La lutte contre les préjugés et l’embrigadement ne saurait s’accommoder de telles manipulations idéologiques.
Les déclarations étranges de certains candidats à la présidentielle (voir encadré en fin d’article) qui comparent la vie de nos concitoyens musulmans au sort des Juifs persécutés pendant la Seconde Guerre mondiale ajoutent à l’argument d’associations et de personnalités liées aux Frères musulmans. J’ai listé et analysé leurs schèmes et leur rhétorique, point par point, dans Islamophobie, la contre-enquête (paru en octobre 2014) pour révéler à quel point ils sont iniques – sous la plume également de sociologues plus empressés à confirmer leurs préjugés qu’à décrypter les réalités historiques et contemporaines.
Instrumentalisations insanes
Réécrire l’histoire et instrumentaliser le supplice des Juifs – ligues antisémites, injures, insultes, interdits professionnels, interdits civils, confiscations, violences physiques, persécutions, rafles, déportations, massacres – en vue de dénoncer l’instrumentalisation de l’islam et des musulmans dans certaines paroles publiques ne permet pas de cerner les discours antimusulmans et banalise le génocide.
En sus d’accréditer les théories des négationnistes, ce parallèle fausse de manière irrémédiable toute tentative de compréhension des réalités et des enjeux. Et permet, à l’inverse, à quelques excités de nier intégralement le rejet et les agressions dont sont victimes certains de nos concitoyens musulmans n’ayant commis ni appel à la sédition, ni manquement simple à la loi en raison de leur religion, et dont la pratique religieuse ne véhicule aucun objectif politique. Notamment en estimant que les femmes voilées sont des héraults du nazisme. J’y reviendrai dans un prochain article.
Négation de l’antisémitisme islamiste
L’autre effet de ce jeu de comparaison inique est de cacher l’antisémitisme islamiste, au motif que le révéler pour le combattre constituerait un risque pour l’ensemble des musulmans français.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, le Collectif contre l’islamophobie en France se prévaut de combattre non seulement l’islamophobie, ce terme dont j’ai démontré qu’il est à proscrire (voir mes écrits dans les trois essais suivants : Islamophobie, la contre-enquête ; L’
Or, ce que cache le CCIF lorsqu’il se plaint que certains discours publics sur les musulmans sont caricaturaux (et il le sont parfois, lorsque ceux-ci sont systématiquement présentés comme des djihadistes potentiels ou des nazis) et lorsqu’il tente de rallier des Juifs à sa cause – notamment via l’association “inter-convictionnelle” CoExister –, c’est non seulement l’histoire des caricatures antijuives, mais l’existence de celles qu’il a publiées sur son site.
Le CCIF et l’antisémite Latuff
J’ai ainsi révélé dans un séminaire donné à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm le 10 octobre 2016 [3] que les caricatures antisémites contemporaines – qu’elles proviennent de l’extrême droite ou de la militance contre “l’islamophobie” – reprennent les thèmes de l’antisémitisme historique, thèmes appliqués aux Juifs ou à Israël et informé que le CCIF a publié, en 2012, des caricatures de Latuff.
Latuff est un dessinateur brésilien qui dénonce un hypothétique “deux poids, deux mesures” en matière de liberté d’expression et développe, à ce titre, des caricatures antisémites.
Il a reçu le deuxième prix du Ier concours de caricatures de la Shoah organisé en Iran en 2006 suite à la publication des caricatures du Jylland Posten. Il a représenté un vieil homme arabe, Palestinien, vêtu d’un pyjama de déporté arborant un croissant rouge, qui pleure devant un mur de béton avec un mirador. Sur son site, une rubrique est intitulée “Juifs/Jews”.
Un dessin de Latuff réalisé pour le CCIF
En 2012, donc, le CCIF s’est flatté que Latuff lui ait “fait le plaisir de réaliser quelques dessins sur Charlie Hebdo et sa liberté d’expression islamophobe” dont un a été expressément réalisé pour le collectif… Il représente un navire aux couleurs de l’Europe qui se dirige vers la pointe d’un iceberg. Une bulle indique : “Aucune raison de s’inquiéter, c’est juste les caricatures de Mahomet!” La partie immergée de l’iceberg est une énorme svatiska sur laquelle est inscrit le mot “islamophobie”. Un autre dessin représente Charb avec une ceinture d’explosifs constituée d’exemplaires de Charlie Hebdo, prêt à appuyer sur le détonateur qu’il tient en main…
La victime de la tuerie de Charlie? L’islam
Après les tueries du 7 janvier 2015, Latuff a théorisé à sa manière l’idée que les victimes n’étaient tant pas les journalistes, les policiers, le gardien de l’immeuble, leurs proches et avec eux tous les Français, mais l’islam, représenté métaphoriquement par une mosquée criblée des balles qu’un jihadiste vient de tirer sur le journal.
La lutte contre les préjugés et l’embrigadement ne saurait s’accommoder de telles manipulations idéologiques.
[1] Islamophobie, la contre-enquête (Plein Jour, 2014 – Paris) ; L’Islamophobie (Dialogue Nord-Sud, octobre 2016) ; La France soumise – les voix du refus (Albin Michel, janvier 2017).
[2] France Culture, 28 décembre 2015 : https://www.
[3] Publication en cours.
Isabelle Kersimon
Essayiste, rédactrice en chef de islamophobie.org
https://www.facebook.com/KersimonIsa et @KersimonIsa
Poster un Commentaire