Les Juifs du Pacifique seraient-ils l’une des tribus perdues d’Israël ?
Derrière le mythe sans réponse, il y a peut-être le besoin inassouvi de peuples lointains d’appartenir à la nation biblique. Les Maori, par exemple, ne voulaient pas perdre leur âme face aux missionnaires chrétiens qui menaçaient au 19ème siècle leur identité tribale. Certains Papous de Nouvelle Guinée affirment qu’autrefois ils descendaient le Jourdain en pirogue. La puissance de l’imaginaire vaudrait-elle toutes les messes de l’Histoire ? Peu importe ! Les Juifs de Hawaï, d’Australie et de Nouvelle-Zélande contribuent avec force et fierté à une société mélangée et ouverte. Quant aux Pieds Noirs d’Océanie, ils portent en eux une part de France, et d’Israël, qui ne les a jamais quittés.
Être juif pour les Maori, c’est se rebeller.
La tribu perdue d’Israël se trouverait-elle dans le Pacifique ? C’est en tout cas ce que pensaient, au 19ème siècle, le très sérieux missionnaire révérend Taylor et le non moins sévère Major-Général de l’armée britannique, Godfrey Charles Mundy. Les Maori de Nouvelle-Zélande auraient, selon eux, de fortes ressemblances »de visage et de coutumes, civiles comme religieuses » avec les Juifs.
Les Maori appelés Huraï (Juifs en maori) ou Te Nakahi revendiquaient eux-mêmes leur appartenance à la lignée de Moïse et se disaient descendre directement de la Bible. »Nakahi » évoquait le serpent de la Genèse mais aussi le serpent d’airain du livre des Nombres qui guérit les Israélites de leurs mortelles morsures.
D’autres voyageurs comme Richard Davis ou Henry Williams racontent (en 1833-34) que les croyances de nombreux Maori correspondaient à un étrange syncrétisme entre shabbat et rites ancestraux. Cette religion hybride influença fortement, dit-on, la révolte du chef maori du nom de Hone Heke face à la présence britannique qui faisait du baptême chrétien une forme de soumission. D’ailleurs, l’un des premiers rois maori se disait descendant des rois d’Israël dont il affirmait puiser force et liberté (Te Ara, The Encyclopedia of New Zeland).
Les Papous admirateurs d’Israël veulent s’engager dans Tsahal
Les Gogodalas de Papouasie Nouvelle Guinée se disent shalom entre eux, brandissent régulièrement le drapeau de l’État juif et chantent volontiers Shema Israel dans un hébreu presque parfait.
Leurs lointains ancêtres venus du Jourdain auraient descendu la mer Rouge puis traversé le Pacifique, ce qu’aucune documentation sérieuse, scientifique ou historique, ne confirme. Mais alors d’où viendrait leur viscérale conviction d’appartenir bel et bien au judaïsme ? « Un amour authentique d’Israël et des Juifs » rétorque un professeur émérite du SOAS de Londres ( School of Oriental and African Studies), Tudor Parfitt, qui les a rencontrés.
En 2007, les Papous Gogodalas sont venus offrir leur or au Temple de Jérusalem, et même leurs services dans les rangs de Tsahal (et ce n’est pas une blague!).
Juifs de Hawaï : un sentiment de fierté … un sens de l’héritage
Les Juifs de Hawaï ne courent pas les plages mais il existe aujourd’hui dans l’île une communauté juive importante. Beaucoup, originaires du continent américain, s’y sont installés tardivement.
Les Juifs hawaïens les plus connus sont des élus locaux, parlementaires ou gouverneurs. Les liens avec Israël n’ont jamais été rompus dans leur cœur comme dans leur travail législatif. Ils y puisent bien plus qu’une simple identité culturelle ou religieuse.
Josh Green, sénateur démocrate originaire de Pittsburgh (Pennsylvanie) est l’un d’eux. Déjà dans son enfance, il parlait de sa judéité à ses camarades de classe. Il vit aujourd’hui sur la côte occidentale, à Kailua-Kona, mais continue de parler avec plaisir de sa foi juive si mal connue. « Les gens, admet-il, ont besoin de quelqu’un qui se batte pour eux, qui comprenne leurs plus grandes difficultés. »
Pour le sénateur démocrate Russell Ruderman, installé à Hawaï depuis 18 ans, un Juif n’a pas besoin de fréquenter assidûment la synagogue pour perpétuer, à sa façon, son appartenance au judaïsme. « Ce qui me conduit en politique, confesse-t-il, est (…) un certain sentiment de fierté … d’être éthique dans mon travail … je ne me prosternerai devant personne.» S’inspirer du savoir-faire d’Israël, notamment en matière d’agriculture de l’eau, de permaculture et de dessalement, est une nécessité pour une île comme Hawaï, ajoute-t-il. Ce sens de l’héritage et des ancêtres est une façon de se rendre utile pour ses concitoyens. « A Hawaï, tout est mélange et tolérance. » (Times of Israël, 3 août 2016).
Juifs d’Australie et de Nouvelle Zélande : une identité multiple et militante
Les Juifs d’Australie (environ 112 000 soit 0,5 % de la population totale du pays) et ceux de Nouvelle Zélande (7500 soit 0,17 % de la population totale) sont les deux principales communautés du Pacifique. Celle d’Australie est même la neuvième plus importante du monde, avec un étonnant dynamisme démographique (+ 10 % par an en 5 ans, au dernier recensement national de 2011).
Les premiers Juifs britanniques arrivés en Australie (5486 en 1861) se sont peu à peu intégrés au reste de la société. A partir des années 1930, de nombreux rescapés de l’Allemagne nazie puis de la Shoah affluent. Leurs enfants bénéficient dès lors d’un réseau scolaire organisé. Une communauté juive peut ainsi se développer et perdurer par de nouvelles migrations. Dans les années 1950 sont entrés dans le pays des Juifs originaires d’Irak et d’Égypte, dans les années 1970 des Juifs d’URSS, puis dans les années 1980 des Juifs d’Afrique du Sud.
Il existe de nos jours en Australie (à un moindre degré en Nouvelle Zélande) une forte identité juive, principalement ashkénaze, pro-sioniste, aux courants variés : orthodoxe, loubavitch, non pratiquant, libéral.
80% des Juifs australiens ont visité Israël, 9000 d’entre eux ont fait leur alyah (selon l’Agence Juive).
L’implication des Juifs dans la vie économique et politique a contribué au développement des deux archipels océaniens, avec un sens conjoint de liberté et d’entreprise, d’intégration et de réussite. « Ces capacités de mutations se traduisent dans la spécificité même de l’identité juive qui a abandonné dans ces migrations de nombreuses traditions séculaires tout en recherchant de nouvelles expressions » (Doris Bensimon, Les Juifs dans le monde au tournant du XXI ème siècle, page 72, Albin Michel, Paris 1994).
Le Conseil australien des affaires juives (Executive Coucil of Australian Jewry) est très vigilant face à l’antisémitisme, attentif à la préservation de la mémoire de la Shoah et « soucieux des souffrances d’Israël » (Le Figaro, 6 janvier 2009). En novembre 2013, les Juifs australiens se sont montrés vivement opposés à un projet de loi qui visait à lever l’interdiction du négationnisme, au nom de la liberté d’expression ( i24 News).
On ne compte plus les meetings anti-Hamas, comme ceux de 18 novembre 2012 qui avaient rassemblé des milliers de participants habillés de rouge et agitant des drapeaux bleu et blanc. Une telle fidélité sans borne à l’État hébreu a même fini par devenir « suspecte » pour une certaine presse australienne qui évoqua un « dangereux bi-patriotisme » (Jerusalem Post 26 février 2013). Les accusations de « déloyauté au profit du Mossad » et « d’endoctrinement sioniste » émanaient principalement du Conseil arabe australien (ACA).
A Melbourne ou à Sydney, le terrorisme islamique a réveillé, comme partout ailleurs dans le monde, le spectre de la haine anti-juive. « Le niveau d’alerte est relevé » titrait The Australian Jewish News en Juin 2015. Depuis, le Service de protection de la communauté juive australienne (GSC) diffuse auprès des organismes juifs du pays des communiqués journaliers d’information sur les risques d’attentat.
Juifs de Papeete et de Nouméa : préserver une vie culturelle et religieuse
Le premier juif de Tahiti aurait débarqué avec James Cook en 1769 mais le premier à en devenir résident permanent fut un certain Alexander Salmon (1822-1866), fils du grand rabbin de Londres. Il épousa la princesse Arrioehau, fille de la reine Pomaré IV, qui lui donna neuf enfants. Puis les campagnes d’évangélisation imposées par la France s’efforcèrent d’intégrer les Juifs de Polynésie dans une population autochtone progressivement convertie au christianisme.
Ce n’est donc que bien plus tard que se constitua, dans les années 1960, la communauté juive séfarade de l’île, originaire d’Algérie. En 1993, la construction de la synagogue HaAva véHaHava (’’Amour et fraternité’’), à Papeete, paracheva la présence juive en Polynésie. De nos jours, on peut admettre que les Juifs tahitiens ne sont pas bien nombreux (environ 150 membres) mais font totalement partie du patrimoine local. D’importantes familles portent en effet des noms tels que Salmon, Ceran-Jerusalmy, Cowan ou Levy. Il y aurait, d’autre part, une vingtaine de familles mixtes.
La plupart vivent à Papeete et tentent de préserver une vie communautaire et culturelle malgré l’absence d’un rabbin à demeure. Les fêtes et offices traditionnels sont maintenus, les produits cacher sont régulièrement livrés depuis l’Australie ; un petit talmud Torah, fréquenté par une vingtaine d’enfants, fonctionne tous les dimanches et reçoit de temps en temps la visite de professeurs d’hébreu venus des États-Unis et d’Israël
L’hôtel Sarah Nui, dirigé par la famille Amouyal depuis 2012 à Papeete, est le seul établissement qui propose des repas conformes à la cacherout, destinés aux touristes juifs du monde entier. Le ministère du tourisme polynésien a d’ailleurs soutenu ce projet qui « s’adresse à une communauté qui a sa propre façon de voyager ».
Les Juifs de Nouvelle Calédonie fêtent Hanouka et Pessah exactement comme leurs coreligionnaires de métropole. A la seule différence que le rabbin vient de Melbourne. Parfois, c’est l’aumônier des armées d’outre-mer qui fait office de rabbin. Pendant sa visite au Régiment d’infanterie de Marine du Pacifique, l’aumônier s’occupe des prières, des cours pour adultes et enfants, et prend soin de rencontrer la plupart des membres de la petite communauté séfarade composée d’une centaine de personnes, et fondée officiellement en 1983. Tous profitent ainsi de ces occasions traditionnelles et précieuses pour célébrer ensemble paix et espoir.
« C’est un moment qu’on partage en famille », explique l’un des leurs, Jean-Philippe Helias, aux journalistes de télé NC 1 (17 décembre 2015). « Il n’y a pas beaucoup de Juifs en Calédonie », reconnaît le jeune Julien Atlan pour qui amalgames, incompréhensions et soubresauts liés à l’actualité au Moyen-Orient, ne rendent pas toujours simple la vie quotidienne pour qui veut pratiquer son judaïsme. « Moi, parfois, poursuit le jeune homme, on vient me demander : »Alors, ça se passe comment pendant le Ramadan? » ».
Qu’ils soient tribus perdues et imaginaires, ou vrais représentants d’une communauté fière de ses racines comme de ses multiples capacités d’adaptation, les Juifs du bout du monde portent en eux un seul mot qui est cher à nos cœurs : ‘’Pacifique’’, « adjectif signifiant ‘’qui aime la paix, y aspire et cherche à la maintenir’’ » (définition Larousse).
Et si les doux alizés des tropiques soufflaient avec bonheur sous nos latitudes ?
Jean-Paul Fhima
Merci pour ce bel article.
Nous avons vécu avec ma famille en Nouvelle Calédonie de 1980 à 1984. La vie juive était à cette époque inexistante, pas de synagogue, pas de cacherout. La communauté juive était composée d’une cinquantaine de membres, pour la très grande majorité non pratiquante et non érudite. Pendant les fêtes (Roch Hachana, kippour et pessah uniquement) mes parents organisaient les offices à la maison. Ma mère faisait importer la viande cachère depuis l’Australie. Mon père faisait l’office avec quelques autres personnes. Malgré cela, nous étions minyan.
Anecdote sympa : Certains Kanaks (autochtones) portent des noms hébraiques (Levy, Cohen). Ces noms ont été donnés au moment de l’évangilisation. Ils ne sont en rien Juifs.
Famille Hadida
Bonjour avez-vous des informations sur les Juifs du Brésil ?
Merci
Elisabeth
Juifs du Brésil et esclavage, article sur Tribune Juive
https://www.tribunejuive.info/histoire/juifs-du-bresil-et-esclavage-de-la-verite-au-fantasme-par-jean-paul-fhima