Cela n’arrivera jamais à ma fille : la phrase qui a inspiré le film Tempête de sable

Passé par Sundance, Berlin, Tel Aviv ou Locarno, « Tempête de sable » dévoile la société bédouine, sa culture et ses coutumes, avec une universalité qui touche en plein coeur. Rencontre avec la réalisatrice Elite Zexer.tempete de sable

AlloCiné : « Tempête de sable » a été inspiré par vos voyages dans le désert du Néguev et vos rencontres avec des femmes bédouins. Et notamment avec une de ces femmes. Quel impact a t-elle eu sur vous ? 

Elite Zexer : Ma mère est photographe. Il y a dix ans, elle a commencé à photographier des femmes bédouins de différents villages du désert israélien. Un jour, elle m’a demandée de l’accompagner. J’ai tout de suite été fascinée, et la journée s’est transformée en semaines, puis en mois puis en années. Ces femmes sont devenues des amies proches, et leurs histoires m’ont touchée. Durant l’une de nos visites, nous avons accompagné une jeune femme à son mariage avec un homme qu’elle ne connaissait pas, un homme qu’elle épousait pour faire plaisir à sa famille, alors qu’elle en aimait un autre en secret. Quelques minutes avant de le rencontrer pour la première fois, elle s’est tournée vers moi et m’a dit : « Cela n’arrivera jamais à ma fille. » Je l’ai regardée, et j’ai été touchée dans mes tripes. C’est à ce moment précis que j’ai su que je devais faire ce film.

Que pouvez-vous nous dire sur votre travail d’écriture, qui s’est étalé sur quatre ans et s’est nourri de votre expérience auprès de cette communauté afin de respecter la culture bédouine et de rester fidèle à la vie quotidienne sur place ?

Ca m’a pris dix ans entre ce moment et le tournage de Tempête de sable. J’ai passé tout ce temps à écrire et peaufiner le scénario. J’écrivais un film sur une culture qui n’est pas la mienne, avec ses traditions, ses croyances, ses coutumes, sa langue, très différentes des miennes. Tout en ayant cet état de fait en tête -ce film aura toujours un regard de l’extérieur-, j’ai voulu faire de mon mieux pour que le film apparaisse comme une voix de l’intérieur. J’ai passé des années à écrire et réécrire le scénario encore et encore. J’écrivais une version, je me rendais au village, j’y restais quelques temps, j’y rencontrais plus de femmes, j’entendais d’autres histoires, j’apprenais des points de vue différents, et je retournais chez moi réécrire une nouvelle version. Ca a duré des années, jusqu’à ce que je sente que le scénario offrait un point de vue fidèle sur la culture bédouine et sa façon de penser et de voir le monde. Chacune de ces réécritures m’a permis de me rapprocher de cette fidélité et d’apporter quelque chose de plus à l’histoire. Que ce soit une nouvelle dimension, un nouveau message, un nouveau rebondissement. Cela m’a permis d’approfondir ma compréhension des personnages et de leurs motivations. Ca m’a été d’une grande aide en tant que scénariste mais également en tant que réalisatrice.

Vous avez réalisé un court métrage, Tasnim. En quoi cette première expérience vous a aidé sur « Tempête de sable » ? C’était important d’adresser un petit clin d’oeil à ce film, à travers le prénom de la petite soeur ?

J’ai réalisé Tasnim en l’abordant comme un test, avant de me lancer sur Tempête de sable. Je voulais savoir si c’était une bonne décision -pour moi comme pour les Bédouins- que je me lance dans ce film, dans la mesure où ce n’est pas ma culture. Je pense que quand quelqu’un s’attèle à faire un film sur une culture qui n’est pas la sienne, il doit avoir cette culture à coeur et comprendre le plus possible son sujet. Avant de m’embarquer dans cette longue aventure, j’ai donc décidé de faire ce court métrage test. En réalisant Tasnim, j’ai ressenti quelque chose de spécial, de magique presque. Quand j’ai terminé, j’ai donné quelques DVD aux Bédouins qu’ils se sont transmis et qu’ils ont regardé durant des mois, en me demandant quand je reviendrais faire un autre film. Après cette expérience, le test m’a paru concluant et j’ai pu avancer sur Tempête de sable.tempete de sable2

Le film m’a beaucoup fait penser à « Une séparation », dans sa capacité à raconter une histoire profonde, puissante et pleine de suspense à partir d’une situation finalement simple. Le film d’Asghar Farhadi a t-il eu une influence sur votre travail ?

J’adore Une séparation, c’est une oeuvre d’art incroyable. Mais durant le processus de création de mon film, j’ai fait en sorte de ne m’attacher à aucune référence. Nous avons fait énormément de repérages dans différents villages bédouins pour rester fidèle à leur aspect visuel, leurs couleurs, leur lumière, leur langue… Nous voulions que le film soit aussi réel et authentique que possible. La seule vraie source d’inspiration a donc été la vie sur place.

Comment avez-vous découvert et travaillé avec Lamis Ammar, qui est incroyable dans le rôle de Layla ?

J’ai rencontré Lamis alors qu’elle prenait encore des cours de comédie. Elle n’avait jamais joué au cinéma avant. Au départ, elle ne semblait pas du tout faite pour le rôle. Le personnage dans le scénario semblait on ne peut plus éloigné d’elle, et nous avons senti toutes les deux que quelque chose ne fonctionnait pas. Mais je savais, tout comme la directrice de casting Limor Shmila, que Lamis avait quelque chose d’unique et que nous devions tout faire pour que ça marche. Nous avons continué à travailler, nous avons multiplié les essais, et avec le temps, les scènes ont évolué, le personnage a changé, et j’ai encore retouché le scénario pour qu’il corresponde à Lamis. C’est là que j’ai su qu’il fallait que ce soit elle et personne d’autre.

Les personnages des parents, Jalila et Suliman, sont très intéressants dans la mesure où ils adoptent des comportements paradoxaux : au début, la mère semble très rigide vis à vis de la tradition et le père très attaché au bonheur de sa fille d’une manière très moderne… et tout change au milieu du film.

J’ai voulu montrer à quel point la situation était complexe. Il n’y a pas de Bien ou de Mal, de juste ou d’injuste, de gentils ou de méchants… C’est très complexe. Cette famille doit faire face à des événements dramatiques qui surviennent tous en même temps. Cela a un impact sur la dynamique entre les différents personnages, cela modifie ce qu’ils pensent, leur façon de voir le monde, ce qu’ils ressentent les uns pour les autres. Et cela a un impact sur la façon dont ils vont prendre des décisions majeures. Leur quotidien est incroyablement difficile, et ils font de leur mieux pour y survivre, comme individus et comme famille.

Sur le tournage, vous parliez en anglais et en hébreu à des comédiens arabes jouant dans la langue bédouine. C’est une illustration parfaite du cinéma comme langage universel, non ?

J’ai dirigé la plupart des comédiens en hébreu, certains en anglais, certains ne parlaient qu’arabe, et la plupart avaient besoin de coach car leur arabe maternel est différent de l’arabe bédouin. J’ai étudié l’arabe durant deux ans en amont du tournage. Je ne peux pas dire que je suis bilingue, mais je comprenais assez bien pour comprendre où nous en étions dans chaque scène. Quelque part, ne pas tout comprendre m’a libérée en tant que cinéaste. Je devais faire confiance aux acteurs, au coach et au superviseur du scénario pour respecter les dialogues, et je pouvais me concentrer sur autre chose, tout ce qui va au-delà des mots que ce soient les sensations, les sentiments, les émotions… Tout ce qui rend le jeu authentique, réaliste, profond et vrai.

Votre film est à la fois plein d’espoir et désespéré… Notamment avec la scène de fin. Vous pensez que les choses pourront changer pour ces femmes ?

J’ai découvert la société bédouine à l’orée du changement. Elle s’ouvre au monde moderne, tout en essayant de s’accrocher à ce qu’elle aime et chérit dans sa culture. Nous sommes en pleine période de changement, et c’est difficile de savoir comment la situation va évoluer à l’avenir et vers quoi elle va évoluer. Je voulais que mon film s’achève sur cette idée de futur, et que le public s’interroge justement sur les prochaines générations, mais sans donner de réponse. Je me contente de poser la question. La situation est-elle immuable ou va t-elle évoluer ? Nous verrons bien.

Au-delà de la culture spécifique que vous abordez, au-delà de la langue, il y a quelque chose d’incroyablement universel dans votre film…

L’un de mes buts principaux sur ce film était effectivement d’offrir une histoire universelle. Je ne voulais pas que le public ait l’impression de regarder une culture lointaine à laquelle il ne s’identifie pas. je voulais l’inverse : je voulais qu’ils s’attachent à ces personnages, ces thèmes, ces dynamiques au sein de cette famille, même si la culture est différente de la leur. Le coeur du film, ce n’est pas les habitudes ou les traditions : on les voit à l’écran, mais ce n’est pas le sujet. Le sujet de mon film, ce sont les personnages, leurs relations, le drame de la situation… Peu importe votre origine, vous êtes forcément une fille ou une mère ou une petite amie ou quelqu’un pris dans des dynamiques familiales. C’est universel, ça arrive partout, à tout le monde. C’est à ça que je me suis attachée, et je pense que c’est la force du film. Après avoir voyagé avec mon film durant un an, je suis fière de constater que j’ai réalisé cet objectif. Où que j’aille, une des premières réactions est souvent « Comment avez-vous fait pour que le film sonne si juste ici ? » Que ce soit aux Etats-Unis, en France, en Allemagne, en Inde, en Corée du Sud, en Ukraine, c’est partout la même chose. C’est l’une des choses dont je suis le plus fière.

Justement, que ce soit aux Ophirs, Sundance, Berlin, Locarno ou Stockholm, votre film a voyagé dans de nombreux festivals et a rencontré de nombreux publics. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Cette année a été sincèrement incroyable. Nous avons montré le film à Sundance, nous y avons passé une semaine incroyable, et je n’ai plus jamais défait ma valise par la suite. J’ai plus voyagé durant cette année que durant toute ma vie, j’ai pu montrer mon film à tant de gens différents et j’ai reçu énormément de retours chaleureux. L’un de mes moments préférés a été la cérémonie des Ophirs, l’équivalent israélien des Oscars. Nous avons remporté six prix, nous étions très heureux, mais il n’y avait pas d’after-party pour célébrer ce moment. J’ai donc dit à mon équipe que nous devions fêter ça. Nous sommes partis boire, et je me suis retrouvée à Tel Aviv, en robe de soirée, talons hauts et des prix dans les mains, sans argent ni moyen de transport pour rentrer chez moi ! J’ai commencé à marcher, il était trois heures du matin. Les rues de Tel Aviv sont très vivantes, même la nuit, et à chaque pas on me demandait ce que je tenais. Je répondais que je venais de gagner le prix de la Meilleure réalisatrice ! Alors la rue applaudissait et m’a accompagnée ainsi jusque chez moi. C’était surréaliste. Comme une scène de cinéma.

Tempête de sable, en salles le 25 janvier

Source allocine

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