Depuis 1995, l’association du Forum des familles endeuillées rassemble des Israéliens et Palestiniens ayant perdu un proche dans le conflit. Loin de tout esprit de revanche, ses membres veulent croire qu’un dialogue avec l’autre camp est possible.
Elles sont assises en cercle depuis dix minutes et ont déjà toutes le regard embué par les larmes. Chacun des récits de ces 40 femmes semble explorer une nouvelle dimension de la souffrance partagée, après la perte d’un être cher. Avec son décor impersonnel, la salle polyvalente de l’hôtel Mourad recueille froidement leurs confidences. Mais les participantes se soutiennent les unes les autres : on dégaine un mouchoir pour secourir la « raconteuse » du moment, on se précipite vers la suivante avec un verre d’eau.
Fatima, Shlomit, Nadjla ou Robi ont un terrible point commun. Ces Israéliennes et Palestiniennes ont toutes perdu un proche – fils, père, frère – dans le conflit qui ensanglante leur région depuis bientôt soixante-dix ans. Et toutes ont décidé de transgresser le tabou qui pèse, ici, sur la moindre esquisse d’un dialogue avec « l’ennemi » : elles font partie du Cercle des parents-Forum des familles, qui réunit depuis plus de vingt ans des familles endeuillées des deux camps.
« On est dans le même bateau »
Ce vendredi, c’est une session exclusivement réservée aux femmes qui a investi l’hôtel Mourad de Beit Sahour, près de Bethléem. Puisque les Palestiniens n’entrent pas en Israël sans permis et que les Israéliens n’ont pas accès aux villes contrôlées par l’Autorité palestinienne, un entre-deux a été choisi : nous sommes certes en Cisjordanie, mais en zone C (contrôlée par Israël). Ici, la rencontre peut avoir lieu.
Rena fait partie des nouvelles. Cette jeune grand-mère palestinienne de 38 ans est venue parler de son petit frère Moustafa, criblé de balles israéliennes pendant la deuxième Intifada. Sa mère Khoula est là aussi. Sans fausse pudeur ni excès de solennité, les deux musulmanes déroulent tour à tour leur récit, devant un auditoire captif et muni d’oreillettes (tout est traduit de l’arabe à l’hébreu et inversement). Les consignes ont été rappelées par les organisatrices : chacune doit raconter son histoire sans parler de politique et en évitant toute « concurrence victimaire ».
Khoula termine par ces mots : « C’est le destin. C’est ce que Dieu avait prévu pour nos vies. En tout cas, je voulais rencontrer des Israéliennes pour entendre aussi leur douleur. On est dans le même bateau. » L’assemblée acquiesce dans un sourire triste. Rena, la fille, avoue a posteriori qu’elle ne s’attendait pas à ça en venant ici pour la première fois. « Je ressens de l’amour pour toutes ces femmes. Je ne pensais pas qu’elles feraient preuve d’une telle empathie. »
Apprendre à connaître ses voisins
Cette empathie à l’égard de « l’autre camp », Miri l’éprouve depuis deux ans et demi, date de son entrée au Forum. « Avant, je ne connaissais aucun Palestinien », déplore cette psychologue israélienne de la banlieue de Tel-Aviv, qui a perdu son frère dans la guerre de Kippour en 1973. C’est en 2014, après la dernière guerre à Gaza, qu’elle a vivement ressenti ce besoin de dialogue.
Pour lire la suite cliquer ICI
Poster un Commentaire