Le procès du soldat israélien reconnu coupable du meurtre d’un Palestinien blessé a pris en Israël une dimension symbolique et surtout politique.
À Tel-Aviv, dans la salle du tribunal militaire, les trois juges viennent tout juste de condamner pour homicide le soldat Eleor Azaria, qui a achevé un assaillant palestinien blessé et à terre. Un de ses proches lance au tribunal : « Vous êtes des gauchistes puants ! » Dehors, des centaines de manifestants de droite et d’extrême droite, chauffés à blanc, conseillent au chef d’état-major, le général Gadi Eizenkott, de faire attention, tout en scandant : « Gadi ! Gadi ! Rabin t’attend… »
Demande de grâce
Certes, si ce jugement vient clore un procès de dix mois, la controverse qui anime le pays n’est pas près de s’éteindre. Et pas seulement dans le public mais aussi dans la classe politique. En témoignent les réactions promptes et rudes qui ont suivi l’annonce du verdict. Le premier à dégainer : Naftali Bennet, le ministre de l’Éducation nationale et patron du Foyer juif, le parti des colons, a réclamé l’amnistie immédiate d’Eleor Azaria. Car, selon lui « le procès était vicié dès le début, et le soldat injustement condamné alors qu’il a tué un terroriste qui méritait de mourir après avoir tenté d’assassiner un (autre) soldat ». Une demande de grâce dans laquelle se sont engouffrés nombre de ministres et de parlementaires de la coalition au pouvoir. Miri Regev, la ministre de la Culture, a franchi un pas de plus en adressant une demande officielle en ce sens à son collègue de la Défense, Avigdor Lieberman.
On attendait la réaction de Benjamin Netanyahu. Elle est intervenue en fin d’après-midi sous la forme d’un court communiqué dans lequel le Premier ministre se déclare en faveur de la grâce tout en expliquant : « C’est un jour difficile et douloureux pour nous tous et en premier lieu pour Eleor et sa famille, pour l’armée, pour beaucoup de soldats et leurs parents, et moi-même parmi eux… » Pas un mot de soutien au chef d’état-major et aux juges militaires, en dehors d’un appel au public « pour qu’il fasse preuve de responsabilité envers l’armée, ses officiers et le chef d’état-major ». Pourtant, la présidente du tribunal militaire, la colonel Maya Heller, ses deux assesseurs et le procureur ont reçu des menaces de mort. Leur protection personnelle a été renforcée.
Un parallèle avec l’affaire Dreyfus
Pour de nombreuses personnalités et organisations de droite, Azaria est donc un martyr qui n’a rien fait d’autre que de vouloir protéger tous ceux qui se trouvaient sur place et d’avoir tué un terroriste qui représentait un danger. Un thème abondamment repris sur les réseaux sociaux, où il est comparé au capitaine Alfred Dreyfus, l’officier innocent condamné par des chefs comploteurs. En l’occurrence, l’armée aurait décidé de le sacrifier afin d’améliorer son image aux yeux du monde. Ce genre d’arguments ne se trouve pas seulement sur Facebook ou Twitter, mais au plus haut niveau de la classe politique : Tzipi Hotobelly, la vice-ministre des Affaires étrangères, a déclaré : « Tout cela n’est qu’un procès à grand spectacle dont la conclusion était connue d’avance. » Face à cela, les experts militaires expliquent que les chefs de l’armée devaient rétablir les grands principes des règles d’engagement : les ordres ne peuvent venir que de la chaîne de commandement et il est illégal d’achever un ennemi qui ne présente plus de danger. Toute infraction conduit en cour martiale.
En filigrane, ce procès et les réactions qu’il suscite posent deux questions. D’abord, celle des soldats en opération en Cisjordanie, coincés de plus en plus entre une mission de maintien de l’ordre, dans le cadre de l’occupation de ce territoire, et la protection des colons israéliens persuadés que cette terre est la leur pour cause de promesse divine. Une vision religieuse de plus en plus partagée en Israël même, avec son corollaire : qui a préséance ? La loi de la rue ou l’État de droit ? Comme l’écrit l’éditorialiste du quotidien Haaretz : « Pour cette fois, c’est encore l’État de droit qui a gagné, mais il faut rester sur ses gardes. Si le meurtre d’un terroriste déjà neutralisé passe sans une condamnation appropriée, l’éthique de Tsahal finira par disparaître et la distinction entre Israël et ses pires ennemis – les pays dans lesquels l’État de droit n’est pas le moteur de l’action – sera effacée. » Mais qui lit aujourd’hui Haaretz, considéré par une majorité d’Israéliens, au même titre que les ONG de défense des droits de l’homme, comme un repaire de gauchistes traîtres ?
Danielle Kriegel
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