Entre Orient et Occident, l’écrivain israélien Dror Mishani porte un regard lucide sur les évolutions récentes de l’Etat hébreu et les divisions qui traversent son pays, sans perdre foi en la paix.
Il fait croire à tout le monde qu’il écrit des romans policiers, mais, dans ses polars, Dror Mishani explore surtout les failles et les forces de la société israélienne (1). Son premier roman, Une disparition inquiétante, est en cours d’adaptation au cinéma par Erick Zonca (avec Vincent Cassel, Romain Duris et Sandrine Kiberlain). Son troisième opus, les Doutes d’Avraham, vient de paraître au Seuil. Dror Mishani enseigne aussi la littérature à l’université de Tel-Aviv. Pour Marianne, au lendemain de la mort de Shimon Peres, le brillant quadragénaire porte sur une société singulière et fracturée un regard d’écrivain. Lucide, surprenant, sans tabou, et plein d’espoir.
Marianne : Il y a deux mois, Israël perdait une grande figure, Shimon Peres, qui fut Premier ministre, président, un des promoteurs des accords d’Oslo, prix Nobel de la paix… Que représentait-il pour vous ?
Dror Mishani : A titre personnel, je l’ai rencontré lors d’un événement littéraire qu’il avait organisé à sa résidence, en tant que président. De fait, Shimon Peres aimait authentiquement la littérature. Il lisait beaucoup, toujours plusieurs livres à la fois ! Il était l’un des derniers responsables politiques israéliens doué d’une vraie sensibilité littéraire, qualité rare. Mais, par ailleurs, le personnage me semble assez ambivalent. D’un côté, Peres est le dernier dirigeant israélien à ouvrir une perspective de paix, ce dont je lui sais gré. Depuis sa mort, plus personne ne parle de la paix ! Cela paraît naïf, utopique, même dans les rangs de la gauche. C’est dommage. D’un autre côté, ce même Shimon Peres, lauréat du prix Nobel de la paix, a contribué à l’implantation des colonies en Cisjordanie dès les années 70 et n’a jamais osé ensuite les faire évacuer, sapant ainsi les bases d’une solution négociée au conflit israélo-palestinien. Il y a quelque chose de tragique dans un tel personnage parce qu’il incarne une aspiration quasi disparue pour la paix, qu’il n’a pas pu, ou pas voulu, traduire en actes. Cette ambivalence fondamentale est aussi celle de la société israélienne et, justement, la disparition de Peres permet d’en prendre la mesure.
Pour autant, la mort de Shimon Peres, ce n’est pas la mort du père, comme on l’a lu ici ou là. Pas pour moi. Je viens d’une famille séfarade de Holon, dans la banlieue populaire de Tel-Aviv, où se situent mes trois romans. Nous habitions un Israël périphérique, modeste, typique de la lower middle class. Bien loin de Shimon Peres, qui nous apparaissait comme typique d’une élite ashkénaze cultivée et influente, inaccessible et arrogante. Né en Pologne, arrivé en Israël à l’âge de 11 ans, très tôt intégré à l’establishment travailliste, Peres occupait déjà à 29 ans un poste clé, directeur du ministère de la Défense. Pour moi comme pour mon entourage, il était plutôt un beau-père ! Et cette image hautaine a été un vrai problème politique pour Shimon Peres et, par extension, pour son parti [le Parti travailliste]. Aujourd’hui, elle s’est estompée parce que, une fois devenu président, au cours de la dernière décennie, l’homme jouissait d’une solide popularité, mais souvenez-vous qu’au cours des années 80-90 il n’en allait pas de même. Peres a subi de graves revers électoraux : en réalité, il était détesté par les séfarades, qui votaient majoritairement Likoud ! Non, décidément, la figure du père, forte, consensuelle et protectrice, pour la plupart des Israéliens, c’est plutôt Yitzhak Rabin.
Marianne : Vous évoquez la paix… Pensez-vous qu’une solution à deux Etats, telle que la soutenait Peres, un Etat juif israélien et un Etat palestinien, soit encore possible ? Ou sinon quoi ?
Dror Mishani : Il semble qu’une solution à deux Etats n’est plus praticable parce que les colonies rompent la continuité des Territoires palestiniens, empêchant le tracé d’une frontière. L’idée prévaut désormais que les colonies ne seront jamais évacuées. Quant à une solution à un seul Etat israélo-palestinien, peuplé de citoyens égaux en droits, c’est là une utopie que je serais ravi de promouvoir… si seulement elle bénéficiait d’un large soutien de part et d’autre. Ce n’est pas le cas. Mais une nouvelle idée a émergé, très prometteuse, parmi certains milieux progressistes israéliens et palestiniens : on pourrait envisager une sorte de fédération rassemblant deux nations, l’une israélienne, l’autre palestinienne. Dans une telle configuration, où chacun serait titulaire d’un passeport fédéral et d’un passeport national, la discontinuité territoriale ne constituerait plus un obstacle et l’égalité des droits des uns et des autres serait assurée. Vraiment, c’est l’une des idées les plus intéressantes de ces dernières années – elle permet d’espérer, ce qui est précieux. La plupart des gens, aujourd’hui, ne rêvent même plus de paix. Moi, si : je m’accroche.
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