Le Chinois qui veut divertir la planète

Marilyn en disait du mal : « C’est un endroit où on vous paiera 1 000 dollars pour un baiser et 50 cents pour votre âme. » Mais c’est précisément avec ce genre de bons mots – et des milliers de films dont quelques centaines de chefs-d’œuvre – qu’Hollywood est devenu un mythe.

Wang Jianlin veut désormais détourner la légende à son profit. L’homme le plus riche de Chine, avec une fortune estimée à 33 milliards de dollars réalisée dans l’immobilier, propriétaire du plus grand nombre d’hôtels cinq étoiles de la planète, est désormais à la tête, aussi, du plus grand nombre de salles de cinéma aux États-Unis – et même au monde. Très actif dans le septième art depuis plusieurs années, il s’intéresse depuis peu à la télévision. Il vient d’acheter, pour 1 milliard de dollars, la société américaine Dick Clark Productions, qui gère notamment la cérémonie annuelle des Golden Globes – la prochaine édition aura lieu le 7 janvier – et les concours de beauté Miss America. Il n’en fait pas mystère : l’avenir de son empire passe par le divertissement. En accord avec le gouvernement, il veut en finir avec la Chine-atelier du monde et faire de son pays une nouvelle fabrique à rêves.

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Wang Jianlin naît en 1954 dans la province du Sichuan, une région montagneuse sur les contreforts de l’Himalaya. Aîné de cinq fils, il vit une enfance marquée par le passé militaire de son père, qui a pris part à la Longue Marche de Mao. À 15 ans, il rejoint lui-même l’armée, où il gagne le rang d’officier avant l’âge de 30 ans. En 1986, il prend à 32 ans un poste de fonctionnaire dans la ville de Dalian, une cité de 6 millions d’habitants dans le nord-est industriel de la Chine, où il obtient un diplôme en économie. Cet homme menu, aux petits yeux vifs surmontés d’un casque de cheveux crépus, déjà mû par une ambition impressionnante, a une idée fixe : se lancer dans les affaires.

En 1988, le destin lui sourit. Les autorités locales cherchent à se défaire de la Xigang Real Estate Company, une entreprise immobilière au bord de la faillite. Wang Jianlin la reprend et la renomme Dalian Wanda. Avec un prêt de 500 000 yuans (l’équivalent de 67 000 euros), il se lance dans son premier projet : la réhabilitation d’un taudis au coeur de Dalian. Mais au lieu de reconstruire les habitations délabrées à la va-vite, il dote chaque appartement d’une salle de bains, de fenêtres en aluminium et d’une porte avec un verrou, un vrai luxe pour l’époque. Le jeune promoteur vend les 1 000 unités à un prix record et se fait un nom comme fournisseur de logements de qualité. Dès 2000, il lance un concept inédit : le Wanda Plaza, un complexe qui comprend des appartements, des bureaux, des magasins, des restaurants, des cinémas et des karaokés. « Wang Jianlin a eu l’intelligence de se concentrer sur les villes secondaires, évitant la côte est et les mégalopoles comme Pékin et Shanghai, déjà saturées, relève David Yang, analyste chez United Overseas Bank. Dans ces cités de taille moyenne, l’arrivée d’un Wanda Plaza a souvent transformé le centre-ville. » L’entrepreneur a aussi su cultiver des liens avec les bonnes personnes. « Il a noué une alliance avec Bo Xilai, le maire de Dalian et fils d’un ponte du parti, détaille Jean-Luc Domenach, sinologue auteur d’un livre sur les élites chinoises, Les Fils de princes. Ce dernier lui attribuait des autorisations de construire et des terrains à des prix imbattables. Parfois, il lui vendait des lots qui n’étaient même pas à vendre ! »

Un management à la rigueur toute militaire

©Andy Wong/AP/SIPA

Son succès, Wang Jianlin le doit aussi à un ego surdimensionné. « Ce n’est pas quelqu’un qui supporte d’être le numéro 2, raconte Chen*, un cadre de l’entreprise. Lorsqu’il investit un nouveau secteur, il fait en sorte de le dominer. » Le milliardaire gère sa vie avec une précision de métronome, un héritage de son passé militaire. Tous les matins, il arrive au bureau à 7 heures pile. Il ne prend pas plus de cinq jours de congé par an. Ce patron a un penchant pour l’intransigeance : il a, par exemple, prévenu qu’il ne léguerait son entreprise à son unique fils Wang Sicong, 28 ans, que s’il se montrait à la hauteur. « Si le fils n’est pas aussi bon que le père, pourquoi lui laisser un héritage ? » note-t-il dans ses mémoires, The Wanda Way.

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