Quand Zohra Bitan, pour pointer du doigt le fossé qui existe entre la foi musulmane d’une majorité de citoyens et la revendication islamiste qui broie tout sur son passage, évoque la foi de son père, elle nous rappelle à nous tous ces musulmans auprès desquels nous vécûmes en confiance et fraternité, il y a bien longtemps, vous souvenez-vous ?
Dans un texte intitulé Mon papa, Allah et moi, que Zohra m’autorise à partager avec Tribune Juive, c’est à ce père qu’elle s’adresse, lui répétant à l’envi: Reviens, ils sont devenus fous. Oh toi, le Sage, le Grand Hadj qui ne savais ni lire ni écrire, mais qui savais la vie mieux que des milliards d’encyclopédies et de poètes réunis, reviens, ils sont devenus fous.
Elle confie avoir longtemps gardé de l’islam de son père le leitmotiv Dieu est grand comme une phrase bouclier dans ce monde brutal où même les plus forts pouvaient être anéantis : Je t’ai entendu le prononcer, le nom d’Allah, mille fois. Il s’élevait sans cri, sans haine, sans arme aucune, juste empreint de ta foi et de l’amour que tu y mettais.
Aujourd’hui, précise-t-elle, Allah est devenu un cri, un hurlement, et à chaque fois qu’il fait du bruit, j’ai envie d’être sourde, de me cacher quelque part pour ne pas l’entendre arriver, armé jusqu’aux dents pour tuer des innocents. Ils sont devenus fous cher Papa, ils ont fait détester ta chechia, ton tapis de prière, les fêtes de tes retours de pèlerinage, tout ce que nous célébrions ensemble, maman, tous mes frères et sœurs, toi et moi.
Elle évoque ce temps où sa famille et elle ne parlaient encore qu’un arabe écorché, francisé, drôle quand ils ne trouvaient pas les mots, et compare ce beau croyant qu’était son père à cette génération de fous qui, ayant érigé Allah comme une arme, s’emparent de lui pour maudire, haïr, tuer.
Elle analyse: Certains se moquent de toi et de maman. Ils disent que tu étais illettré et soumis. Ils ne savent rien de tes conversations, de ta philosophie, de ton intelligence, de ta finesse d’esprit, de l’amour que tu vouais à ton prochain. Ceux-là racontent que ton islam était celui du colonisé, celui d’un idiot complexé de ne pas être blanc et lettré, de ne pas être riche et bien portant.
SOUS TA CHÉCHIA
Ils ne savent pas quel homme tu étais sous ta chechia, et quel trésor pouvait se nicher au fond de toi: je parle de ce trésor que tu te plaisais à distribuer partout où cela pouvait faire germer la paix, et refuse de laisser dire que son père se taisait par honte ou par soumission : Non, tu gardais en toi et pour toi l’amour d’Allah ! Evoquant la dérive islamiste, elle les dénonce, ceux qui prétendent que la discrétion religieuse de la génération de ses parents était de la soumission, et leur rétorque que c’était du respect pour leur pays d’accueil.
Elle parle à son père de ces fous qui racontent qu’on ne les aime pas, qu’on aurait peur de leur Allah, et confie : Si tu étais là, Cher Papa, même toi, tu aurais peur d’eux.
Zohra Bitan aimerait réhabiliter la mémoire de tous ces immigrés musulmans que nous connûmes tous, ceux qui remerciaient la France de leur offrir tant de liberté. Elle ? Ses parents lui ont inculqué la nécessité de s’intégrer, de faire siens le peuple, l’histoire et le destin de la France. Elle ajoute que cette passion pour la France, elle la doit à son père, mais aussi aux Français : Ceux qui prétextent le passé colonial feraient mieux de cesser d’aboyer au risque de ne jamais connaître et apprécier ce formidable pays où au printemps, le soleil peut caresser la peau des femmes, et le vent souffler sous leurs robes. Si la démocratie et la liberté sont imparfaites, je préfère être de ceux qui l’améliorent, plutôt que de la rejeter en fantasmant sur un prétendu meilleur ailleurs. Améliorer la démocratie et élever la liberté, ce n’est pas proposer des formes de soumission au nom du respect des communautés. Ce qui fait la splendeur de la France, c’est le prix à payer par tous ceux qui l’aiment pour préserver ce qui la caractérise : vivre libre, notamment concernant les femmes.
CETTE GAUCHE QUI NOUS DÉSINTÈGRE
Dans Cette gauche qui nous désintègre[1] , elle évoque les imposteurs de l’indignation et fait ses adieux à cette gauche condescendante et sirupeuse avec les enfants de l’immigration et de la banlieue, dénonçant ce que peut produire une indignation qui n’a pas intégré que dans les banlieues, les maux du racisme sont moins forts que le mal d’éducation, quand les dos de centaines de jeunes gens restent collés aux murs des barres des cités comme des arapèdes à l’ennui, et s’emporte avec raison contre l’indignation sélective, celle qui vous range dans les protecteurs du vivre ensemble et dans la suprématie de la culture de la différence. C’est que cette cadre de la fonction publique territoriale, ancienne conseillère municipale PS et porte-parole de Manuel Valls pendant la Primaire socialiste de 2011 eut toujours pour fil conducteur la lutte contre la misère intellectuelle. Après la mort d’Ilan Halimi et les émeutes dans les banlieues, elle écrivait que la France n’avait toujours pas pris à bras-le-corps le problème de la radicalisation de toute une partie des populations des quartiers sensibles.
Elle dénonce définitivement ce socialisme devenu un club d’indignés de salon, fait de gens qui prétendent s’indigner à sa place, veillant à ce qu’elle ne soit plus traitée de sale bougnoule : Ils aiment par-dessus tout les colloques, les conférences dans lesquels ils parlent des heures sur ta cause, ta misère, ta condition sociale, ton arabitude ou ta noiritude, juste pour dire qu’ils comprennent ton cas, et se rassurer au passage sur leur propre bonté d’âme, précisant que ces champions des luttes anti discriminantes se chargent, depuis des décennies, de coller sur ton front les stéréotypes qui te qualifieront dans le camp du bien ou dans les zones du mal.
Comme Brigitte Stora et tant d’autres, cette gauche-là, elle lui a fait ses adieux, quittant le PS en 2011, parce que ce parti a envoyé au diable la dignité humaine, le goût de l’effort, la quête vers l’émancipation de la pauvreté, vers l’extraction de sa condition sociale, cette liberté d’agir qui emmène à la découverte de tout ce qui peut scier les barreaux de sa tête, la gauche se contentant de fabriquer des drogues politiques qui ensommeillent les dignités et rendent dépendants au RSA, aux aides sociales et autres aumônes savamment dosées : Ces pauvres qui se sont contentés du minimum, du RMI à l’allocation rentrée scolaire, des cages d’escalier refaites au digicode high-Tech, des quotas homéopathiques aux Zep un peu subventionnées, pensant que la gauche donnait le maximum.
Les dérives et sévères manquements de cette gauche que, nombreux, nous regardons sans complaisance mais de laquelle je reviendrai parler ici, car comme dit la chanson, Oh j’en rêve encore.
Sarah Cattan
[1] Opus cité.