Durant le débat de la Primaire de la Belle alliance populaire, le journaliste Gilles Bouelau a posé une question qui fâche, celle du retrait éventuel du futur vainqueur face aux candidatures qui montent Mélenchon, et surtout Macron. Une question cruciale, révélatrices de la tragédie socialiste.
« Pour éviter l’élimination de la gauche dès le premier tour de la Présidentielle, seriez-vous prêt à vous effacer devant Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron? » Il est 22h48, nous sommes sur TF1, et Gilles Bouleau pose la seule question qui importe aux sept candidats prétendant à l’investiture de la Belle alliance populaire, celle qui sera au cœur des jeux et enjeux de la gauche dans les jours et semaines qui suivront la désignation du candidat. Les socialistes ne font-ils pas beaucoup de bruit pour rien?
En cet instant où Gilles bouleau ose l’incroyable question, apparaît la vérité nue, juste et forte. Aucun de ceux qui s’offrent, ce jeudi soir, aux téléspectateurs (par ailleurs de moins en moins nombreux à suivre les échanges au fil des minutes) n’est perçu comme pouvant être élu président de la République en mai prochain. Aucun. Ni Montebourg, qui persiste à jouer à l’avocat de province pour cause perdue. Ni Peillon, qui demeure cet universitaire que l’on écoute avec attention, mais que l’on ne voit pas disposer de la clé du code nucléaire. Ni Hamon, qui incarne l’éternelle figure du prof d’histoire socialiste sympa du collège Jean Jaurès, quelque part en banlieue. Ni Valls lui-même, désespérément figé dans un costume de Premier ministre qu’il ne parvient pas à agrandir à la taille présidentielle. « Je suis fort », je veux de la force », « j’ai la force » a scandé Manuel Valls tout la soirée, oubliant au passage qu’à gauche, la force se doit d’abord d’être tranquille, sinon, elle inquiète…
Donc, pas un d’entre eux ne « fait président ». Le fait est, et il est incontournable. La question posée par Gilles Bouleau en est le révélateur. Aujourd’hui, un socialiste n’a aucune chance d’entrer à l’Elysée. Et tout le monde le sait. A commencer, sans doute, par les candidats eux-mêmes.
La terrible décadence du PS
Quarante-cinq après Epinay et François Mitterrand, se mesure la décadence politique, intellectuelle et culturelle du Parti socialiste français, qui n’est plus capable de produire un candidat à la Présidence de la République qui paraisse en situation d’être élu. Preuve de ce que l’on avance, dans les minutes qui suivent la fin du débat, sur BFMTV notamment, les échanges entre professionnels de la profession, portent sur la « présidentialité » des candidats. « Hamon fait-il président? Et Peillon? Et Montebourg? Regardons ce sondage qui nous renseigne sur la crédibilité présidentielle de Hamon, de Valls, de Montebourg »… Terrible sujet de conversation pour les héros de la soirée.
Convenons que Gilles Bouleau a été habile, qui a mêlé Mélenchon à Macron. Mais chacun sait ce qu’il en est. En réalité, la question ne vaut que pour Macron. Aujourd’hui, sauf à être aveugle, la question de l’utilité de la candidature d’un socialiste à la présidentielle est posée, sachant qu’il ne peut l’emporter, que Macron a capté un momentum qui va sans aucun doute s’amplifier dans les semaines qui viennent, et qu’il est possible, si ce n’est probable, que quel que soit le candidat désigné à la fin de la Primaire de la BAP, celui-si s’effondre dans les sondages du mois de février. Autrement dit, est en train de se retourner contre les socialistes l’argumentation de la candidature parasite. En l’état de l’opinion, et vu de gauche, ce n’est plus la candidature Macron qui parasite celle du socialiste, c’est la candidature socialiste qui parasite celle de Macron et empêche un candidat « progressiste » d’accéder au second tour de la Présidentielle, avec une chance de l’emporter qui plus est.
Il se passe quelque chose autour de la candidature Macron. Il y a quelques jours, notre ami Nicolas Domenach réfutait l’idée que le candidat d’En Marche put s’imposer au PS. « Quand le combat va s’engager, on verra que ces forces ne sont pas aussi médiocres que cela, et qu’il y a dans les tréfonds de ce pays des énergies qui n’ont pas été naufragées » écrivait-il. Trois jours plus tard, après le choc du débat, le voici qui constate: « Primaire de la gauche: le vainqueur du débat est… Macron! » Et voilà… En politique, la réalité de l’époque est plus forte que les rêves anciens.
Donc, la question de l’Effacement du candidat socialiste, sous la pression de l’opinion, se posera tôt ou tard, et sans doute plus tôt que tard.
Un sondage plus fort qu’un vote de primaire
Pour se défendre, Arnaud Montebourg et les autres ont tenté d’opposer à la question de Gilles Bouleau la légitimité que conférera au candidat désigné le fait d’avoir été élu à l’issue d’un scrutin ayant mobilisé un, deux ou trois millions d’électeurs. Mais l’argument ne vaut pas. Une Primaire, et on l’a bien vu avec le triomphe de François Fillon à droite, n’engage que ceux qui y participent. Et encore. La seule légitimité conférée au candidat ne dépasse pas le cercle des participants à cette Primaire. La légitimité d’un vainqueur de Primaire est de portée limitée. Rapportée à l’élection présidentielle, qui rappelons-le est destinée au peuple souverain, elle ne dit rien. Qu’il y ait un ou deux millions de votants à la Primaire (ce qui est déjà signe de faiblesse) n’emporte aucune conséquence sur le rapport de force qui s’établira entre Macron, Mélenchon et le candidat socialiste.
Ce que nous allons écrire va heurter bien des consciences socialistes, mais en vue du premier tour de l’élection à la présidence de la République, un sondage portant sur le premier tour de l’élection et pointant un candidat socialiste à la traîne derrière Macron (et Mélenchon) sera politiquement cent fois plus fort que la légitimité conférée par le processus de la Primaire de la BAP. Et si tous les sondages pointent le même phénomène, elle aura bonne mine la légitimité de la Primaire de la BAP…
Les socialistes font mine de l’ignorer, car la vérité dérange, mais elle est. Leurs électeurs les désertent, jour après jour, filant chez Mélenchon et surtout chez Macron. Il est même probable que de nombreux électeurs stratèges viendront voter à la Primaire de la BAP dans le but d’éliminer le candidat le plus dangereux pour leur poulain, Macron ou Mélenchon, afin de désigner un candidat socialiste faible, histoire d’augmenter la potentialité d’un retrait de ce candidat avant le dépôt des candidatures au Conseil constitutionnel. Les électeurs sont méchants? Peut-être, mais ils sont.
Des signaux faibles existent, qui montrent que la question de l’effacement d’un candidat socialiste, même désigné au terme de la Primaire, et fort de cette légitimité, est bel et bien posée. Quand le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis confie au sujet de Macron: «Personne ne sait qui sera devant au mois de mars. Ça dépend de l’actualité, du vainqueur de la primaire et de tellement de choses. Si ça se trouve, il sera loin derrière nous», puis ajoute : «Lors des dernières régionales, nous avons retiré trois candidats pour ne pas laisser des territoires au FN et vous pensez que nous pourrions sacrifier la France?» Le message implicite paraît clair. Tout dépendra du rapport de force entre Macron et le candidat socialiste. Et si Macron est devant, il n’est pas impossible que le PS demande à son candidat d’en tirer les conclusions. En vérité, c’est tout simple: le PS aurait tout intérêt à participer à la construction d’une majorité présidentielle dont il serait le pivot, plutôt que de sombrer à l’élection présidentielle avec un candidat battu d’avance. Macron au second tour, avec une chance d’être élu, ce serait la garantie de la survie. Un destin plus enviable que de finir avec 45 députés, au terme d’une double déroute. Les données du problème sont à la portée de tous, notamment de ces députés PS qui savent qu’ils auront plus de chance d’être réélus avec Macron président ou au second tour de l’élection présidentielle plutôt qu’avec Valls, Montebourg ou Hamon éliminé au premier tour… C’est comme ça.
Une question à l’ordre du jour
Comme le confie un député PS: « Quel que soit le résultat de la Primaire, vis-à-vis de Macron, il faudra être sérieux et professionnel ». Sous-entendu, si Macron est devant, le candidat PS n’aura d’autre choix qu’entre l’effacement ou l’effondrement. Avec l’effacement, le PS survit. Avec l’effondrement, il meurt.
Notons pour finir ce détail qui tue. Lorsque Gilles Bouleau a osé la question « Pour éviter l’élimination de la gauche dès le premier tour de la Présidentielle, seriez-vous prêt à vous effacer devant Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron? », tous les candidats ont accepté d’y répondre, sans exception. Aveu implicite qu’ils savent que la question est à l’ordre du jour. Or, s’ils avaient été assurés de leur affaire, ils en auraient réfuté le principe même, sans chercher d’argument, à l’exemple de Montebourg, pour tenter de justifier le maintien d’une candidature contre l’évidence d’un rapport de force politique en brandissant la légitimité du vote à la Primaire, qui ne vaut que ce qu’elle vaut.
Pour sauver les socialistes, ces derniers devront, si besoin est, sacrifier l’un d’entre eux, fut-il candidat socialiste à la présidence de la République. Sacrifier un bouc émissaire pour sauver le groupe. De quoi les inciter à méditer René Girard: « De toutes les menaces qui pèsent sur nous, la plus redoutable, nous le savons, la seule réelle, c’est nous-mêmes ».
Bruno Roger-Petit
Le constat est réel et l’analyse fine.
Je dirais pour ma part, qu’il y a 2 grains de sel pour le PS.
Mélanchon, vraisemblablement est le gros grain, puisqu’il va pomper des voix exclusivement de gauches, qui manqueront à l’élu de cette primaire, pour le 2nd tour. Il est certain que c’était mieux pour le parti socialiste que Mélanchon se ralie. Mais il aurait raté l’occasion de jouer les trouble-fête…
Macron, reste un plus petit grain, puisqu’il n’est pas vraiment de gauche, et que s’il va piquer des voix à la gauche, il risque cependant de gèner aussi François de Droite.
Avec l’héritage de François de Gauche, le PS s’il se retrouve dans de beaux draps, risque de ne plus habiter l’Elysée……
Dans cette logique, un 2eme tour peut se faire entre François et Marine.
Macron sera un bon outsider pour 2022, ..
Un scenario plausible et une démonstration bien menée.
La question que l’on peut se poser est du côté d’Emmanuel Macron: quelle sera son attitude à savoir son “taux de tolérance” à une fusion, au contenu des négociations en fonction d’un paramètre fluctuant, celui des ralliements jusqu’à la possible écriture de ce scenario?
C’est l’objet d’un deuxième article du brillant Bruno Roger- Petit?
Bien d’accord avec l’hypothèse de No Comment, c’est bien une tribune!!!
Si le candidat PS s’effaçait devant le p’tit jeunôt, ce dernier ne tirerait aucun avantage à transiger avec le PS, sauf à signer son arrêt de mort par assimilation. Quoi qu’il en soit, l’hypothèse du Premier secrétaire d’une assemblée nationale à 45 députés PS est très séduisante.
“Arrêt de mort par assimilation” J’immagine le petiot tombant dans un grand bassin d’acide chloridrique! Complètement rongé, hé, hé.
Et Bayrou, du centre. Il attends quoi, pour donner ses consignes de vote? J’espère que son entourage lui a dit que Hollande ne se représentera pas. Qui regrette deja, paraît-il. Peut-être qu’il penserait que son retour mettrait le peuple en liesse? Une non promesse tenue?
Que cette primaire est d’une complication! Je suis pas fait pour les études !
Bon, je vous quitte pour aller chercher mon petit fils de la crèche. J’en profite toujours pour faire mes confidences à son doudou. Secret absolu!
Article excellent ,le pragmatisme doit nous “inciter” à se déconnecter scénarios écrits d’avance ………