Sarah Cattan : Les sœurs Weiss de Naomi Ragen

C’est aux Dimanches israéliens des 7 Parnassiens que les Editions Yodéa sont venus présenter en exclusivité Les Sœurs Weiss, de Naomi Ragen, disponible en librairie dès le 02.12.16. L’auteur de Sotah nous offre aujourd’hui Les sœurs Weiss, que j’avais lu en anglais à sa sortie et que le New York Times avait qualifié de thrilling page-turning. Les éditions Yodéa ont fait appel pour la traduction française à la meilleure pro qui soit, Véronique Perl-Moraitis.

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En guise d’avertissement au lecteur, Naomi Ragen précise que les sœurs Weiss, pur produit de son imagination, sont des femmes qui sont loin d’être des cas rares dans le monde réel où elle grandit, à New York et à Jérusalem, et précise qu’elle continue à vivre parmi elles.

Williamsburg, Brooklyn, années 50 : une première partie nous présente Rose et Pearl Weiss, seules filles d’une famille nombreuse juive ultra-orthodoxe. C’est shabbat, Pearl n’a que trois ans, et la coupe de vin qu’elle renverse sue elle ce soir-là trahit une mauvaise prédisposition. Quoi qu’il en soit, c’est Shabbos, et même si ça colle, elle n’aura pas le droit de prendre de bain. D’emblée te voilà, lecteur, au sein de la famille Weiss, ce foyer chaleureux mais strictement réglementé par la loi religieuse et fermé au monde moderne : en balade au zoo, s’approcher des singes sera impossible : ils ont le tohes nu. A Rose qui se promet d’apprendre la Tora par cœur pour que son père soit fier, il est répondu qu’elle devra rendre ses parents fiers en étant obéissante et pieuse, le temps que Dieu lui envoie un mari érudit. Elle ? Elle devra œuvrer pour que le dit époux se consacre à temps complet à l’étude. Etre une eshes hayil, c’est tout ce que Ribono shel olam exige d’elle.

RENVOYÉE DE L’ÉCOLE

Rose a seize ans. Au lycée, elle se lie d’amitié avec Michelle, une camarade fraîchement débarquée de Marseille, dont le père est passionné de photographie. C’est dans cette famille étrangère à la communauté et récemment revenue à la religion mais moins observante que Rose va découvrir l’art et la photographie. Un livre de Doisneau, emprunté à son amie, et la découverte d’un Contax III vont bouleverser sa vie d’adolescente et son rapport au monde. Un livre de Doisneau : une ordure pour son père. Prêté par monsieur Golband, qui a peut-être forcé Rose à regarder, qui peut-être mange des aliments ne portant pas le hekhsher rabbinique : bref, Rose est convoquée et cette réunion lui paraît ressembler à l’ordalie de la sotah. Michelle est renvoyée de l’école pour avoir un père qui lit et possède une bibliothèque. Le Rav trouve que l’école fréquentée par Rose est trop frei, et qu’il est urgent de la purifier en l’envoyant pour un an chez sa boubé. Même s’ils trouvent le jugement extrêmement sévère, les parents de Rose suivront cet avis à la lettre : même s’ils te disent que la droite est la gauche et que la gauche est la droite, explique le père à son épouse.

Voilà Rose dans une école Satmar[1] où il est interdit de parler hébreu, la langue impure des apostats sionistes et où l’enseignement de Rachi est proscrit. Retrouvant Michelle, elle commence à mener une vie clandestine, partagée entre lectures profanes et photos qu’elle découvre à la bibliothèque : à elle Anna Karénine et autres Madame Bovary, à elle cours dispensés par un photojournaliste du NYT.

Ses parents récupèrent une adulte rebelle que lé péché n‘intimide pas. Cette fois, ils n’en réfèrent pas au Rav et pour éviter un scandale, ils organisent le shiddoukh de la jeune fille mais Rose, tiraillée entre la culpabilité de trahir une famille aimante et son désir profond de liberté, finira par s’enfuir la veille de ce mariage arrangé qui lui interdirait toute possibilité de vivre sa passion pour la photographie.

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Nous voilà quarante ans plus tard, en septembre 2007. Les sœurs Weiss ont fait des choix de vie opposés. Rose s’est consacrée exclusivement à sa carrière et est devenue une photographe de renom international mais la rupture avec sa famille a laissé en elle une fêlure qui entrave son épanouissement personnel. Pearl, traumatisée par le départ de sa sœur aînée, a embrassé la religion avec encore plus d’ardeur, convaincue qu’elles sont là, les clés du bonheur et de la sérénité. Elle est une épouse et une mère parfaite au vu des lois de sa communauté.

PARADIS CÉLESTE, PARADIS TERRESTRE

Le passé ressurgit quand Hanna, fille de Rose, voit débarquer chez elle sa cousine Rivka, fille de Pearl, fuyant à son tour un mariage arrangé. Hanna, loin d’imaginer les bouleversements à venir, va accueillir sa jeune cousine de dix-sept ans. Le roman se fermera sur l’extrait d’un mémoire de master : Paradis céleste, paradis terrestre : les femmes juives au dix-neuvième siècle et la Haskala[2]. Nous sommes en juin 2012.

Les sœurs Weiss, cette épopée familiale de deux générations de femmes qui traversent la fin du XXe et le début du XXIe siècle pose des questionnements existentiels saisissants d’actualité et dépassant le cadre du monde religieux juif ultra-orthodoxe de Brooklyn : deux monde aux codes bien établis se confrontent en effet, opposant tradition et modernité et interrogeant sur la possibilité de concilier l’attachement à ses racines et notre époque qui célèbre l’individu et la liberté personnelle. Si l’écriture de Naomi Ragen est émaillée d’anecdotes, détails et réflexions sur le monde juif orthodoxe duquel elle est issue, jamais elle ne le caricature. Pourtant, si à fleur de mots est toujours présente l’affection qu’elle voue à ce monde fermé, complexe et ancré dans la spiritualité, elle en dénonce les dérives et les injustices qui concernent les femmes.

Prix du Président de l’État d’Israël, Naomi Ragen est un des trois auteurs les plus populaires d’Israël et sept de ses romans ont déjà été traduits en français. Sachez que, tout en poursuivant son œuvre, elle édite une lettre d’information hebdomadaire suivie par des milliers d’abonnés. www.naomiragen.com/

Sarah Cattan

[1] Les Satmar sont une dynastie hassidique fondée en 1905 à Satu Mare. Ils débarquent après l’Holocauste à Brooklyn dans le quartier de Williamsburg.

[2] Hanna Gordon-Adler.

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