Nadav Lapid, l’un des représentants les plus stimulants du jeune cinéma israélien, continue à ausculter son pays dans son nouveau film, un moyen métrage présenté cette année à Cannes.
Journal d’un photographe de mariage ne dure que 40 minutes, et n’est projeté que dans un seul cinéma à Paris, avec une seule séance par jour. Le film de Nadav Lapid (découvert en mai dernier à Cannes à la Semaine de la critique) n’en est pas moins l’un des plus stimulants qu’il est possible de voir cette semaine.
Dans Le Policier (2012), le réalisateur israélien dressait un constat glaçant de la société de son pays, victime de son culte du nationalisme et de la virilité. Dans L’Institutrice (2014), il dénonçait la dérive matérialiste de l’Etat hébreu, entre brutalité des nouveaux riches, omniprésence abêtissante de la télévision et vulgarité des complexes touristiques. On retrouve cette critique d’une jeune bourgeoisie bling-bling, arriviste et arrogante, dans son nouveau moyen métrage, qui s’attaque à une autre institution d’Israël : le mariage.
Le héros est un photographe très demandé par les familles pour filmer les cérémonies et les fêtes nuptiales. Le film s’ouvre sur des plans sans visage mal cadrés, tremblés, flous : lors de son premier contrat, le photographe croyait que son Caméscope n’enregistrait pas quand le signal était rouge et a filmé des scènes qu’il ne voulait pas saisir… Commentaire ironique en voix off : « Ces images de sols et de plafonds sont la représentation la plus juste que j’ai pu obtenir de la relation conjugale. » Autre message sarcastique, un peu plus plus tard : « La différence entre un enterrement et un mariage ? Dans un cas, on enterre des morts. Dans l’autre, des vivants. »
Un cinéma à la fois théorique et incarné
Le film est constitué des préparatifs de deux mariages, où seuls les époux font face au photographe. Lequel, au fil des minutes, change de statut, passant de metteur en scène à témoin, puis à confident, puis à acteur. Sans surprise – la première séquence nous avait prévenus –, il est moins question ici de bonheur éternel que de désarroi. Et d’envie de tout plaquer, pour les femmes qui font part de leur angoisse et de leur sentiment d’entrer dans une prison conjugale.
Il y a du Godard dans la manière qu’a Lapid de proposer un cinéma à la fois très théorique et puissamment incarné, sans avoir peur de mélanger la grande forme (la mise en scène est virtuose) et la culture populaire un peu ringarde (l’utilisation du vieux tube d’A-ha, Take on me). Il y a du Godard aussi dans la dimension politique de ses images. Alors que le photographe filme les futurs mariés s’embrassant au bord de la mer, le fiancé lui demande de laisser hors cadre la mosquée qui jouxte la plage. Le héros s’exécute. Mais quelques minutes plus tard, Nadav Lapid rappelle l’existence du réel (et, en l’occurence, de la question palestinienne) en zoomant longuement sur le minaret.
Journal d’un photographe de mariage, de Nadav Lapid. Tous les jours à 13h au Nouvel Odéon, 6, rue de l’Ecole-de-Medecine, 75006 Paris.
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