédant, pour reprendre les mots de Jaurès, au mensonge triomphant qui passe.

 

Bref, vous l’aurez compris, Bensoussan pratiquerait l’essentialisation, cette marque déposée dans les années trente en expliquant à nos concitoyens ce qu’était le Juif, génétiquement assoiffé de pouvoir et biberonné à la domination capitaliste et financière du monde. Et Jakubowicz de conclure en citant Lazare Rachline, co-fondateur de la LICA, qui écrivait en 1929: notre doctrine, c’est la conscience, notre programme, la justice. La conscience, c’est qu’on ne combat pas l’antisémitisme sans combattre le racisme, comme on ne combat pas le racisme sans combattre l’antisémitisme. La justice, c’est de considérer que toutes les victimes de préjugés tenaces méritent le même traitement.

Il y avait donc la LICRA et ses membres prestigieux, dont Mohamed Sifaoui, le CCIF et la LDH, dont on sait qu’ils marchent ensemble depuis des années. Comment ne pas s’interroger devant ces plaideurs, lorsqu’on sait que SOS Racisme n’a par exemple jamais intenté de procès au PIR pour ses textes racistes et haineux.

LES MAMELLES DE LA HAINE

 

Hier donc, Tribunal de Paris. La représentante du CCIF et leur avocat brandirent à l’appui de leur argumentaire les expulsions d’imams radicaux. Mohamed Sifaoui ? Il fut confronté à l’un de ses propres textes dans lequel il utilisait les mêmes termes, usant lui aussi d’une expression culturelle pour dénoncer l’antisémitisme endémique dans les pays musulmans, les mamelles de la haine[4], acculé donc à admettre que l’antisémitisme était viscéral dans tous les pays musulmans, mais pas dans sa famille, Viscéral démontrant bien que cet antisémitisme était culturel et pas génétique.

Autre témoin des parties civiles, la sociologue Nacira Guénif qui vint nous expliquer que l’expression espèce de Juif, mes excuses, souvent utilisée en arabe, était passée dans le langage courant et ne signifiait en rien la haine des juifs : C’est une expression figée qui fait partie du langage courant. Déshistoriciser des expressions, c’est essentialiser, soutient-elle.

Ce procès fut aussi, heureusement, l’occasion de dénoncer l’antiracisme dévoyé des toutes ces associations réunies, ce que Finkielkraut ne manqua pas de souligner de manière magistrale, corroboré par Boualem Sansal dont le témoignage écrit fut cité.

UN ANTISEMITISME MUSULMAN

Georges Bensoussan fut son meilleur avocat, expliquant que le CCIF et les Indigènes de la République jouaient un rôle éminent dans la montée des tensions en France. Il avait déjà, pour Actualité juive, analysé la stratégie d’intimidation des islamistes en France. Sa défense de Georges Bensoussan s’articula autour de l’accusation éculée de terrorisme intellectuel pratiqué contre lui par les associations antiracistes. Une fois éculés les habituels mécanismes de disqualification du débat et les procès d’intention à l’encontre de celles et ceux qui oseraient mettre en cause le discours raciste, c’est ensuite sur le fond que porta la stratégie de justification : ainsi, il s’agissait de prouver qu’il existerait bel et bien un antisémitisme musulman. Les propos de Georges Bensoussan dans Répliques évoquaient avec lucidité l’antisémitisme de personnes de culture arabo musulmane ou maghrébine. Il n’était pas le premier à le dire puisque de grands intellectuels, notamment maghrébins, l’avaient déjà souligné en faisant remarquer qu’il était plus facile de se voiler la face que de dire le réel dans sa crudité, sans pour cela tomber dans un racisme nauséabond : Boualem Sansal, Kamel Daoud, Fethi Benslama, Riad Sattouf, pour ne citer que des auteurs reconnus en France, ont largement décrit et dénoncé ces éléments culturels, hélas fréquemment présents dans les mentalités d’une partie de ces populations. A preuve les mots de la députée tunisienne, cette semaine.

Dans les premiers soutiens apportés à l’historien, le très droitier site Europe-Israël, Elisabeth Badinter, Gilles-William Goldnadel, Haïm Korsia, Marceline Loridan Ivens, la démographe Michèle Tribalat ou l’écrivain Pascal Bruckner. Tous arguèrent que ces démarches s’inscrivaient désormais dans une stratégie d’intimidation visant la censure de toute parole lucide, de toute expression critique, qu’il s’agissait là d’une nouvelle police de la pensée parée des plumes de l’antiracisme, cherchant à utiliser les armes de la démocratie pour mieux la contraindre, dans le but d’installer dans le paysage français et européen des normes culturelles et politiques étrangères à la démocratie et à l’esprit des Lumières.

Rappelons qu’un procès de même nature avait été intenté par l’association des Indigènes de la République contre Pascal Bruckner qui avait déclaré, début 2015, qu’il fallait faire le procès des collabos des assassins de Charlie. Alors que Houria Bouteldja, porte parole des Indigènes de la République, publie impunément Les blancs, les Juifs et nous, ouvrage explicitement raciste et antisémite, Bensoussan et Bruckner ont dû, eux, répondre de leur racisme ou de leur islamophobie.

Pascal Bruckner et l’ancienne ministre Jeannette Bougrab furent assignés en justice pour diffamation, pour avoir estimé que les associations qui avaient accusé Charlie Hebdo de racisme et d’islamophobie portaient une part de responsabilité dans l’attentat barbare perpétré contre l’hebdomadaire. Mais les Indigènes de la République et les Indivisibles, à l’origine des poursuites, associations communautaristes en recherche permanente d’affrontement sur ce thème avec notre société, ont été déboutées, et condamnées à verser aux mis en cause des indemnités financières.

LES PRÉTOIRES DEVENUS CHAMPS DE BATAILLE

Rappelons encore que l’essayiste Djemila Benhabib gagna récemment un procès retentissant au Québec : elle avait été traînée en justice par l’association des Écoles musulmanes de Montréal, l’établissement islamique le plus important du pays, pour diffamation, parce qu’elle avait osé, dans une interview donnée en 2012, se dire scandalisée par des méthodes pédagogiques qu’elle avait elle-même subies, enfant, en Algérie, dénonçant le fait qu’on faisait réciter à des petits enfants des versets coraniques appelant à l’extermination des mécréants : on m’ordonnait de répéter des phrases entières réclamant la destruction des juifs. Elle dénonce aujourd’hui Les prétoires devenus champs de bataille où l’on traque la liberté d’expression.

Rappelons-nous encore que l’équipe de Charlie Hebdo avait été poursuivie par la Mosquée de Paris et l’Union des organisations islamiques de France, bien avant les attentats de janvier 2015, et que Samuel Mayol, directeur de l’IUT de Saint-Denis, fut victime lui aussi de ce climat, lorsqu’il mit fin aux séances de prières découvertes au sein de son Université, et encore les procès faits à Mohamed Louizi, Soufiane Zitouni, Caroline Fourest, Isabelle Kersimon, entre autres.

 

Et quid de l’écho que donnèrent nos chers media de ces affaires ? C’est pourtant Mediapart qui hébergea et signa avec une quinzaine de personnes la pétition qui permit au MRAP d’entamer cette démarche pour faire citer Georges Bensoussan. Il ne vous interroge pas, vous, le silence médiatique qui entoure ces procès ? Ces actions en justice dont on ne nous parle pas ne s’inscrivent-elles pas dans la panoplie des moyens déployés par les islamistes pour culpabiliser et contraindre, après avoir épouvanté. Car enfin, Bensoussan était donc cité devant le tribunal correctionnel pour injures racistes et provocation à la haine et à la violence raciste, pendant que, de leurs côtés, les sites internet Palestine solidarité et Oumma.com s’étaient associés dans des termes d’une extrême violence, Oumma.com publiant un appel à la guerre civile : Si personne ne vient crier « halte à la haine », armons-nous et préparons dès maintenant la guerre civile.

S’agissant de cet antisémitisme, n’est-il pas devenu une réalité largement répandu chez bien des jeunes issus de l’immigration, comme le montra le documentaire Les Français, c’est les autres, diffusé sur France 2 le 3 février 2016, où des élèves de collèges de banlieue exprimèrent sans retenue aucune tous les stéréotypes des préjugés antisémites, les juifs étant vus comme des accapareurs quand les autres seraient en panne d’intégration.

PERMETTRE AUX AVEUGLES DE RESTER AVEUGLES

Georges Bensoussan. Victime à son tour de ceux dont le but poursuivi sans relâche est d’asphyxier et réduire au silence tout détracteur de cet islam de combat contre la République, porté, entre autres, par le CCIF qui dénonce l’islamophobie, ce mot inventé pour permettre aux aveugles de rester aveugles, comme l’écrit si bien Salman Rushdie. Cette extension à l’Etat de cette mise en procès devrait faire réfléchir, car sous ce signe, ce sont tous les citoyens qui pourraient demain se voir inquiétés à ce titre, comme l’explique Georges Bensoussan : Cette stratégie finit, en effet, par porter ses fruits. Sous la pression de la répétition des procès et des ennuis judiciaires, d’aucuns pourraient hésiter longuement avant de participer au débat public. Si ces intimidations peuvent ne pas jouer sur certains individus, elles agiront sur la majorité.

Mon amie Jo, présente au procès, réalisa hier, elle, avocate, qu’il n’y avait qu’un seul banc pour les accusés dans une salle d’audience, et que donc cette chambre qui avait jugé Bourbon de Rivarol, Soral, Dieudonné, faisait asseoir Bensoussan là où d’autres scélérats s’étaient assis. Elle nous rapporta que l’avocat de l’historien avait menacé : des procès comme ça, pour faire taire la parole, on va en voir fleurir des dizaines, la police de la pensée est en marche, et que Bensoussan, lui, l’homme élevé au lait de la culture française, avait évoqué pour la première fois de sa vie sa tentation de l’exil : On pleure, il est 1h30 du matin. Jugement mis en délibéré au 15 mars, conclut mon amie Jo.

 Sarah Cattan

[1] Les Territoires perdus de la République, sous la direction de Georges Bensoussan, ouvrage collectif, Éditions Mille et une nuits, 2002. La France soumise, sous la direction de Georges Bensoussan, ouvrage collectif, Albin Michel, 2017.

[2] Rédacteur en chef de la Revue d’histoire de la Shoah, responsable éditorial au Mémorial de la Shoah.

[3] Extrait d’une interview programmée prochainement sur France 3.

[4] Texte intitulé Les arabes ne visitent pas Auschwitz, Le Huffington Post, 5 octobre 2016.

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